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08/07/2021

Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural, 2021, Presses de Sciences Po, 264 pages

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Dans le sillage de N. Rénahy (Les gars du coin, 2005) et de B. Coquard (Ceux qui restent, 2019 ; voir un précédent billet), Y. Amsellem-Mainguy, sociologue à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, s'est intéressée aux « trajectoires, conditions de vie et expériences juvéniles » dans les espaces ruraux de France. Ce livre, d'abord publié sous forme de rapport, centre son propos sur les jeunes filles habitant quatre territoires contrastés. Les informations ont été recueillies dans le cadre d'entretiens semi-directifs, en face à face ou lors d'échanges collectifs, auprès d'environ 200 personnes âgées de 14 à 28 ans.

Si le massif de la Chartreuse (Isère) et la presqu’île de Crozon (Finistère) bénéficient d'une image touristique attractive, les deux autres terrains d'enquête, dans les Ardennes et les Deux-Sèvres, sont « des espaces qui se dépeuplent et s'appauvrissent ». Ils sont marqués en particulier par la désindustrialisation et l'agriculture y est prépondérante. Le premier chapitre éclaire les stéréotypes accolés aux territoires, aux groupes sociaux et activités : impression de vide et d'isolement (« c'est mort, y a rien »), définition de soi structurée par le rapport à la ville, à la fois attirante (bourgs voisins) et inquiétante (« racaille »), sports et loisirs « féminins », etc. Le sentiment d'ancrage et d'appartenance (« être d'ici ») dépend à la fois des trajectoires résidentielles (avec, pour certaines enquêtées, de nombreux déménagements) et de la participation de la famille à la vie locale (pompiers volontaires, encadrement des associations sportives), qui peut contribuer à restaurer un « capital d'autochtonie ».

Les difficultés à se déplacer construisent, en creux, une identité malheureuse. La question de rester ou de partir se pose rapidement. On retrouve le problème des mobilités dans les chapitres suivants, consacrés aux groupes d'amis, aux parcours scolaires, à l'insertion sur le marché du travail, au temps libre et, enfin, à la vie amoureuse et conjugale. La démarche, ciblée sur différentes fractions des milieux populaires, se rapproche d'enquêtes sur les publics de l'aide sociale (voir à ce sujet un précédent billet), et produit peu de connaissances nouvelles. Elle illustre toutefois les expériences d'une « partie de la jeunesse qui fait peu parler d'elle, se voit peu et ne pose pas de problème » : importance des interconnaissances, de l'entraide, des réputations et du commérage, voire du contrôle social ; orientation scolaire puis professionnelle, contrainte par une offre de formation limitée ; emploi précaire et conditions de travail difficiles ; absence d'infrastructures de loisirs ; etc.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Presses de Sciences Po

19:45 Publié dans Société, Territoires, Travail et emploi | Lien permanent | Tags : jeunesse, femmes, zones rurales, emploi |  Imprimer | | | | |  Facebook

07/07/2021

Le sketchnote pour rendre des travaux de recherche plus accessibles : l'exemple de la télédétection aéroportée

Pour la première fois, la revue Sciences Eaux & Territoires a recours à cette technique graphique, souvent utilisée dans le cadre d'ateliers où elle accompagne la réflexion par une prise de notes sous forme de dessins. De façon originale il s'est agi, pour le duo formé d'un graphiste et d'un scientifique, de proposer une relecture d'un article publié précédemment sur l'apport de la télédétection aéroportée à la gestion des forêts de montagne. En trois planches graphiques, l'essentiel des éléments est synthétisé de façon claire et rapidement assimilable, y compris par des lecteurs non experts de ces questions. La première planche rappelle les enjeux d'une gestion forestière durable dans les massifs forestiers, la deuxième présente l'approche combinant télédétection et observations sur le terrain pour cartographier des massifs peu accessibles, et la troisième conclut sur l'intérêt de la démarche pour l'exploitation du bois en montagne.

Exemple de planche sketchnote

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Source : Sciences Eaux & Territoires

Source : Sciences Eaux & Territoires

19:36 Publié dans Forêts Bois, Production et marchés, Territoires | Lien permanent | Tags : télédétection, forêts |  Imprimer | | | | |  Facebook

06/07/2021

Les Rencontres de l’Alimentation - Nouvelle-Aquitaine : qualité et origine

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Le 20 mai dernier se sont déroulées Les Rencontres de l’Alimentation - Nouvelle-Aquitaine sur le thème de la qualité et de l’origine. En présence de la directrice de l’Institut national de l'origine et de la qualité, Marie Guittard, cette conférence d’une heure visait à présenter les Signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) tels que l’Appellation d'origine protégée (AOP), l’Indication géographique protégée, le Label rouge et l’Agriculture biologique. La forte augmentation de l’offre et de la demande pour cette dernière a notamment été évoquée. Karine Latouche, directrice de recherche à INRAE, a présenté la recherche COMPANI (2019), qui analyse l’AOP en tant que facteur de compétitivité à l’export des entreprises dans l’industrie du fromage et du beurre français. Un résultat de cette recherche est que les fromages et les beurres AOP sont vendus, à l'exportation, 11,5 % plus cher que des produits sans certification. La création d’un observatoire économique des produits sous SIQO, qui sera un outil d’aide à la décision et de pilotage pour les décideurs, a également été évoquée.

Source : Les Rencontres de l’Alimentation - Nouvelle-Aquitaine

05/07/2021

Expansion de l’agronégoce brésilien et conflictualité foncière

Au Brésil, le secteur agroalimentaire représente 20 % du produit intérieur brut et 30 % des emplois. Un récent article de la revue Hérodote met en évidence ses relais au sein du pouvoir politique, leurs modes d’action et les tensions géopolitiques internes qui les prolongent. Au Congrès, les intérêts de l’agrobusiness sont portés par le Front parlementaire de l’agriculture qui, entre 2015 et 2018, comptait 208 membres soit 40 % des députés.

Les députés « ruralistes » par grandes régions entre 2015 et 2018

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Source : Hérodote

Au sein de l’exécutif, c’est le ministère de l’agriculture lui-même qui représente le principal levier d’action du secteur agroalimentaire, plusieurs ministres étant aussi des acteurs de premier plan des grandes filières d’exportation. La guerre commerciale qui oppose la Chine aux États-Unis, favorable au Brésil, aiguise les appétits des défenseurs d’une expansion spatiale des grandes productions agricoles, réactivant ainsi les classiques conflits fonciers entre l’agronégoce et l’agriculture familiale villageoise.

Source : Hérodote

15/06/2021

Jean-Marc Moriceau, La mémoire des paysans. Chroniques de la France des campagnes. 1653-1788, Paris, Tallandier, 2020, 736 pages

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En avril dernier, de fortes gelées ont touché les cultures de nombreuses régions, entraînant d'importants dégâts et suscitant moultes discussions sur les aléas météorologiques et les manières de s'en protéger. Malgré l'étonnement de certains médias, ce n'était ni la première ni la dernière fois qu'il gelait tardivement en France. Les « méchancetés » de la nature ont toujours existé et, en la matière, célébrer l'inédit peut être le signe d'un manque de mémoire. Voici un enseignement, parmi d'autres, qu'on tirera de la lecture de ce livre passionnant, qui compile un siècle et demi (1653-1788) de témoignages sur la vie des paysans : journaux familiaux, registres de curés ou notaires, écrits techniques et agronomiques, livres de comptes, inventaires, chroniques diverses.

Quelques grands thèmes dominent cette masse documentaire. Le premier, hégémonique, concerne les épreuves climatiques : ordre des saisons, « dérangements du temps », sécheresses, incendies, et plus souvent encore excès d'humidité, inondations, printemps et étés pourris, gros ou longs hivers, avec tous leurs effets sur les récoltes de grains, fourrages et raisins. Le deuxième thème touche à la possession et à l'entretien des animaux, depuis les soins, le commerce et le renouvellement des cheptels, jusqu'aux maladies et épizooties. Les archives campagnardes attestent aussi de l'acuité de la « question alimentaire », vue sous l'angle des stocks et des circuits d'approvisionnements, des prix et des fraudes, des grandes famines. Ces repères mémoriels permettent également de percevoir les principales évolutions de l'activité agricole : techniques de culture, rapports à la nature, nouveaux régimes de propriété et de concentration des exploitations, expansion de l'agriculture commerciale. Enfin, plus généralement, la vie rurale transparaît bien au fil des pages, qu'elles aient trait aux impôts, aux inégalités sociales, à la famille ou à la religion, à la diffusion des biens de consommation ou aux attaques de loups.

Cette mémoire paysanne insiste donc surtout sur les malheurs du temps. Elle nous montre les masses silencieuses dans leur diversité, dans leurs variations régionales aussi, puisqu'on perçoit nettement les écarts de développement entre provinces. Faire remonter ainsi les témoignages villageois permet de voir le travail agricole au quotidien, dans son espace géographique et social. Et contrairement aux préjugés sur l'immobilité du rural, les 1 400 moments de vie offerts et commentés par Moriceau confirment que cette France aussi n'a jamais cessé de changer et d'innover.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Tallandier

16:22 Publié dans Agriculteurs, Environnement, Exploitations agricoles, Territoires | Lien permanent | Tags : mémoire, paysans, nature, histoire |  Imprimer | | | | |  Facebook

11/06/2021

Série documentaire sur le patrimoine alimentaire afro-américain

Les 26 et 27 mai derniers, Neflix diffusait une mini-série documentaire, « Comment la cuisine afro-américaine a changé les États-Unis », inspirée d’un ouvrage de Jessica Harris, historienne de l’alimentation et professeur des universités (disponible en replay). Ce programme documente, dans un savant mélange d’érudition et de moments gourmands, la contribution des pratiques culinaires afro-américaines au patrimoine alimentaire états-unien. La série débute au Bénin, jadis Royaume du Dahomey, lieu de regroupement et de départ des esclaves vers les Amériques. À la traite sont associées la découverte et l’appropriation, par les hommes du Nouveau monde, d’ingrédients qui occuperont par la suite une place importante dans les cuisines (afro-)américaines : l’ocra, l’igname, le piment, le haricot cornille et la féverole.

Le deuxième épisode nous emmène à Charleston (Caroline du Sud), point d’arrivée de centaines de milliers d’esclaves. Parce qu’ils cultivaient le riz dans leurs contrées d’origine, ces femmes et hommes ont largement contribué à la production de cette céréale dans la région et en particulier à la naissance du fameux Carolina Gold. En outre, les esclaves se nourrissaient des restes des repas de leurs propriétaires (dans le meilleur des cas les pieds, queues et intestins de porcs) savamment cuisinés, pratiques alimentaires qui ont donné naissance à la soul food.

Des esclaves préparant un repas

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Source : document d’archive, Netflix

Celle-ci est revisitée par des jeunes chefs cuisiniers afro-américains ou plus simplement  par des amateurs qui se réclament des héritages légués par leurs ascendants (troisième épisode). Au Hatchet Hall, restaurant de Los Angeles, sont reproduites les techniques culinaires des chefs Hemings et Hercules qui officiaient auprès des présidents Washington et Jefferson : cuisson sur la flamme directement dans l’âtre, sauce mijotée sur une cuisinière potager, dispositif rapporté de France ; utilisation des parties les plus nobles de l’animal auxquelles leurs aînés n’avaient pas accès. La tarte à la patate douce et le pepper pot, originaires des Antilles, témoignent d’un passé toujours présent, tandis que le lapin braisé accompagné de carottes rôties au feu de bois sur du gruau grillé ou le pain de maïs aux betteraves fumées s’inscrivent dans le renouveau des pratiques culinaires héritées de cette histoire singulière.

Capture d’écran du blog de Gabrielle Eitienne, qui « partage les leçons des aînés en organisant des dîners communautaires »

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Source : Netflix

Soulignons enfin que les ingrédients de la soul food et l’histoire de celle-ci présentent des points communs avec le patrimoine alimentaire de la Caraïbe et la manière dont il est aujourd’hui revisité.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : Netflix

08/06/2021

Les prairies au sommaire du dernier numéro de Reliefs

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Le 21 mai est sorti en kiosque et en librairie le numéro 13 de la revue Reliefs, dont le dossier est consacré aux prairies. Accompagnée d’une iconographie de grande qualité, la revue regroupe des articles, des analyses et des interviews de chercheurs et praticiens de différentes disciplines : agronomie, écologie, sociologie, ethnologie, philosophie, histoire. Ce numéro permet de découvrir une typologie des prairies (M. Dufumier), de mesurer l’ampleur et les conséquences du déclin des insectes en Europe, tout en prenant connaissance de leurs rôles (P. Grandcolas). L’évolution des estives dans les Alpes et au sud du Massif central ainsi que dans l’Atlas marocain est évoquée par A.-M. Brisebarre, qui livre un témoignage sur l’inscription de l’agropastoralisme au patrimoine mondial de l’Unesco. Enfin, le dossier est complété par une interview d’A. Corbin, auteur de La fraîcheur de l’herbe (voir à ce sujet un précédent billet) et de différents extraits littéraires.

Source : Reliefs

15:40 Publié dans Agronomie, Environnement, Territoires | Lien permanent | Tags : agropastoralisme, prairies, biodiversité, massif central |  Imprimer | | | | |  Facebook

07/06/2021

La création des comices agricoles au XIXe siècle : les prémices de « l’État-réseau »

Les Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest publient un article sur les premiers comices agricoles de Mayenne. Instrument de modernisation économique (valorisation de nouveaux matériels, remise de prix), mais en retrait par rapport aux « fermes-modèles », ces associations prennent leur essor vers 1830, sous la monarchie de Juillet. Recherchant l'adhésion des populations, l’État encourage les comices, les dote de prérogatives et, ce faisant, étend son contrôle sur le territoire. Leur structuration demeure cependant chaotique jusqu’au milieu du Second Empire. Retrouvant le fil des analyses de P. Rosanvallon, l'auteur conclut que « la force de la IIIe République » est « peut-être d'avoir su activer à son profit un ''État-réseau'' », déjà constitué en grande partie dès le milieu du siècle. Républicains et monarchistes se disputent alors la présidence des comices, « point d'entrée déterminant » dans des campagnes « historiquement hostiles ». Enfin, à partir des années 1880, leur réunion annuelle tend à devenir davantage « une manifestation festive qu'un regroupement professionnel ».

Source : Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest

Protection juridique des indications géographiques de l’Union européenne dans les accords commerciaux

Un article publié en mai par l’American Journal of Agricultural Economics montre que la protection accrue d’une liste sélectionnée de fromages sous indication géographique (IG), dans les accords de libre-échange (ALE), n’entraîne pas une augmentation significative des exportations de ces produits par rapport aux effets déjà dus à la certification IG et à l’ALE en tant que telle. Cependant, la protection juridique semble fonctionner pour les produits dont la qualité est déjà perçue comme plus élevée dans les pays d’importation, avant l’ALE.

Énumération des indications géographiques dans les accords de libre-échange

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Source : American Journal of Agricultural Economics

Lecture : pour chaque ALE, le tableau indique le type, l'année d'achèvement des négociations, celle de l’entrée en vigueur provisoire de l'ALE et le nombre d'IG alimentaires de l'UE protégées par l’ALE. FTA : Free trade agreement ; AA : Association agreement ; DCFTA : Deep and comprehensive free trade agreement ; EPA : Economic partnership agreement ; CETA : Comprehensive and economic trade agreement.

Les résultats de cet article semblent aller à l’encontre des attentes de l’Union européenne quant à l’effet supplémentaire de la protection juridique des ALE sur la promotion des exportations de produits sous IG. Les auteurs proposent que l’Union limite les produits pour lesquels elle cherche à obtenir cette protection, pour se recentrer sur la promotion des IG sur les marchés où elles sont encore méconnues et moins imitées.

Source : American Journal of Agricultural Economics

17/05/2021

Les mondes légumiers et maraîchers en Normandie

P. Guillemin (ESO Caen) a consacré sa thèse de géographie aux productions de légumes dans l'ancienne région Basse-Normandie (Calvados, Manche et Orne). Elle vient d'être récemment mise en ligne sur le site HAL (archives ouvertes pluridisciplinaires). La première partie présente les grandes tendances repérables en France : concentration, intégration et internationalisation, défis liés à la réduction croissante des traitements phytosanitaires, difficultés de recrutement des salariés, installations hors cadre familial, développement de l’agriculture biologique et des circuits courts, etc.

Positionnant ses travaux par rapport aux sources disponibles, l'auteur rappelle l'utilité des concepts de « filière » et de « bassin » pour étudier l'évolution de ces agricultures. L'exploitation du Recensement agricole de 2010 lui permet d’identifier et de localiser douze types d'exploitations, depuis les grandes structures légumières « aux allures de firme » jusqu'aux petits maraîchages diversifiés en circuits courts de proximité, en passant par des formes mixtes avec des grandes cultures ou de la polyculture-élevage (figure ci-dessous). Pour bien saisir les nombreuses installations sur de petites surfaces, au cours des années 2010 (maraîchage bio, permaculture), cette approche est complétée par la constitution d'une base de données à partir des pages locales du quotidien Ouest-France, qui mettent régulièrement en avant ces sujets. L'auteur y relève une sur-représentation du petit maraîchage biologique, en circuits courts, et une « sous-médiatisation des exploitations agricoles productivistes, de dimensions foncières importantes et commercialisant en circuit long », pourtant largement majoritaires.

Représentation graphique des douze types d’exploitations légumières

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Source : P. Guillemin, HAL

Lecture : les exploitations légumières et maraîchères sont réparties selon leur taille (en abscisses) et les caractéristiques du collectif de travail (en ordonnées).

Sur la base de cette analyse structurelle, P. Guillemin délimite des zones (périurbaines) ou des (micro-)bassins de productions légumières et maraîchères, et met en évidence des trajectoires socio-économiques variées (adaptation, crise, reconversion, émergence). Enfin, inspiré par les travaux de G. Laferté sur les céréaliculteurs (voir un billet précédent), il éclaire, en s'appuyant sur des observations et des entretiens, la stratification des mondes légumiers et maraîchers bas-normands. Il met en évidence une hétérogénéité sociale croissante, marquée par l'embourgeoisement des « gros » légumiers, le « déclassement » de petits exploitants en difficulté et l'arrivée de « maraîchers créateurs ». Ces derniers, liés à l'élite culturelle locale demandeuse d'alimentation éthique, sont mis en valeur par le marketing territorial et la presse.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : HAL

14/05/2021

Risque de pollution aux pesticides, biodiversité et ressources en eau au niveau mondial

Si les produits phytosanitaires contribuent à la sécurité alimentaire, leur utilisation engendre des pollutions impactant l'eau, la biodiversité et la santé humaine. À ce jour, pourtant, aucune quantification géographique globale de l'utilisation de substances actives et du risque de pollution associé n'avait été réalisée.

Dans un article publié en mars dans la revue Nature Geoscience, des chercheurs de l'université de Sydney présentent des cartes détaillées de ce risque. Ils identifient les zones les plus vulnérables en matière de qualité de l'eau et de protection de la biodiversité. Pour quantifier le risque de pollution, les auteurs utilisent un modèle nourri par des données environnementales géoréférencées et d’autres sur les applications de substances actives et sur leurs propriétés physico-chimiques. Ils estiment alors un score de risque et classent chaque cellule de la carte selon trois catégories : risque négligeable, moyen et élevé. Les cartes obtenues ont une résolution spatiale de 5 arcmin, ce qui correspond à des cellules d'environ 10 km x 10 km au niveau de l'équateur.

Selon les auteurs, 75 % des terres agricoles mondiales (29 millions de km²) sont exposés à un risque de pollution aux pesticides (carte ci-dessous). 31 % (12 millions de km²) se situent dans la catégorie de risque élevé ; parmi celles-ci figurent 62 % des terres agricoles européennes et 70 % des terres agricoles françaises (voir le matériau supplémentaire disponible en ligne). Au niveau mondial, 64 % des surfaces agricoles seraient exposés à un risque de pollution par plusieurs substances actives (c’est le cas de 94 % des surfaces en Europe).

Risque de pollution aux pesticides

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Source : Nature Geoscience

Lecture : RS : score de risque. Les diagrammes en secteurs représentent la part des terres agricoles classée dans chaque niveau de risque dans la région. Les valeurs entre parenthèses donnent la surface agricole totale de chacune de ces régions.

Pour prendre en compte la diversité des impacts de l'utilisation des pesticides, les auteurs ont identifié les zones connaissant à la fois pollution aux produits phytosanitaires, rareté de l'eau et forte biodiversité (carte ci-dessous). Ils estiment que 34 % des terres agricoles menacées par un risque élevé de pollution aux pesticides se situent dans des régions à forte biodiversité, et 5 % dans des régions où l'eau peut être rare. Cinq bassins versants en Afrique du Sud, Chine, Inde, Australie et Argentine sont particulièrement concernés et devraient faire l'objet d'une attention particulière, selon les auteurs.

Régions connaissant à la fois un risque de pollution aux pesticides, une rareté de l'eau et une forte biodiversité

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Source : Nature Geoscience

Lecture : les régions pour lesquelles le niveau de préoccupation est égal à 1 présentent un risque de pollution aux pesticides élevé ; l'eau y est rare et elles abritent une forte biodiversité. Elles sont représentées par les cercles rouges, le pays, le bassin et la surface impactés étant par ailleurs mentionnés.

Estelle Midler, Centre d'études et de prospective

Source : Nature Geoscience

Évaluation des indications géographiques et des spécialités traditionnelles garanties dans l’Union européenne

Réalisé à la demande de la Commission européenne, un rapport d’évaluation de la politique de l’Union (UE) en matière d’indications géographiques (IG) et de spécialités traditionnelles garanties (STG) a été publié en mars 2021. L’étude répond à seize questions évaluatives portant sur cinq critères : la pertinence, l'efficacité, l'efficience, la cohérence et la valeur ajoutée des interventions de l’UE en matière d'IG et de STG. L’évaluation a utilisé plusieurs méthodes telles que des entretiens auprès des parties prenantes, une revue de littérature, des études de cas et une analyse de données.

Liste des questions évaluatives

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Source : Commission européenne

Lecture : GI : indication géographique ; TSG : spécialité traditionnelle garantie ; PDO : désignation d’origine protégée ; CAP : Politique agricole commune ; EUTM : marque de l’UE.

Après avoir décrit les IG, STG et leur mise en œuvre au niveau de l’UE, des États membres (EM) et des pays tiers, les auteurs répondent aux questions évaluatives. Les objectifs du dispositif européen sont évalués comme étant pertinents pour les groupes de producteurs et les autorités nationales. Les objectifs les plus pertinents sont de protéger les intérêts des consommateurs tout en les informant sur la valeur ajoutée du produit, et de garantir une protection uniforme des noms telle que prévue par le droit de la propriété intellectuelle. De l’évaluation de la pertinence pour les zones rurales, il ressort que les IG et STG contribuent à promouvoir l’identité et le patrimoine gastronomique régionaux. Enfin, nombre de ces signes de qualité intègrent des exigences relatives au bien-être animal et à la durabilité environnementale, en accord avec la visibilité croissante de ces problématiques dans le débat public, bien qu’elles ne soient pas des objectifs fixés par le cadre réglementaire de l’UE. Les auteurs jugent toutefois que l’intégration de ces problématiques peut être améliorée.

Les IG et STG sont globalement efficaces. Leurs bénéfices sont multiples mais pas systématiques pour les parties prenantes. Celles-ci mentionnent des freins, parmi lesquels une faible notoriété et une compréhension malaisée par les consommateurs dans certains EM, ainsi que des lacunes dans les contrôles à l’aval des filières. La valeur ajoutée de l’UE se traduit par la garantie de la mise en œuvre du dispositif dans certains États membres et par l’homogénéité des procédures d'un pays à l'autre. Les auteurs formulent des recommandations concernant par exemple la régulation et la structuration des filières, ainsi que la consolidation des liens avec le tourisme et la recherche.

Salomé Sengel, stagiaire au Centre d'études et de prospective

Source : Commission européenne

13/05/2021

Pandémie et sécurité alimentaire : échos de la Caraïbe

La Banque centrale des États de la Caraïbe orientale et ses partenaires ont organisé, le 15 avril dernier, un colloque sur la sécurité alimentaire dans cette même région. Après avoir été mésestimés au profit du tourisme, l’ensemble des segments de la chaîne de valeur agroalimentaire constituent désormais une priorité des États de la région, après que la pandémie eut un effet de loupe sur la double vulnérabilité de leurs 25 millions d’habitants.

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Source : Organization of Eastern Caribbean States

Les intervenants ont tout d’abord souligné la dépendance aux importations alimentaires : elles représentent 80 % de la consommation régionale (95 % dans certains pays) et près de 8 % du PIB, en 2020, pour un montant total de 1,4 milliard de dollars des Caraïbes (430 millions d’euros environ). Dans la zone, seuls le Guyana et Trinidad-et-Tobago exportent des produits en direction de leurs voisins.

Les importations alimentaires des États de la Caraïbe

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Source : World Food Programme, Organisation des Nations unies

À cette exposition aux risques globaux, particulièrement mise en évidence par la crise sanitaire de la Covid-19, s’ajoutent, selon l’universitaire L. Phillip (université McGill, Québec), des régimes alimentaires dans lesquels la part d’aliments et de boissons ultra-transformés importés s’est accrue. La Caraïbe et l’Amérique latine détiennent le record mondial de la hausse de la consommation de boissons sucrées entre 2002 et 2016 ( + 30 kg/personne en termes de ventes), avec des conséquences sur l'incidence des maladies chroniques, facteurs de co-morbidité.

Pour réduire de 25 % la valeur globale des importations alimentaires, dans les trois prochaines années, au sein de la Caraïbe, plusieurs recommandations ont été avancées. B. Clarke, de l’Institut caribéen de recherche et de développement agricoles, a défendu l’idée d’une intégration régionale renforcée de la production agricole et agroalimentaire, en partant de l’exemple de la noix de coco : production du coprah au Guyana, transformation à Trinidad-et-Tobago tirant partie du faible prix de l’énergie qui y prévaut, commercialisation à la Jamaïque, principal débouché. La production et la transformation des avocats, fruits à pain, mangues, grenades et poivrons rouges ont été notamment mentionnées. Par ailleurs, selon K. Caroo, de l’ONG Helen’s Daughters, les femmes sont des acteurs de premier plan en matière de consommation et de préparation alimentaires, et elles devraient à ce titre être au cœur des dispositifs en faveur de régimes sains. Enfin, le développement d’une agriculture prenant pleinement en compte les enjeux nutritionnels (« agriculture nutritionnellement adaptée ») a été préconisé par les intervenantes de la Banque mondiale.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : Banque centrale des États de la Caraïbe orientale

Les futurs londoniens proposés par Chatham House

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À l'occasion de son 100e anniversaire, le think tank britannique Chatham House propose d'explorer les futurs lointains des centre-villes et, ainsi, de stimuler les débats sur ce sujet. Développé par l'agence Platform Group et la School of International Futures, le modèle digital en 3-D Futurescape London permet de parcourir le siècle à venir, avec quatre arrêts à Piccadilly Circus en 2035, 2060, 2090 et 2121. L'agriculture urbaine, l'alimentation et la nature occupent une place importante dans ces projections, dont nous retiendrons quelques traits.

En 2035, Piccadilly Circus est l'épicentre de l'innovation alimentaire : l'offre diversifiée et renouvelée de nombreux stands répond aux limites du système des livraisons, « expérience stérile et impersonnelle ». La place accrue de la nature et des espaces ouverts contribue à une amélioration du bien-être et de la santé physique. Des colonnes de biodiversité (70 m de haut), des jardins sur les toits et des façades végétalisées constituent des réseaux de micro-corridors verts, favorisant la biodiversité (végétaux, insectes) et absorbant le CO2. La semaine de travail normale est de quatre jours, et une crypto-monnaie dédiée au care (crypto-care pound) a été créée.

En 2060, un nouveau réseau de canaux, axes privilégiés de transport et de communication, répond à la montée des eaux et aux inondations plus fréquentes. L'alimentation est produite localement, les « nouvelles » formes de protéines sont devenues courantes. Piccadilly est un lieu d'expérimentation alimentaire et l'Insect Food Hall la dernière attraction touristique à la mode.

En 2090, de nombreux systèmes d'aquaponie et d'aéroponie fournissent des produits frais, abordables et sains, ce qui a permis d'éradiquer la pauvreté alimentaire de la ville. Un dispositif de réfraction de la lumière du soleil, vers des milliers de panneaux solaires, approvisionne en continu des micro-fermes et des colonnes de biodiversité, ce qui prolonge la période de production végétale et climatise la ville. L'Earthism, nouvelle religion, se développant depuis l'apogée de la crise climatique, en 2040, prône la connexion avec toutes les formes de nature ; Piccadilly devient un site de pèlerinage.

Enfin, en 2121, la Lune est devenue une destination touristique populaire, ainsi qu'un centre industriel important (développement de l'extraction minière depuis 2030). L'intelligence artificielle est au cœur de la vie sociale : vêtements (London AI Jacket), spectacles, culture (Piccadily Poligon), etc.

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Source : Chatham House

12/05/2021

Marine de Francqueville, Celle qui nous colle aux bottes, 2021, Éditions Rue de l’échiquier, 200 pages

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Dans cette bande-dessinée, Marine de Francqueville, étudiante à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, rejoint la ferme familiale qu’elle a choisi comme support de son projet de fin d’étude. En montant dans la voiture de Monsieur de Francqueville, le père de l'auteure, le lecteur suit la conversation qu'il entame avec sa fille au sujet de l’exode rural, de l’étalement urbain, de la baisse de la population active agricole et de l’agrandissement des exploitations. En écho aux travaux d’A. Blondel et de L. Sully-Jaulmes, le passager observe la recomposition des paysages de banlieue. Arrivé à la ferme, il découvre le parcours personnel de Monsieur de Francqueville et la trajectoire de son exploitation, avant un « tour de plaine » qui lui enseignera ou lui rappellera le rôle agronomique des rotations, de la fumure, de l’entretien des sols. Puis il apprendra la fonction et l'impact des remembrements, tandis qu'un problème mécanique sera l’occasion d’aborder certaines des difficultés auxquelles l’agriculture est confrontée : conditions climatiques, volatilité des prix.

Au cours de cette aventure qui va la mener jusqu’en Angleterre, Marine de Francqueville, en jeune urbaine sensibilisée à l’écologie, s’interroge sur ce qui empêche son père, et d’autres agriculteurs, d’adopter des modèles plus vertueux à ses yeux. Elle questionne sa dépendance aux fournisseurs d’intrants, évoque l’incompréhension qu’elle observe parfois entre agriculteurs conventionnels et citoyens. À son retour de voyage, la tournée des fermes voisines réalisée avec son père la conduit à interroger les pratiques de ce dernier, et celles des professionnels rencontrés : agriculture biologique, agriculture de conservation, agroforesterie. L’accès à l’alimentation et la transmission des exploitations sont également évoqués, dans cette confrontation entre père et fille, qui lie les grandes controverses actuelles à l’histoire familiale et aux convictions personnelles. L’ouvrage, très documenté, s’appuie sur des données statistiques et de nombreuses publications.

Amandine Hourt, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Rue de l’échiquier