08/07/2021
Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural, 2021, Presses de Sciences Po, 264 pages
Dans le sillage de N. Rénahy (Les gars du coin, 2005) et de B. Coquard (Ceux qui restent, 2019 ; voir un précédent billet), Y. Amsellem-Mainguy, sociologue à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, s'est intéressée aux « trajectoires, conditions de vie et expériences juvéniles » dans les espaces ruraux de France. Ce livre, d'abord publié sous forme de rapport, centre son propos sur les jeunes filles habitant quatre territoires contrastés. Les informations ont été recueillies dans le cadre d'entretiens semi-directifs, en face à face ou lors d'échanges collectifs, auprès d'environ 200 personnes âgées de 14 à 28 ans.
Si le massif de la Chartreuse (Isère) et la presqu’île de Crozon (Finistère) bénéficient d'une image touristique attractive, les deux autres terrains d'enquête, dans les Ardennes et les Deux-Sèvres, sont « des espaces qui se dépeuplent et s'appauvrissent ». Ils sont marqués en particulier par la désindustrialisation et l'agriculture y est prépondérante. Le premier chapitre éclaire les stéréotypes accolés aux territoires, aux groupes sociaux et activités : impression de vide et d'isolement (« c'est mort, y a rien »), définition de soi structurée par le rapport à la ville, à la fois attirante (bourgs voisins) et inquiétante (« racaille »), sports et loisirs « féminins », etc. Le sentiment d'ancrage et d'appartenance (« être d'ici ») dépend à la fois des trajectoires résidentielles (avec, pour certaines enquêtées, de nombreux déménagements) et de la participation de la famille à la vie locale (pompiers volontaires, encadrement des associations sportives), qui peut contribuer à restaurer un « capital d'autochtonie ».
Les difficultés à se déplacer construisent, en creux, une identité malheureuse. La question de rester ou de partir se pose rapidement. On retrouve le problème des mobilités dans les chapitres suivants, consacrés aux groupes d'amis, aux parcours scolaires, à l'insertion sur le marché du travail, au temps libre et, enfin, à la vie amoureuse et conjugale. La démarche, ciblée sur différentes fractions des milieux populaires, se rapproche d'enquêtes sur les publics de l'aide sociale (voir à ce sujet un précédent billet), et produit peu de connaissances nouvelles. Elle illustre toutefois les expériences d'une « partie de la jeunesse qui fait peu parler d'elle, se voit peu et ne pose pas de problème » : importance des interconnaissances, de l'entraide, des réputations et du commérage, voire du contrôle social ; orientation scolaire puis professionnelle, contrainte par une offre de formation limitée ; emploi précaire et conditions de travail difficiles ; absence d'infrastructures de loisirs ; etc.
Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective
Lien : Presses de Sciences Po
19:45 Publié dans Société, Territoires, Travail et emploi | Lien permanent | Tags : jeunesse, femmes, zones rurales, emploi | Imprimer | |
15/11/2016
Jeunesses rurales, jeunesses ordinaires
Sous ce titre, la revue Savoir/Agir livre un éclairage intéressant sur une jeunesse rurale qui ne se distingue « ni par son excellence, ni par ses troubles », et fait « pas ou peu l’objet de politiques publiques spécifiques », « contrairement aux jeunes des quartiers ». Étonnamment, au regard de cette affirmation, aucun des articles n’est consacré à l’enseignement agricole, mais le dossier donne à voir une diversité de situations.
Juliette Mengneau s’intéresse aux mobilisations de parents d’élèves dans les communes rurales de l’Ouest. Face au monopole de l’enseignement privé, de nouveaux habitants réclament la réouverture d’écoles publiques : « contre l’image d’un rural forcément conservateur (…), les territoires ruraux sont des lieux de conflictualité sociale et politique ».
Deux articles sont consacrés à la scolarité en lycée professionnel, parfois vue comme filière de relégation. Dans le cas étudié par Sabine Depoilly, en Champagne-Ardenne, les lycéens s’approprient leur scolarité de façon « positive », tout en gardant une certaine distance, « ludique » plus qu’« oppositionnelle ». Au contraire, le cas d’un jeune « issu de l’immigration », habitant un quartier populaire d’une ville ouvrière de Bourgogne, permet à Thibault Cizeau de faire sentir comment les « relations de domination entre ville et campagnes » nourrissent une scolarité malheureuse et un certain sentiment de désaffiliation.
L’attachement à la campagne des jeunes ruraux n’est pas non plus une donnée générale. En Loire-Atlantique, cas étudié par Caroline Mazaud, la structure du marché du travail et la proximité des grands centres urbains permettent de concilier poursuite des études et maintien dans le territoire. A contrario, les articles de Fanny Renard sur une jeune apprentie en CAP coiffure et de Claire Lemaître et Sophie Orange, sur les choix d’orientation post-bac de lycéens en Vendée, suggèrent que dans d’autres configurations, « le rôle de l’école est loin d’être anodin dans l’assignation à l’inertie territoriale, notamment chez les jeunes femmes ».
Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective
Source: Savoir/Agir