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12/07/2022

Une cartographie affinée des émissions agricoles, corrigées de l'effet des échanges commerciaux

Dans un article publié dans Nature Communications, des chercheurs ont analysé les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la production agricole, corrigées de l'effet des échanges commerciaux, sur la période 1987-2015. Alors que de nombreuses estimations considèrent uniquement la production agricole, ils ajoutent aux émissions de la production nationale « à la porte de la ferme » celles imputables aux importations avant de soustraire celles liées aux exportations. Cette méthode se rapproche de la mesure de « l'empreinte carbone » (consommation finale), mais le rôle des pays intermédiaires dans les flux commerciaux est davantage mis en évidence. Les flux par type de produits ont aussi été analysés.

Les conclusions montrent que l'effet du commerce est particulièrement important pour des pays très importateurs. Par exemple, pour Bahreïn, le Koweït et les Émirats arabes unis, les émissions corrigées sont au moins quatre fois plus importantes. À l'inverse, des pays fortement exportateurs (Australie, Nouvelle-Zélande) voient leurs émissions diminuer de moitié.

Les émissions dans la plupart des régions augmentent, à l'exception de l'Europe (accroissement de la productivité agricole et de l'efficience d'utilisation des ressources), de l'Océanie (systèmes à bas niveaux d'intrants) et de l'ancienne Union soviétique (crise économique et disparition de certaines subventions lors de l'éclatement du bloc). Si l'analyse au niveau national montre d'importantes progressions des émissions totales en Chine (+ 253 Mt CO2eq/an), au Pakistan (+ 60 Mt CO2eq/an) et au Nigeria (+ 41,6 Mt CO2eq/an), le classement change lorsque ces émissions sont rapportées à la population : ce sont alors des pays comme la Mongolie ou l'Uruguay qui arrivent en tête (figure ci-dessous).

Émissions corrigées de l'effet du commerce (1987-2015)

emissions agricoles.jpg

Source : Nature Communications

Lecture : en a et c, émissions corrigées totales, respectivement en 1987 et 2015 ; en b et d, émissions corrigées par tête, respectivement en 1987 et 2015.

Enfin, le calcul des émissions liées aux changements d'usage des terres (ex. déforestation), corrigées de l'effet des échanges commerciaux (figure ci-dessous), montre une augmentation drastique pour certains pays à faibles émissions (multiplication par 50 pour la Chine, par 60 pour l'Italie et l'Espagne, etc.).

Émissions liées aux changements d'usage des terres corrigées de l'effet du commerce (2015)

emissions agricoles 2.png

 
Source : Nature Communications

Lecture : en a, émissions liées aux changements d'usage des terres ; en b, différences entre les émissions liées aux changements d'usage des terres et les émissions corrigées de l'effet du commerce.

Selon la perspective adoptée par cette étude, les habitants de certains pays « en développement » peuvent émettre beaucoup de GES, au même titre que les « pays développés », et ce pour plusieurs raisons : consommation de produits à forte intensité en émissions (viande, produits laitiers, riz), pratiques agricoles moins efficientes, pays intermédiaires importants dans les flux commerciaux mondiaux.

Marie-Hélène Schwoob, Centre d’études et de prospective

Source : Nature Communications

Impacts de la Covid-19 et du changement climatique au Guatemala

Un article publié par l'International Food Policy Research Institute (IFPRI), en juin 2022, s'intéresse aux conséquences de la Covid-19 et des événements climatiques extrêmes sur les revenus, l'alimentation et les migrations dans les zones rurales du Guatemala. Entre 2019 et 2021, le pays a en effet connu plusieurs chocs. Il y a eu d'abord la pandémie, dont les conséquences en matière de santé publique furent moins dramatiques que dans d'autres pays d'Amérique centrale, alors que le taux de vaccination y est l'un des plus faibles (42 % en juin 2022). Pour juguler la crise, le gouvernement a mis en place une politique de confinements très stricts. De plus, deux ouragans, Eta et Iota, ont frappé le pays, entraînant inondations, coulées de boue et glissements de terrain.

Pour analyser les effets de ces chocs sur les populations, les auteurs ont mené trois campagnes d'enquêtes par questionnaires téléphoniques entre 2019 et 2021, auprès d'un échantillon d'environ 1 600 ménages ruraux situés dans les zones montagneuses de l'ouest du Guatemala. Si les résultats montrent une amélioration des revenus, de la sécurité alimentaire et de la diversité de l'alimentation, en 2021 par rapport à 2020, leurs niveaux restent en-deçà de ceux de 2019. Cette situation est plus marquée encore pour les populations qui ont été exposées aux catastrophes naturelles. Sur le plan de la sécurité alimentaire, l'offre locale de denrées aurait connu une reprise, mais elle se serait accompagnée de prix plus élevés, selon les ménages enquêtés (figure ci-dessous).

Perception de l'évolution des prix en 2020 et 2021

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Source : IFPRI

Par ailleurs, la prévalence des expériences vécues d'insécurité alimentaire légère et modérée aurait diminué par rapport à 2020, même si elle reste supérieure à 2019. Celle des épisodes sévères resterait supérieure à 20 % des ménages enquêtés depuis le début de la pandémie, contre 11 % en 2019. Enfin, le score de diversité alimentaire aurait connu une évolution, avec un recul de la consommation de protéines animales et une augmentation de celle de fruits et légumes. Quant aux intentions de migration, qui sont trois fois plus importantes en 2021 qu'en 2019, elles découlent davantage du niveau de revenus que de l'exposition directe au virus, des restrictions de mobilité locale et des perturbations du marché alimentaire.

Johann Grémont, Centre d'études et de prospective

Source : IFPRI

Le nexus climat-biodiversité-sécurité alimentaire en débat à Bonn

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Lors de la 56e réunion des organes subsidiaires de la Convention climat, qui a eu lieu à Bonn en juin 2022, une session a été consacrée aux contributions de l’agriculture à la neutralité carbone, au maintien de la biodiversité et à la sécurité alimentaire. L’intervention inaugurale a porté sur la mise en œuvre d’une agriculture climato-intelligente en Inde, reposant sur une gestion intégrée de l’eau, du conseil agricole pour l’implantation de cultures adaptées aux types de sols et l’aide à la gestion des risques météorologiques. Dans ce cadre, une expérimentation-formation conduite par une ONG auprès de 300 paysans de l’État du Gujarat a été présentée. Elle leur a d'abord proposé des semences génétiquement modifiées pour rendre les cultures de ricin, de coton et d’oignon plus résistantes aux stress (températures élevées, manque d’eau). Cela a conduit à une augmentation du revenu brut des agriculteurs de 9,4 %. De plus, les services rendus par des micro-organismes leur ont été montrés, notamment comme biofongicides (trichoderma). Enfin, les agriculteurs ont testé un fertilisant naturel (fumier) qui a permis de diminuer de 15 à 20 % les coûts de production.

Lors de la même session, trois policy briefs ont été présentés. Le premier, écrit par J.-L. Chotte (INRAE) et ses collègues, rappelle que le stockage du carbone offre de multiples avantages : atténuation du changement climatique mais aussi contribution à une meilleure santé des sols et, par voie de conséquence, à la sécurité alimentaire. Mais il a des limites puisqu’il ne peut dépasser un certain plafond et reste contingent (figure ci-dessous).

Variabilité dans le temps du stockage du carbone dans les sols

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Source : United Nations - Climat Change

Le deuxième policy brief de C. Aubertin (IRD) et C. Weill (INRAE) invite à dépasser l’opposition entre land sparing et land sharing. Si les rendements ont atteint leur niveau maximal dans les pays très développés, favorisant plutôt le land sharing, dans d’autres zones une productivité des terres renforcée peut être souhaitée. Pour éclairer ces choix, les auteures en appellent à des évaluations renforcées de leurs impacts sur la biodiversité non agricole, les régimes alimentaires, la santé ou le nombre d’emplois créés. Enfin, le troisième texte, co-écrit par M. Hrabanski (Cirad), rend compte des conditions qui facilitent la mise en place de politiques publiques favorables à une transition climatique au Nord comme au Sud.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : United Nations - Climate Change

Enseignements de la filière d'huile de palme indonésienne pour le développement de celle du Ghana

Une équipe internationale de chercheurs a publié, en mai 2022 dans Land Use Policy, une analyse comparée des filières d'huile de palme au Ghana et en Indonésie. Si cette production en Asie du Sud-Est a fait l'objet de nombreux travaux, il n'en est pas de même pour l'Afrique de l'Ouest.

La culture du palmier à huile a été introduite en Indonésie au XIXe siècle à partir de semences africaines. Depuis les années 1980, elle a connu un fort développement grâce à la mise à disposition, via un système de concessions à des multinationales, de forêts appartenant à l’État pour être reconverties en plantations. Parallèlement, l'Indonésie a aidé l'installation de petits producteurs en facilitant l'accès à la terre, au crédit, aux intrants et en développant les infrastructures locales. Ces derniers ont été intégrés à la filière agro-industrielle grâce à des contrats souvent négociés par l'intermédiaire de coopératives. Le pays est ainsi devenu le premier producteur et exportateur mondial d'huile de palme, réduisant ainsi sa pauvreté. Des impacts négatifs sont en revanche à déplorer sur les communautés (accaparement de terres) et surtout l'environnement (déforestation, pollution liée à la sur-utilisation d'engrais et pesticides).

À l'inverse, l'huile de palme est une production traditionnelle en Afrique de l'Ouest, où de nombreux pays cherchent à reproduire la dynamique indonésienne. Au Ghana, ce sont surtout des petits producteurs qui transforment eux-mêmes, ou via une filière artisanale, leurs fruits. En raison d'une insécurité foncière et d'un accès réduit aux financements, l'intensification de la production reste limitée et les rendements nettement plus faibles qu'en Indonésie (- 60 %). Des plantations et une filière industrielle se sont installées, certains petits producteurs étant intégrés par le biais de contrats souvent déséquilibrés (faible pouvoir de négociation). Dans ces conditions, l'huile de palme est supplantée par le cacao, première culture de rente au Ghana. Plutôt que de transposer les politiques indonésiennes et, avec elles, leurs conséquences environnementales, les auteurs suggèrent de les adapter à l'existant : développer l'accès des petits producteurs aux intrants, aider à moderniser l'outil de transformation, rééquilibrer les relations entre producteurs et agro-industrie.

Muriel Mahé, Centre d'études et de prospective

Source : Land Use Policy

09:30 Publié dans Mondialisation et international, Production et marchés | Lien permanent | Tags : huile de palme, ghana, indonésie |  Imprimer | | | | |  Facebook

Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France

Dans sa thèse en droit public, M. Ramel analyse l'intérêt et la spécificité d'une approche fondée sur le droit à l'alimentation pour lutter contre la précarité alimentaire en France. Prévenir la faim et garantir un accès de tous aux denrées sont des objectifs fortement énoncés aux niveaux national et international. Toutefois, en France comme dans de nombreux pays, le droit à l'alimentation n'est pas utilisé et, de manière générale, fait l'objet de reconnaissances et de protections juridiques parcellaires et contrastées.

La première partie traite des enjeux juridiques de la lutte contre la précarité alimentaire. À l'échelon international, celle-ci a évolué d'une approche considérant uniquement les disponibilités de denrées à la prise en compte des capacités d'accès des personnes. En France, les aspects quantitatifs et qualitatifs prédominent, et d'autres dimensions de l'acte alimentaire (sociales, culturelles, politiques) sont bien moins considérées. De plus, les approches se focalisent sur les comportements individuels, laissant de côté les aspects collectifs et systémiques.

La deuxième partie s'intéresse aux sources juridiques de la lutte contre la précarité alimentaire. Le droit à l'alimentation a été consacré au niveau international, avec une définition multidimensionnelle de son contenu. Toutefois, il reste à « géométrie variable » et imprécis, variant du droit fondamental d'être à l'abri de la faim à la prise en compte d'une diversité d'enjeux. De son côté, le droit français paraît silencieux en la matière, le thème du secours alimentaire étant principalement traité dans une approche caritative et non juridique. La loi Egalim (2018) introduit cependant une réorientation récente.

Enfin, dans une visée prospective, la troisième partie questionne la plus-value d'une approche fondée sur le droit à l'alimentation en France. La promotion de la santé ou l'aide alimentaire d'urgence paraissent centrées sur les questions nutritionnelles et environnementales, sur les comportements individuels, sur les enjeux de subsistance. Une entrée par le droit à l'alimentation permettrait alors de considérer les dimensions sociale et culturelle, composantes tout aussi essentielles documentées par les sciences sociales. Des travaux complémentaires sont toutefois nécessaires, pour en préciser le sens et la portée, pour identifier des modalités d'application adaptables à divers contextes (socio-économiques, territoriaux, etc.).

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Source : HAL

11/07/2022

Salaires et attractivité de l'industrie de la viande aux États-Unis durant la pandémie

Dans un article publié en avril 2022, des chercheurs américains ont estimé à quelles conditions des personnes sans emploi auraient accepté de travailler dans l'industrie de la viande, durant la pandémie de Covid-19. En effet, ce secteur a fait face à d'importantes pénuries de main-d’œuvre peu qualifiée. Les effets de la crise sanitaire ont amplifié l'impact de conditions de travail réputées difficiles.

Utilisant la méthode des choix discrets, ils ont calculé qu'une prime salariale de près de 2,9 $/h était nécessaire pour inciter à accepter un emploi dans ce secteur d'activité. Les contributions des employeurs à l'assurance maladie et la retraite, ou le versement d'une prime à la signature du contrat de travail, influeraient aussi favorablement sur la décision des personnes en recherche d'emploi. En revanche, les mesures prises pour soutenir les indemnités des chômeurs durant la pandémie n'auraient eu aucun impact dissuasif sur la prise d'emploi.

Source : Journal of the Agricultural and Applied Economics Association

Publication du rapport mondial 2022 sur les crises alimentaires

Le sixième rapport mondial sur les crises alimentaires, publié en juin 2022 par le Global Network Against Food Crises, alerte sur l'augmentation de l'insécurité alimentaire en 2021. Il rend compte des grandes évolutions mesurées par les indicateurs liés à la sécurité alimentaire depuis 2016, ainsi que les facteurs responsables de leur accroissement dans 53 pays sélectionnés pour leur degré élevé d'insécurité. Les conflits constituent le moteur principal dans 24 pays (déplacement des populations). Ils sont suivis par les chocs économiques (y compris ceux liés à la pandémie de Covid-19) pour 21 pays, puis par les événements climatiques extrêmes (8 pays). Le rapport propose une projection de ces données en 2022 pour 41 pays (figure ci-dessous), avant de détailler la situation par grande région et par pays.

Projection du nombre de personnes en situation de crise alimentaire en 2022

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Source : Global Network Against Food Crises

Source : Global Network Against Food Crises

Place des animaux dans l'épidémie de variole du singe hors d'Afrique

Dans un récent article paru dans le Bulletin de l'Académie vétérinaire de France, une chercheuse de l’Anses s'interroge sur la responsabilité des animaux comme transmetteurs ou réservoirs, pour les cas de monkeypox apparus hors d'Afrique depuis le début de l'année. En effet, les réservoirs animaux de cette zoonose demeurent mal connus, en particulier le rôle des rongeurs. Hors d’Afrique, l’hypothèse d’animaux pouvant être infectés à partir d'humains (zoonose reverse) et devenir ainsi des réservoirs a été émise. Toutefois, en raison des modalités de transmission du virus, il semble très peu probable qu'un animal de compagnie – et a fortiori un animal sauvage – soit infecté de cette manière. En cas d'infection humaine, l'auteure recommande par précaution d'éviter tout contact avec un animal domestique ou sauvage (en particulier les chats, espèce très sensible à d’autres virus varioliques, ou les rongeurs), pendant au moins trois semaines après le début des symptômes.

Source : Bulletin de l’Académie vétérinaire de France

15/06/2022

Initiative FARM : conséquences de la guerre en Ukraine et réponses stratégiques

Dans le cadre de l'initiative française FARM (Food and Agriculture Resilience Mission), lancée en mars 2022, un « groupe de travail académique », réunissant une dizaine d'experts de haut niveau, a analysé les implications du conflit actuel et réfléchi à des réponses stratégiques. Leurs premières conclusions, livrées en mai, décrivent la complexification des enjeux agricoles, les effets en cascade de la guerre sur la sécurité alimentaire mondiale, et les nouveaux engagements attendus de l'Union européenne et de la France.

L'extrême importance de la question alimentaire est d'abord rappelée. Il faut nourrir une population croissante, dans un contexte de pressions environnementales et géo-stratégiques exacerbées. Les déstabilisations de la guerre, après celles causées par deux années de pandémie, obligent à repenser les principes de régulation et de gouvernance, et même toute l'architecture de la mondialisation, mais en veillant à maintenir les processus de transition vers une durabilité forte.

Plus globalement, l'intensification des jeux et enjeux géopolitiques, en matières agricole et alimentaire, entraîne un redoublement des besoins et des ambitions. L'agriculture est plus que jamais un secteur prioritaire pour la stabilité des relations internationales. Quant à l'alimentation, elle reste une des conditions de la paix sociale. La région de la mer Noire est emblématique de ces défis, des nouveaux rapports de force et des reclassements stratégiques en cours : réarmement agricole des pays de la zone, rapide modernisation des équipements, investissements spectaculaires, tissu logistique dense et fortes capacités productives et exportatrices, en particulier pour les céréales.

La troisième partie du document est consacrée à la guerre et à ses effets en chaîne. Sont d'abord passés en revue les impacts immédiats : destruction de matériels et de récoltes, restriction des chargements portuaires et du commerce, flambée et volatilité des prix, renchérissement des engrais, retour de « l'arme alimentaire », etc. À plus long terme, d'autres conséquences sont probables : difficultés d'approvisionnement, fragilisation de certaines régions ou populations, reconfigurations diplomatiques, érosion du multilatéralisme, nouvelles alliances entre puissances souhaitant « désoccidentaliser » la marche du monde.

Pour finir, les auteurs livrent quelques recommandations stratégiques. Les premières, qui concernent le rôle de l'Europe et de la France, insistent sur les nécessaires analyses de risques, les mesures de gestion de marché et la création d'institutions de régulation. D'autres visent à faciliter la mobilisation et l'efficacité de l'aide alimentaire internationale. La question des stocks agricoles et céréaliers est ensuite abordée, les objectifs étant tout à la fois de mieux les déclarer, connaître, gérer et utiliser. Les tensions possibles entre cultures alimentaires et non alimentaires sont aussi évoquées, avec le cas typique des biocarburants, dont la réduction voire l'interdiction sont de plus en plus souvent discutées. Enfin, les dernières pages traitent du développement de la sécurité alimentaire en Méditerranée et en Afrique, zones qui pourraient être durement touchées par les contrecoups du conflit en cours.

Notons, pour terminer, que le document comprend d'intéressantes annexes (marché mondial du blé, estimations de productions agricoles ukrainiennes pour 2022, tensions liées aux engrais en Europe et en France, etc.) et qu'une version révisée et actualisée est annoncée pour fin juin.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Source : Initiative Farm, Task Force Interministérielle France

Cartographie des productions agricoles en fonction de leurs usages à des fins de prospective

Dans un article publié dans Nature Food, une équipe de chercheurs (deux chercheurs américains, un brésilien et deux chinois) ont créé une cartographie permettant de localiser les productions agricoles en fonction de leurs usages, tels que définis par la méthode des bilans de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) : alimentation humaine, alimentation animale, transformation, export, industrie, semences et pertes. Ils se sont notamment concentrés sur dix productions, représentant 83 % des calories alimentaires et 63 % des surfaces récoltées au niveau mondial : orge, manioc, maïs, huile de palme, riz, sorgho, soja, canne à sucre, blé et colza.

Au-delà des riches informations qu'apportent ces cartes, les chercheurs sont arrivés à plusieurs conclusions intéressantes en analysant les données disponibles sur plus de cinq décennies. Tout d'abord, la part des cultures directement utilisées pour l'alimentation humaine a baissé de 51 à 37 % entre les années 1960 et 2010 (figure ci-dessous). Ensuite, leurs rendements sont globalement plus faibles que ceux des cultures destinées à d'autres usages. L'analyse géographique permet aussi d'identifier des changements dans la répartition des usages dans la quasi-totalité des pays. En France, la réduction des productions agricoles à destination de l'alimentation animale a, par exemple, été compensée par la croissance des cultures destinées à la transformation, à l'export et aux usages industriels.

Évolution des surfaces cultivées et des rendements par type d'usage

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Source : Nature Food

Lecture : en a, total des surfaces cultivées (hectares) ; en b, rendement en kcal par hectare ; en c, rendement en kg de protéines par hectare ; en d, rendement en kg de lipides par hectare. Les projections à 2030 sont basées sur les 20 dernières années ; les ombres correspondent à un intervalle de confiance de 90 % lors de la projection linéaire réalisée par le modèle.

Enfin, les auteurs se sont penchés sur le potentiel d'une telle allocation des usages pour atteindre l'Objectif de développement durable n°2 de sécurité alimentaire. Ils ont pour cela comparé les calories alimentaires qui seront produites « en plus », en 2030, aux besoins requis par la croissance démographique et la population aujourd'hui sous-alimentée. Leurs conclusions sont que parmi les 86 pays dans lesquels des populations souffrent aujourd'hui de sous-alimentation, plus du tiers (31) ne seront pas en mesure d'atteindre cet objectif, et ce même si l'ensemble des calories récoltées sont allouées aux seuls besoins alimentaires humains (figure ci-dessous).

Réalisation projetée de l'ODD 2 en 2030

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Source : Nature Food

Lecture : en b, écart entre les kcal à usage direct d'alimentation humaine et les besoins caloriques pour la population supplémentaire (croissance démographique) et sous-alimentée ; en c, mêmes considérations qu'en b, mais en incluant la totalité des calories récoltées sans distinction d'usage.

Marie-Hélène Schwoob, Centre d’études et de prospective

Source : Nature Food

Quels impacts socio-économiques de l'irrigation en Inde ?

S'il est généralement admis que l'irrigation permet de réduire la pauvreté rurale, la question de ses impacts sur les inégalités est plus discutée. Pour éclaircir ces débats, des chercheurs ont analysé les conséquences socio-économiques du développement de l'irrigation dans la région du Karnataka, au sud de l'Inde. Ces travaux ont fait l'objet d'une publication dans la revue Nature.

Les auteurs ont d'abord reconstitué les dynamiques agraires historiques de la région, au moyen d'une cinquantaine d'entretiens. Cette analyse a montré que l'agriculture s'y caractérisait, dans les années 1950-1960, par une forte différenciation sociale et une hétérogénéité des tailles d'exploitation, allant de quelques hectares à plusieurs dizaines. Les producteurs disposant des plus grandes surfaces ont été les premiers, dès les années 1970, à avoir les moyens de creuser des puits pour l'irrigation. Ils ont ainsi pu cultiver de la canne à sucre, très rémunératrice, et accumuler des capitaux conséquents. Progressivement, une part importante des autres agriculteurs est aussi parvenue à s'équiper, souvent au prix d'un lourd endettement. De plus, la raréfaction de la ressource en eau les a rapidement contraints à délaisser la canne pour des productions moins exigeantes mais moins rémunératrices (légumes, curcuma, etc.).

Le second temps du travail a été consacré à la modélisation des systèmes de production actuels du Karnataka et à l'évaluation de leurs performances économiques. Il montre que l'irrigation accroît les performances des exploitations qui en bénéficient, quelle que soit leur taille. Cependant, le gain est beaucoup plus important pour les agriculteurs disposant de grandes surfaces, qui ont pu s'équiper en matériel de micro-irrigation, et ainsi sécuriser en partie leur production malgré la moindre disponibilité en eau. De leur côté, ceux qui ne produisent encore que des cultures pluviales (sorgho, éleusine, dolique, etc.) ont malgré tout pu bénéficier des retombées économiques de l'irrigation, en travaillant pour le compte des agriculteurs irrigants. L'analyse économique montre toutefois que leur salaire est jusqu'à vingt fois inférieur à la productivité économique de leur travail, relativisant le caractère redistributif de l'emploi créé par l'irrigation. Ces travaux confirment donc l'efficacité économique de l'irrigation mais ils montrent qu'elle peut s'accompagner d'un accroissement des inégalités.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : Nature

09:57 Publié dans Agronomie, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : eau, irrigation, agronomie, inde |  Imprimer | | | | |  Facebook

14/06/2022

Ifpri, 2022 Global Food Policy Report: Climate Change and Food Systems, 2022, 189 pages

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En mai 2022, l'International Food Policy Research Institute (Ifpri) a publié son Global food policy report annuel, consacré au changement climatique et aux systèmes alimentaires. Il mobilise des travaux internes (notamment des résultats du modèle IMPACT) ou réalisés par d'autres centres du Consultative Group on International Agricultural Research (voir un portrait de cet organisme). Au fil des 12 chapitres, les auteurs décrivent des actions publiques et des innovations à même de répondre aux défis climatiques et à leurs conséquences : nouvelles variétés à cultiver, sources d'énergie « propre », technologies digitales, réforme du commerce, gouvernance des territoires, protection sociale, etc.

Par exemple, ils proposent de consacrer une partie des aides publiques agricoles à la recherche sur des technologies améliorant la productivité et diminuant les émissions de gaz à effet de serre. Malgré une difficulté de mise en œuvre et la nécessité de mettre en place une coordination internationale, ces investissements publics paraissent les moins distorsifs et les plus efficaces pour lutter contre le changement climatique. Les auteurs invitent également à réorienter une partie des flux financiers dans une optique de « finance climatique ». Si les flux annuels actuels consacrés aux secteurs de l'agriculture, de la forêt et des autres usages des terres sont estimés à 20 milliards de $ (figure ci-dessous), les besoins sont projetés, à 2030, à 350 milliards pour atteindre les Objectifs de développement durable. Dans un autre chapitre, divers apports des technologies digitales sont mis en avant : gestion des risques (ex. services d'informations météorologiques localisés), suivi de la qualité des denrées, prévisions climatiques, etc.

Montants (millions de $ américain) alloués à la « finance climatique » (moyenne annuelle estimée pour 2017-2018)

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Source : Ifpri

Enfin, l'analyse de plusieurs régions met en évidence des enjeux clés spécifiques : utilisation de l'eau pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, politiques d'aides à l'agriculture pour l'Asie du Sud, etc. Par exemple, l'Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan) fait face à deux défis majeurs : les pénuries d'eau ; la dégradation des terres sous l'effet combiné de l'augmentation des températures, de l'aridité, des pratiques culturales, de l'irrigation et du sur-pâturage. La diversification des cultures et l'utilisation de techniques d'économie d'eau sont les deux pistes principales identifiées, les auteurs soulignant le besoin de production de données locales fiables sur le changement climatique et les systèmes alimentaires.

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Lien : Ifpri

Poids des véhicules agricoles modernes : un risque pour la productivité des sols

Dans une étude parue en mai 2022, dans la revue Proceedings of the National Academy of Science (PNAS), des chercheurs s'intéressent à l'impact du poids des engins agricoles modernes sur le tassement des sols. Ces nouveaux « mastodontes » sont notamment comparés avec les plus gros dinosaures ayant existé : les sauropodes.

Au cours du XXe siècle, la puissance et la capacité de chargement des véhicules agricoles ont progressé de manière constante, augmentant par là-même leur poids. Entre 1958 et 2020, le poids en charge des moissonneuses-batteuses a été multiplié par 9 (36 tonnes en 2020). Les machines actuelles pèsent désormais davantage que les plus gros animaux terrestres actuellement vivants et que la plupart des dinosaures. Pour éviter des pertes de puissance et une surconsommation de carburant, les fabricants ont ajusté la dimension des pneus et leur souplesse : cela permet de maintenir un rapport constant entre la surface de contact et le poids de ces engins, et donc de limiter les contraintes au sol. Le tassement du sol en surface a donc pu être contenu, voire diminué au cours de la dernière décennie (figure ci-dessous - A). Pour autant, le compactage chronique du sol a, lui, été accru, se propageant aux différentes couches jusqu'à une profondeur de 50 cm, au niveau de la zone racinaire des plantes. De ce fait, la pression subie en sous-sol augmente avec le poids en surface (figure ci-dessous - B). 

Évolution de la pression en surface (A) et à 50 cm de profondeur (sous-sol, B) en fonction du poids des véhicules agricoles, et comparaison avec différents animaux (sauropodes, éléphant, cheval)

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Source : PNAS

Lecture : chiffres en rouge : année d'une moissonneuse-batteuse type sur la période 1958 à 2020. En bleu et en italique, les différents sauropodes (1 : Plateosaurus engelhardti ; 2 : Morosaurus agilis ; 3 : Cetiosaurus sp ; 4 : Argyrosaurus superbus ; 5 : Prontopodus sp. ; 6 : Neosodon praecursor ; 7 : Sauropodichnus giganteus ; 8 : Brachiosaurus sp. ; 9 : Prontopodus birdi ; 10 : Barosauros lentus ; 11 : Argentinosaurus).

Les auteurs estiment que 20 % des surfaces cultivées dans le monde (figure ci-dessous) courent un risque élevé de perte de productivité, difficilement réversible, en raison du compactage chronique provoqué par les engins agricoles modernes, atteignant les limites mécaniques intrinsèques du bon fonctionnement des sols. Les risques les plus élevés, modélisés dans cette étude, concernent les zones agricoles relativement humides, les plus mécanisées et avec de grandes exploitations (Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud et Australie).

Carte mondiale de l'indice de sensibilité au compactage du sous-sol

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Source : PNAS

Lecture : l'indice de sensibilité au compactage du sous-sol (SCSI) représente le rapport entre la contrainte typique estimée du sol et la résistance du sol à une profondeur de 0,5 mètre. Cet indice est basé sur des estimations du niveau de mécanisation, de la taille moyenne des machines agricoles, de la texture du sol et des conditions climatiques. Un indice > 1 correspond à un risque de compactage chronique du sous-sol.

En conclusion, les auteurs appellent les fabricants des futurs véhicules agricoles à des modifications dans la conception des machines pour limiter les effets de compactage chronique des sols.

Jérôme Lerbourg, Centre d'études et de prospective

Source : PNAS 

09:49 Publié dans Mondialisation et international, Production et marchés | Lien permanent | Tags : machinisme, sols, productivité |  Imprimer | | | | |  Facebook

Quelles conséquences des sanctions européennes sur les approvisionnements en potasse ?

Dans un Science for policy brief publié en avril 2022, le Centre commun de recherche de l'Union européenne (UE) analyse les conséquences des sanctions contre la Russie et la Biélorussie sur l'approvisionnement en engrais potassiques de l'UE. Ces deux pays représentaient respectivement 28 % et 24 % de ses importations de potasse en 2020. Les auteurs montrent qu'en 2022, le Canada devrait être en mesure d'accroître sa production et d'exporter vers l'UE les 1,2 million de tonnes qui lui manqueront. De leur côté, Russie et Biélorussie devraient réorienter leurs exportations vers le Brésil, l'Inde et la Chine, qui n'ont pour l'heure pas imposé de sanctions à Moscou et Minsk. Ces tensions géopolitiques risquent toutefois d'accroître la volatilité du prix des engrais. Dans ces conditions, l'augmentation de la production de potasse de l'UE et la réduction de l'utilisation des engrais minéraux, telles que prévues dans la stratégie Farm to Fork, paraissent nécessaires.

Source : Centre commun de recherche

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13/06/2022

Publication de la deuxième édition du Global Land Outlook

La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification a publié, le 27 avril 2022, la deuxième édition du rapport sur les perspectives foncières mondiales (Global Land Outlook). Cinq ans après le premier opus, ce document vient alimenter les discussions en marge de la décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes (2021-2030). Il dresse d'abord un constat des défis et solutions actuelles liées aux terres, biophysiques mais aussi socioéconomiques. Il insiste notamment sur la nécessité de transformer les systèmes alimentaires. Il fournit ensuite une variété d'exemples concrets de restauration, à travers le monde, montrant qu'elle peut être mise en œuvre dans divers contextes et à plusieurs échelles. Enfin, dans une dernière partie, il présente les mécanismes de coopération existants ainsi que des scénarios de protection et de restauration des terres à 2050 (figure ci-dessous).

Impacts de deux scénarios (restauration des terres en vert clair ; restauration et protection des terres en vert foncé), comparés à un scénario de référence

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Source : UNCCD

Source : UNCCD

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