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16/12/2021

L'Institut Montaigne propose un programme agricole en vue des élections présidentielles de 2022

Dans un récent rapport intitulé En campagne pour l'agriculture de demain, fruit de nombreux entretiens et du travail d'un groupe d'experts présidé par Hervé Gaymard, l'Institut Montaigne fait un point approfondi sur les défis actuels et futurs de l'agriculture française. Ces enjeux sont déjà largement partagés : autonomie protéique, revenu des agriculteurs, renouvellement des générations, émissions de gaz à effet de serre, dégradation de l'environnement, perte de compétitivité des exploitations, rééquilibrage des régimes alimentaires, etc. Toutefois, l'approche présente deux spécificités : les auteurs se placent dans la perspective des élections présidentielles de 2022 et adoptent une entrée par la préservation de la « souveraineté alimentaire » française. Ils notent que celle-ci est une composante incontournable de la puissance de la France au XXIe siècle, et appellent à faire du pays la première puissance agricole durable.

Les auteurs identifient pour cela six chantiers, destinés à nourrir les débats de la campagne électorale, sur les questions agricole et alimentaire. Ces chantiers sont déclinés en de nombreuses propositions et ils suggèrent, entre autres, de mettre en cohérence les politiques agricole, environnementale et commerciale de l'Union européenne, de réduire les importations de protéines végétales et d'accroître la structuration des filières. Ils proposent également de rénover la contractualisation au sein de la chaîne de valeur, de maintenir une offre française large (des matières premières aux produits de haute qualité) et d'accélérer la transition climatique, écologique et énergétique de l'agriculture, entre autres par la production de bioénergies et le recours aux biotechnologies. Ils évoquent aussi le renforcement de l'attractivité du métier d'agriculteur et la protection du foncier. Ils recommandent enfin, très classiquement, d'accroître la transparence sur la qualité nutritionnelle et sur l'origine par l'étiquetage des produits, de promouvoir une alimentation saine et durable et de lutter contre le gaspillage.

Très riches en données et informations, les annexes du rapport traitent notamment des agricultures d'Outre-mer, soulignant leurs spécificités : charge que représentent les dépenses alimentaires dans le revenu, étroitesse des marchés, enjeux des filières banane et canne à sucre, nécessité d'une politique foncière ambitieuse, redynamisation de l'aval. Enfin, mentionnons une intéressante analyse de ce rapport, publiée sur le site d'Agriculture Stratégies par Bertrand Valiorgue, professeur à l'université Clermont Auvergne et ayant participé à l'élaboration de ce document.

Vincent Hébrail-Muet, Centre d'études et de prospective

Source : Institut Montaigne

Inde : retour sur un an de colères paysannes contre la libéralisation des marchés agricoles

Près d’un an après des manifestations massives, 600 décès d'agriculteurs et des occupations continues aux portes de la capitale rassemblant jusqu'à plus de 300 000 paysans, le gouvernement indien a retiré le 19 novembre 2021 ses réformes agraires qui libéralisaient les marchés agricoles. Dans le Journal of Peasant Studies, deux articles analysent le contexte de ce mouvement, ses implications pour la politique agricole nationale et les mouvements agraires.

Dans le premier texte, M. Krishnamurthy traite des caractéristiques de cette mobilisation qui visait à protéger les « mandis », marchés agricoles réglementant (de manière différente selon les États fédérés) la première transaction entre les agriculteurs et les acheteurs, et assurant un prix minimal garanti. Selon la sociologue, le transfert de la politique agricole de l’échelon des États à celui de l’Union a créé des tensions et contradictions dans la conception et la mise en œuvre des réglementations. Il a également modifié les lieux de résistance et protestation, générant de puissants discours du monde agricole et de la société, tissant un nouveau lien entre les producteurs et les consommateurs ruraux et urbains de l'Inde.

Dans le deuxième article, S. S. Jodhka s'interroge sur les raisons de ce mouvement. Le Pendjab est le foyer de cette contestation et la grande majorité de ses 30 syndicats agricoles étaient présents sur les sites de protestation à Delhi. Pionnier de la « révolution verte » indienne dans les années 1950, cet État est également le premier à en avoir subi les conséquences : épuisement des ressources naturelles, dépendance des agriculteurs envers leurs créanciers, hausse des coûts de production, concurrence de leurs produits avec les céréales importées à bas prix, etc. Pourtant, en dépit de son déclin relatif, l'agriculture y est restée une activité économique et une référence identitaire importante. Malgré une implication toujours majoritaire des classes agricoles dominantes dans les mobilisations, la contestation a, selon l’auteur, une assise sociale et politique plus large que celle des mouvements paysans des années 1980 : elle rassemble désormais l’ensemble des communautés agricoles contre l’alliance entre le « capital » et l’« État autoritaire ».

Signalons enfin que, suite à la levée des barrages mi-décembre, le mouvement semble entrer dans une nouvelle phase (discussions, négociations).

Cécile Poulain, Centre d'études et de prospective

Source : The Journal of Peasant Studies, The Journal of Peasant Studies

Stephen K. Wegren, Frode Nilssen (coord.), Russia's Role in the Contemporary International Agri-Food Trade System, Palgrave Macmillan, novembre 2021, 343 pages

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Depuis le début des années 2000, la place de la Russie dans les échanges alimentaires internationaux connaît d'importantes évolutions. Si le pays demeure un des principaux importateurs mondiaux de produits agricoles et alimentaires, avec près de 30 milliards de dollars en 2020, le développement de certaines productions lui a permis, en parallèle, de redevenir un exportateur majeur. Cet ouvrage, qui rassemble les contributions d'une dizaine de chercheurs, analyse ce phénomène afin d'en identifier les causes et perspectives d'évolution.

Le document comporte deux parties. La première étudie les évolutions du commerce agricole et alimentaire russe, à travers une mise en perspective historique (chapitre 1) et l'analyse de la montée en puissance du pays comme exportateur de céréales (chapitre 2, voir à ce sujet un précédent billet) et de produits de la mer (chapitre 5). Cette partie met également en évidence le rôle des politiques de sécurité alimentaire des années 2010 et 2020 (protectionnisme, substitutions aux importations), décidées en réponse aux sanctions européennes, dans le développement renouvelé de la puissance agricole russe (chapitre 4). Enfin, elle montre que les exportations agroalimentaires du pays ont augmenté, mais que leur contribution à l'économie nationale demeure marginale. En 2016, elles ne représentaient que 5 % du total des exportations, contre 19 % pour le gaz et le pétrole (chapitre 3).

La deuxième partie analyse la place de la Russie dans le commerce agroalimentaire de la région eurasiatique. Le chapitre 7 met en exergue les relations bilatérales entretenues avec la Chine et montre les intérêts réciproques des deux pays en faveur d'une coopération agricole et alimentaire renforcée. En effet, la Chine est un débouché prometteur et d'ores et déjà important pour les productions agroalimentaires de l'Extrême-Orient russe, principalement des produits de la mer et des oléagineux. Elle est aussi un partenaire financier majeur, susceptible d'appuyer le développement agricole de cette région, préoccupation de longue date des autorités russes. Pour la Chine, le développement de ces échanges s'inscrit dans une volonté de diversification des sources d'approvisionnement, le pays étant largement dépendant des importations pour son alimentation.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Lien : Springer

Un inventaire mondial des standards du carbone organique des sols

Compte tenu de l'importance croissante accordée aux sols dans la séquestration de carbone, une équipe de chercheurs du Cirad et de Montpellier SupAgro a inventorié et comparé les standards existant en la matière (figure ci-dessous). Les résultats ont été publiés en novembre 2021 dans la revue Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change.

Nombre de standards existants pour le secteur agricole : à gauche, générant des crédits carbone ; à droite, augmentant le prix de vente des productions

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Source : Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change

Une recherche bibliographique et des entretiens avec des experts, menés entre mai et août 2020, ont permis d'en identifier vingt-deux : seize permettent de générer des crédits carbones destinés à être vendus ; six augmentent le prix de vente des matières premières produites (figure ci-dessous). L'analyse s'est ensuite concentrée sur une vingtaine de questions liées aux aspects économiques, d'éligibilité, de gouvernance, aux processus de certification ou encore aux problématiques de fuites et de permanence du stockage.

Gouvernance et échelle des 22 standards identifiés

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Source : Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change

Les chercheurs tirent plusieurs conclusions de leurs analyses. D'abord, les informations sur les coûts et bénéfices attendus du processus de certification sont généralement manquantes, ce qui limite la confiance des acteurs. Ceci serait, selon les auteurs, particulièrement vrai dans le cas des certifications de crédits carbone, de la gouvernance de laquelle les agriculteurs sont généralement exclus. Par ailleurs, l'incitation économique ne serait effective que pour des agriculteurs gérant plusieurs centaines d'hectares, en raison du potentiel de séquestration limité par hectare. Mais les auteurs mettent aussi en garde contre le risque pesant sur la production alimentaire. En effet, dans le cas d'une « course à la neutralité carbone » de la part des autorités publiques nationales et des acteurs privés, le carbon farming pourrait devenir plus rentable que la production, et les arbitrages pourraient être réalisés au détriment de cette dernière : par exemple, afforestation ou conversion en prairies sans élevage des parcelles cultivées.

Les auteurs préconisent ainsi la voie du premium ajouté au prix des productions. Selon eux, elle permettrait d'élargir les objectifs à d'autres aspects que le carbone, et de garder un couplage à la production. S'ils reconnaissent qu'il est encore trop tôt pour évaluer l'efficacité de ce type de standards, ils recommandent l'implication des organisations de producteurs et des institutions publiques (comme l'Embrapa au Brésil) dans la gouvernance et le soutien technique.

Marie-Hélène Schwoob, Centre d'études et de prospective

Source : Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change

Dans la région Grand Est, l’alimentation animale comme valorisation principale des coproduits

Le Réseau pour la sécurité et la qualité des denrées animales (Réséda), le Centre régional d’innovation et de transfert de technologie (Agria Grand Est) et l’Institut de l’élevage ont réalisé une étude pour mieux connaître les sources et usages des coproduits de l'industrie agroalimentaire dans la région Grand Est. Le rapport, publié en novembre 2021, vient compléter les connaissances acquises lors de précédents travaux, menés à l’échelle nationale en 2017 et en Normandie en 2020. Cet état des lieux constitue la première étape du projet Coprame (COPRoduits pour Améliorer la Multiperformance des Élevages bovin lait et viande de la région Grand Est).

Différentes politiques publiques nationales (bioéconomie, économie circulaire, mobilisation de la biomasse, tri à la source de biodéchets), appliquées localement, ont un impact sur les volumes de coproduits disponibles et sur leurs utilisations (figure ci-dessous). Travailler simultanément sur ces deux pans permet de favoriser l’économie circulaire territoriale, en liant producteurs et utilisateurs et en éclairant les concurrences d’usage.

Voies de valorisation des coproduits de l'industrie agroalimentaire

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Source : Réséda

L’enquête, menée auprès de 44 entreprises agroalimentaires et de 256 exploitations agricoles, a confirmé que l’alimentation animale est le principal débouché des coproduits (98,5 %) dans la région (figure ci-dessous), tout comme au niveau national (76 %). La différence de valorisation s’explique par la nature des coproduits régionaux : drêches de brasserie, pulpes de betteraves, etc. Bien que ce débouché soit majoritaire, les coproduits ont généralement d’autres voies de valorisation, dont certaines à plus forte valeur ajoutée (lactosérum pour l’alimentation infantile, huile de noyaux de fruits en cosmétique).

Valorisation des coproduits (% du volume) en région Grand Est, Normandie et France

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Source : Réséda

Des fiches sectorielles sur l’amidonnerie, la transformation des graisses, l’industrie laitière, par exemple, donnent des informations sur la filière (surfaces cultivées, acteurs, etc.), la nature et les caractéristiques des coproduits (sons, radicelles, produits finis non conformes, etc.), les gisements disponibles et leurs voies de valorisation. Elles sont complétées par un éclairage spécifique sur leurs utilisations en élevage. Une analyse qualitative et quantitative des utilisations informe sur les coûts ou les gains associés, la présence de contrat liant les acteurs, les distances parcourues par les produits, les concurrences d'usage. Celles-ci pourraient d'ailleurs se renforcer avec la méthanisation, en fort développement.

En conclusion, les auteurs mettent en avant la complémentarité possible de différentes valorisations de coproduits (alimentation animale, énergie, alimentation infantile, cosmétique). Optimiser leur production et leurs usages dépendra de la stratégie des entreprises, du dialogue entre producteurs et utilisateurs ainsi que des politiques publiques régionales.

Amandine Hourt, Centre d'études et de prospective

Source : Idele

Quelles politiques agricoles britanniques à la suite du Brexit ?

La dernière livraison de Politique européenne (novembre 2021) comprend un article sur le rapatriement au Royaume-Uni, suite au Brexit, des compétences juridiques en matière agricole, relevant auparavant de l’UE. Il prend place dans un système de gouvernance combinant des compétences dites « réservées » (relevant de l’échelle nationale) ou « dévolues » aux trois administrations d’Écosse, d'Irlande du Nord et du Pays de Galles. Le Brexit a fait disparaître les cadres législatifs et instruments de la Politique agricole commune (PAC), qui encadraient depuis près de 50 ans l’action publique britannique (figure), et les auteurs posent la question suivante : les nouvelles politiques permettent-elles au Royaume-Uni de « reprendre le contrôle » de sa politique agricole et d’accentuer son volet environnemental, comme cela avait été avancé par les promoteurs d’une sortie de l’Union ?

Des turbulences multiformes dans le sillage du processus de sortie de l’UE et de ses politiques communes (notamment PAC et politique commerciale)

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Source : Politique européenne

Lecture : la notion de « turbulence » désigne une situation dans laquelle « les événements interagissent et changent de manière très variable, incohérente, imprévisible et inattendue ». Elle peut être relative à l'environnement institutionnel, aux conflits internes et restructurations qui touchent les organisations, ou être en lien avec la multiplicité des échelons de décision et de mise en œuvre des politiques publiques.

Pour juger sur pièces, les auteurs analysent le régime des aides financières et l’appareil réglementaire. Sur le premier, la loi générale agricole anglaise (2020) définit les deux volets du financement de l’agriculture : le soutien aux biens publics environnementaux et l’aide aux exploitations dans un objectif de hausse de la productivité. Selon les auteurs, il est peu probable que le faible nombre d’acteurs éligibles au financement permette le verdissement de l’agriculture, tandis que la fin des aides directes prévue en 2028 met en danger la viabilité des petites exploitations. Qui plus est, les dispositions de la loi agricole empruntent à la PAC jusqu’à omettre, comme elle, les volets alimentaire et nutritionnel. De plus, le développement rural est absent du texte britannique de 2020.

Concernant les minima réglementaires en matière environnementale, alimentaire et de bien-être animal, les positions des quatre nations britanniques divergent. L’Écosse et le Pays de Galles souhaitent garantir un niveau de protection similaire à celui de l’Union européenne. De son côté, l’Irlande du Nord est dans une situation intermédiaire, le protocole qui lui est spécifique dans le Traité de sortie ne prévoyant un alignement que sur une partie de l’acquis communautaire. De plus, la loi de retrait de l’UE (2018) ouvre la voie à un dumping réglementaire à l’intérieur du Royaume-Uni (entre les quatre nations) mais aussi entre celui-ci et l’Union. La loi sur le marché intérieur (2020) veut précisément limiter ce risque de barrière au commerce interne en instaurant le principe de reconnaissance mutuelle des produits, au moment même où les entreprises locales n’ont plus aussi facilement accès au marché européen.

En définitive, pour les auteurs, ce rapatriement opère une recentralisation des pouvoirs en faveur de Londres, là où la PAC offrait à l’Écosse, à l'Irlande du Nord et au Pays de Galles la possibilité de diverger de leur voisin anglais.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : Politique européenne

Exposition passée aux insecticides, reproduction des abeilles et taux de croissance de la population

Un article paru fin novembre 2021 dans Proceedings of the National Academy of Sciences étudie les conséquences de l’exposition à l’imidaclopride (insecticide) sur la fertilité des osmia lignara. Présentes en Amérique du Nord, ces abeilles mégachilides sauvages et solitaires possèdent de remarquables performances pollinisatrices pour les arbres fruitiers, pour lesquelles elles peuvent être employées par les agriculteurs américains. Si les effets directs de l’exposition des abeilles aux pesticides sont bien documentés, il existe peu de recherches sur la persistance de ces effets d’une génération d’abeilles à l’autre, ou au cours des différentes étapes de leur vie. Pour pallier ce manque, les auteurs ont mené durant deux ans une expérience en environnement clos et contrôlé, à partir d'une plantation d’un mélange de trois fleurs sauvages offrant une nutrition de qualité pour ces abeilles. Ils ont ainsi joué sur l'exposition (ou non) de ces fleurs à l’imidaclopride, et n'ont exposé que les femelles pour analyser la transmission maternelle des effets de l’imidaclopride aux larves.

Schéma du protocole de l’expérimentation

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Source : Proceedings of the National Academy of Sciences

Lecture : en (A), la progéniture (44) a été lâchée dans 16 cages. Durant la deuxième année, les cages ont été traitées avec (rouge) ou sans (bleu) imidaclopride et contenaient des butineuses ayant été exposées antérieurement ou non à de l’imidaclopride durant la première année. En (B), cage avec d’abondantes ressources florales (à gauche), une femelle O.lignaria sortant d’un nid (au centre), une butineuse marquée sur une Phacelia tanacetifolia (à droite).

Il ressort de l'étude que l’exposition des abeilles butineuses à cet insecticide, qu'elle soit directe ou résulte d'effets de report d’une exposition passée sur les générations futures, possède un impact significatif sur leurs performances. Sont affectés la reproduction, la nidification ou encore le ratio mâles/femelles entraînant un effet négatif sur la croissance de la population. À titre d’exemple, une exposition antérieure à l’imidaclopride se traduit par une baisse de 20 % du nombre de larves par rapport aux abeilles qui n’ont pas été exposées.

Pour les auteurs de cette étude, plusieurs générations d’abeilles pourraient être nécessaires pour retrouver un équilibre à la suite d'une seule exposition aux pesticides. Ils plaident donc pour la prise en compte de ces effets de report dans l’évaluation des conséquences des pesticides sur les pollinisateurs. Mener ce type d’étude en conditions de plein champ et sur plusieurs années permettrait de mieux appréhender l’ensemble des impacts de l’exposition aux pesticides.

Johann Grémont, Centre d’études et de prospective

Source : Proceedings of the National Academy of Sciences

15/12/2021

Domaines d'application et perspectives de l'impression alimentaire en 3D

L'impression alimentaire en 3 dimensions est une technique de fabrication additive permettant d'obtenir des produits personnalisables (aspect, composition), à partir d'ingrédients (chocolat, fromage, sucre, etc.), d'additifs ou de préparations à base de viandes, fruits, légumes, etc. Un article publié en octobre 2021, dans Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety, passe en revue les études récentes sur la mise en œuvre de cette technologie, dans plusieurs domaines d'application (figure ci-dessous) : nutrition personnalisée, santé, alimentation au cours des missions spatiales, etc.

Chronologie des principales avancées technologiques de l'impression alimentaire tridimensionnelle

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Source : Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety

Pour la chaîne d'approvisionnement, l'impression alimentaire en 3D peut réduire les coûts liés à la préparation des aliments et à leur transport. Cette technologie permettrait aussi de diminuer le gaspillage alimentaire en offrant la possibilité, notamment, d'utiliser comme ingrédients des éléments inexploités par ailleurs (ex. résidus de céréales, de viande, de produits laitiers, de fruits et de légumes). En matière de santé publique, l'enrichissement en nutriments des aliments imprimés ouvre, selon les auteurs, des perspectives pour lutter contre la malnutrition. De plus, l'impression permet l'amélioration esthétique des produits basés sur des ingrédients hautement nutritifs (insectes, algues, etc.), ce qui les rendrait plus acceptables par le consommateur. Elle peut également répondre à des enjeux d'alimentation personnalisée, en concevant des aliments spécifiquement adaptés aux besoins nutritionnels et de santé d'un individu ou d'une population spécifique (problèmes digestifs, allergies ou intolérances). Par ailleurs, des expérimentations de cette technologie sont en cours dans le cadre de missions spatiales de longue durée, pour lesquelles ses intérêts sont multiples : personnalisation du régime alimentaire des astronautes, augmentation de la variété de nourriture, prolongation de la durée de conservation des denrées, amélioration des propriétés organoleptiques des aliments, etc.

L'intégration d'une quatrième dimension, temporelle, élargit encore le champ des possibles, l'aliment pouvant se modifier après son impression. Il s'agit d'imprimer des aliments en 3D dont les propriétés (saveur, forme, couleur, composition nutritionnelle) sont sensibles à des stimuli (lumière, température, pH, humidité, etc.). Les pistes d'application sont multiples : changement des propriétés des aliments lors de la consommation, allongement de la durée de conservation, facilitation du stockage et de la distribution grâce à une compatibilité avec des emballages plats, etc. Enfin, l'auteur souligne les écarts de développement et d'adoption de cette technologie selon les régions du monde, en raison de son coût, de sa haute technicité et d'une acceptabilité différente de ces nouveaux aliments.

Jérôme Lerbourg, Centre d'études et de prospective

Source : Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety

Propositions pour une « sécurité alimentaire durable »

Dans un rapport publié le 10 novembre 2021 par Terra Nova, sept experts traitent de la « sécurité alimentaire durable », définie comme la situation où « tous les individus ont un accès (économique, physique, social) égalitaire à une alimentaire durable de manière coordonnée et pérenne ». Mise en lumière et renforcée par la crise sanitaire, la précarité alimentaire ne se résume pas à une pauvreté monétaire. Associée notamment à une alimentation de moins bonne qualité nutritionnelle, elle a des conséquences en matière de santé. Les auteurs rappellent également la diversité des causes de non-recours aux aides dédiées, comme par exemple la complexité des démarches administratives ou des difficultés pratiques d'accès.

Le rapport envisage ensuite les limites structurelles du système actuel d'aide alimentaire. Reposant en grande partie sur le secteur associatif caritatif, fonctionnant grâce au bénévolat, il propose majoritairement des distributions de denrées. Les auteurs relèvent aussi que les politiques publiques récentes ont associé, de manière « paradoxale », la lutte contre le gaspillage et la distribution de l'aide alimentaire, la diminution souhaitée des volumes du premier pouvant réduire la quantité des dons de denrées reçues par la deuxième. Ils soulignent également les « coûts cachés » de ce système (logistiques, administratifs, etc.), ainsi que les inégalités territoriales d'accès et de prise en charge.

Dans une troisième partie, les auteurs analysent le potentiel des dispositifs existants pour promouvoir une sécurité alimentaire durable. Trois principales cibles d'action sont identifiées : i) l'accessibilité économique (aliments gratuits ou à prix réduits, transferts monétaires), ii) l'empowerment individuel (estime de soi, acquisition de connaissances et compétences), iii) l'accessibilité physique. Alors que peu d'évaluations sont disponibles, les premiers éléments avancés ici sont intéressants, comme par exemple le classement des dispositifs selon les critères d'éligibilité et les publics visés (figure ci-dessous). Les débats sur le revenu minimum, universel ou conditionné, et sur une « sécurité sociale de l'alimentation », sont également envisagés.

Classement des dispositifs en fonction de leur cible principale et des critères d'éligibilité

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Source : Terra Nova

Enfin, des « principes directeurs pour une sécurité alimentaire durable » sont détaillés, en envisageant tant les cibles et l'organisation du dispositif que des éléments de contexte politique. Le défi est de passer les réponses « curatives » avec un « dispositif universel de prévention de l'insécurité alimentaire ». Des travaux complémentaires restent toutefois nécessaires et la recherche publique pourrait appuyer l'élaboration, le suivi et l'évaluation d'un tel dispositif.

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Source : Terra Nova

Rick Fantasia, Gastronomie française à la sauce américaine. Enquête sur l’industrialisation de pratiques artisanales, Seuil, septembre 2021, 336 pages

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Rick Fantasia, professeur de sociologie au Smith College, propose dans cet ouvrage une analyse décapante des évolutions de la gastronomie française. Dans un premier temps, il récapitule les processus par lesquels celle-ci s’est structurée à la fin du XIXe siècle, comme un champ à part entière, doté de ses propres enjeux, règles et normes d’évaluation. Se distinguant des pratiques domestiques, comme de l’alimentation industrielle qui apparaît au même moment, la haute cuisine des « chefs » et des grands restaurants est alors consacrée par un nouveau type d’experts, les critiques gastronomiques. Tel Curnonsky, ceux-ci « inventent » la cuisine française traditionnelle et codifient les plats régionaux. Des établissements prestigieux deviennent des institutions, comme le Ritz. Les revues ennoblissent des cuisiniers, à l'image d'Escoffier. « Capital symbolique » fabriqué par la presse, les guides et le concours du Meilleur ouvrier de France, la célébrité des chefs se transmet à leurs apprentis dans le cadre de véritables lignées.

En contrepoint, l’ouvrage met ensuite en lumière le développement des filières agroalimentaires et de la restauration collective. Repoussoir pour les acteurs de la « grande cuisine », ce secteur industriel est à l’origine « symboliquement dominé », à tel point que ses acteurs ne considèrent pas faire le même métier, mais il se développe rapidement dans la deuxième moitié du XXe siècle (voir à ce sujet un précédent billet). Les innovations mises au point sur le marché américain sont diffusées via les voyages d’études (« missions de productivité »), centrés sur la distribution organisés à partir de la fin des années 1940, et grâce à l’internationalisation des entreprises. L’auteur revient notamment sur l’implantation en France de McDonald’s dès 1972, et sur le succès « improbable » des fast-foods auprès d’une jeunesse fascinée par « la magie de l’américanisme ». De façon symétrique à l'analyse de la haute gastronomie, il examine les publications, experts et valeurs qui soutiennent ce déploiement.

Le dernier chapitre montre comment les frontières entre ces deux pôles (haute cuisine et alimentation industrielle) s’affaissent à partir des années 1970, quand de grands chefs comme Guérard, Ducasse ou Robuchon entreprennent de « convertir » leur capital symbolique accumulé en capital économique, en associant leur image à des produits de consommation de masse. Si l'aura des chefs en a pâti, la magie sociale est loin d’être complètement dissipée. L’auteur soutient ainsi, à propos des spécialités régionales, que « le mythe construit autour du '‘local’' et du terroir a fini par camoufler l’infrastructure industrielle » qui les soutient.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions du Seuil

Prospective des productions animales en Pays de la Loire

La Chambre d'agriculture des Pays de la Loire s'est livrée à un exercice de prospective sur diverses productions animales (volaille de chair, viandes porcine et bovine, veaux de boucherie, lait) à l'horizon 2030. Les résultats ont été publiés en septembre et novembre 2021. Elle avait déjà fait le même exercice en 2015 avec 2020 pour horizon. En concertation avec des professionnels, chaque étude a comporté une analyse bibliographique, suivie d'un état des lieux de la filière considérée et d'une exploration des facteurs d'évolution (figure ci-dessous). Plusieurs scénarios ont enfin été élaborés, portant sur le contexte, la demande (à différentes échelles) et l'offre régionale.

Facteurs clés et représentation du système étudié

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Source : Chambre d'agriculture des Pays de la Loire

Retenons ici l'exemple de la volaille de chair, pour laquelle cinq scénarios sont proposés, basés sur des hypothèses de contexte communes : les auteurs retiennent une population nationale de 70 millions d'habitants en 2030, des aléas climatiques et sanitaires accrus, et une croissance économique plus soutenue dans les pays émergents que dans les pays développés. De plus, la demande serait marquée par une augmentation de la consommation nationale de volaille, une stabilité de la part de marché des Pays de la Loire et des exportations vers le Moyen-Orient. Enfin, la production biologique doublerait et la croissance des ateliers de volaille de chair ralentirait.

En scénario tendanciel, la consommation continuant à croître, l'offre locale augmente de 16 %, avec une stagnation de la viande Label rouge et un doublement de l'offre biologique. Un scénario alternatif associe hausse de la consommation nationale de viande et diminution des importations, la production locale augmentant de 17 %. Un scénario de rupture économique comporte une stagnation de la consommation française, avec des acheteurs se tournant vers des produits moins onéreux venant de l’étranger (+ 33 %), ce qui entraîne une baisse des productions nationale (- 14 %) et ligérienne (- 15 %).

Enfin, les deux derniers scénarios envisagent une rupture sociétale, avec le boycott des élevages ne tenant pas compte du bien-être animal, et une chute de la demande (- 5 % par rapport à 2019). Les élevages standards, tous disparus, sont remplacés majoritairement par des élevages free range avec parcours extérieurs dans le premier scénario, par des élevages ECC (European Chicken Commitment) dans l'autre. Pour des raisons de prix, une consommation de poulets standards persiste, sous forme d'importations, et la production nationale comme ligérienne chute fortement (- 29 % et - 35 % en Pays de la Loire selon le scénario). La figure ci-dessous compare les modes de production, pour deux scénarios, qui illustrent bien les conséquences d'hypothèses différentes sur les modes d'élevage.

Part des modes de production dans le volume de poulets produits en 2030 en fonction du scénario tendanciel (gauche) et alternatif (droite)

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Source : Chambre d'agriculture des Pays de la Loire

Franck Bourdy, Centre d'études et de prospective

Source : Chambre d'agriculture des Pays de la Loire

Lien entre PAC et emploi en Hongrie et Slovénie : difficile de tirer des enseignements généraux

Récemment publié dans Land Use Policy, un article analyse l'impact comparé des différentes aides de la PAC sur le travail salarié et non salarié dans les exploitations agricoles hongroises et slovènes. Ces travaux sont basés sur les données du Farm accountancy data network (en France, Réseau d'information comptable agricole - Rica). Les auteurs ont utilisé les données disponibles sur la période 2007-2015. Outre des informations sur les structures (taille économique, orientation technico-économique), cette source fournit des éléments sur le temps de travail, avec une répartition entre la main-d’œuvre salariée et familiale. Elle donne aussi le détail des aides perçues par l'exploitation, selon leur nature. Les auteurs ont ainsi pu différencier les aides du 1er pilier de celles du 2nd pilier, notamment : les paiements agri-environnementaux, les aides aux zones défavorisées et les subventions aux investissements.

Les informations sur les exploitations ont été croisées avec des données macro-économiques à l'échelle des petites régions agricoles (NUTS 3), pour retracer les liens entre le marché du travail agricole et celui des autres secteurs, comme le différentiel de revenu ou le taux de chômage.

Si la Hongrie et la Slovénie sont récemment entrées dans l'Union européenne, leurs exploitations ont des profils différents. Les exploitations hongroises sont généralement de grande taille et elles emploient une forte proportion de salariés. À l'inverse, les exploitations familiales, de taille plus modeste, sont majoritaires en Slovénie. Sur la période 2007-2015, la baisse de l'emploi agricole y a été importante et elle s'est accompagnée d'une diminution des soutiens de la PAC (figure ci-dessous, gauche). En Hongrie, le recul des aides est plus récent et plus faible, et l'emploi presque stable (figure ci-dessous, droite).

Évolution comparée de l'emploi en agriculture (unité de travail annuel - UTA), selon le type de main-d’œuvre, et du montant des soutiens de la PAC (par exploitation et par an), en Slovénie (gauche) et en Hongrie (droite)

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Source : Land Use Policy

Lecture : sur l'échelle de gauche (histogrammes), main-d’œuvre en UTA par exploitation, familiale (bleu) et salariée (orange) ; sur l'échelle de droite (courbes), montants des aides de la PAC perçus par exploitation, en euros.

L'analyse économétrique menée n'a pas permis de dégager une conclusion générale sur l'impact des aides de la PAC sur l'emploi agricole (tableau ci-dessous). Les aides du 1er pilier renforcent l'emploi total en Hongrie, mais seulement l'emploi familial en Slovénie, alors que celles du 2nd pilier n'ont un impact que sur les exploitations familiales slovènes. Les auteurs concluent sur la nécessité de prendre en compte la diversité des structures d'exploitation, le type de main-d’œuvre et les interactions avec le marché du travail, pour mieux élaborer des politiques visant à maintenir l'emploi ou à en créer.

Synthèse des résultats sur les liens entre types d'aides et formes d'emploi agricole en Hongrie et Slovénie

hongrie slovenie 2.jpg

Source : Land Use Policy

Lecture : effet positif significatif à moins de 1 % ; ns : non significatif ; s5 % ou -s5 % : effet significatif à 5 %, positif ou négatif respectivement ; s10 % ou -s10 % : effet significatif à 10 %, positif ou négatif respectivement.

Muriel Mahé, Centre d'études et de prospective

Source : Land Use Policy

14/12/2021

Les facteurs influençant les cessations d'activité précoces des exploitants agricoles

Le numéro de décembre 2021 de l'European Review of Agricultural Economics présente une analyse économétrique des cessations précoces d'activité des exploitants français, et de leurs déterminants structurels et économiques, complémentaire des travaux sociologiques sur le sujet. À partir des données de la Mutualité sociale agricole, les chercheurs ont étudié la probabilité de cessation avant 50 ans, en fonction de la situation des exploitations mais aussi de celle des structures voisines. Ils trouvent notamment que le revenu des agriculteurs a un effet négatif sur la décision de sortie précoce, mais contrasté : il a plus d'impact sur les individus plus jeunes et dotés de petites surfaces. La pluriactivité, quant à elle, favorise les départs. Enfin, le voisinage a d'importants effets d'agglomération et d’entraînement : la densité locale d'exploitations et leur résultat moyen diminuent le risque de cessation, mais les exploitants en-dessous de la moyenne du voisinage sont plus sensibles à leur position relative que les autres.

Source : European Review of Agricultural Economics

L’impact de régimes complémentaires d'alimentation sur la performance des colonies d’abeilles

Un article publié en octobre 2021 dans la revue PlosOne propose une évaluation comparative de l’impact d’une alimentation complémentaire sur la santé et la performance des colonies d’abeilles au Pakistan. La disponibilité de la ressource alimentaire en pollen (source de protéines notamment) et en nectar (source d’énergie) est en effet une variable importante pour la conduite des cheptels apiaires. Les auteurs se sont attachés à analyser différents paramètres, témoignant d’une performance plus élevée, comme la charge pollinique, la surface du couvain scellée par les ouvrières, la densité de population et le rendement en miel. Pour ce faire, ils ont travaillé sur cinq groupes de trois colonies ne présentant aucun trouble de santé. En comparant avec le groupe témoin, qui bénéficiait uniquement d’un complément alimentaire en sucre, le résultat de l’étude montre que des compléments protéiques permettent d’améliorer ces paramètres.

Source : PlosOne

Réduire le gaspillage alimentaire à l’aide du numérique

Pour 2019, les pertes et gaspillages de denrées alimentaires sont estimés environ à 930 millions de tonnes dans le monde, dont 61 % au niveau des ménages. Publié récemment et coordonné par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), le rapport Reducing consumer food waste using green and digital technologies donne un aperçu des causes de ce gaspillage et des possibilités de le réduire, en s’appuyant notamment sur des solutions technologiques. Pour cela, plusieurs techniques sont présentées (figure ci-dessous) et les démarches engagées dans cinq villes sont comparées.

Aperçu des technologies vertes et digitales ciblant les surplus alimentaires, pour les prévenir (prevention) ou les réutiliser (re-use)

gaspillage.jpg

Source : PNUE

Les auteurs notent que les greentech ne règlent rien à elles seules, le rôle de l’État étant essentiel pour fixer objectifs, réglementations, instruments économiques et infrastructures de gestion de déchets. Elles peuvent cependant être un catalyseur pour soutenir les initiatives menées par différents acteurs. Ces greentech ciblant le gaspillage alimentaire doivent cependant surmonter les difficultés du changement d’échelle pour sortir de leur marché de niche.

Source : Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE)

08:45 Publié dans Alimentation et consommation | Lien permanent | Tags : gaspillage, technologies, greentech |  Imprimer | | | | |  Facebook