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14/02/2018

Brexit : le Royaume-Uni face au risque de fragmentation de sa politique agricole

Si le Brexit doit amener le Royaume-Uni à rapatrier les compétences européennes en matière de politiques et de normes sur l'agriculture, le niveau de centralisation de la future politique agricole du pays reste une question controversée. Une note du Centre on Constitutional Change alerte sur la nécessité de définir un cadre préservant une certaine harmonisation au sein du pays, et souligne les risques d'une fragmentation que les politiques européennes avaient permis jusque-là de limiter.

La PAC prévoit d'importantes flexibilités dans sa mise en œuvre par les États membres, et le Royaume-Uni les a pleinement mobilisées. En matière d'aides en particulier, l'enveloppe allouée au pays est redistribuée ensuite par Londres aux différentes nations, chacune définissant ses priorités. Les choix de l'Angleterre, axés sur le marché et la compétitivité, se sont ainsi écartés de ceux de l’Écosse, du Pays de Galles et de l'Irlande du Nord, dont les zones agricoles sont en majorité défavorisées. Or, malgré cette flexibilité, une certaine harmonisation est garantie par les règlements de la PAC selon l'auteur, ainsi que par les normes européennes qui, dans des domaines comme la sécurité sanitaire des aliments, sont appliquées de manière plus uniforme.

Avec le Brexit, cette harmonisation, interne au Royaume-Uni, pourrait ne plus être assurée. En théorie, chacune des nations pourrait développer ses propres politiques et ses propres normes, mais la note évoque différentes raisons d'éviter une trop forte divergence. D'une part, la « fragmentation » du marché intérieur britannique pourrait être néfaste, même si cette notion reste encore mal définie à l'échelle d'un pays. D'autre part, dans la perspective d'un nouveau cadre de relations avec l'Union européenne et d'accords commerciaux avec des pays tiers, l'application des normes européennes ou équivalentes devrait s'imposer pour pouvoir accéder au marché européen, d'après l'auteur.

Au total, la définition d'un cadre harmonisé pour la future politique agricole du Royaume-Uni représente un défi de taille. Si sa nécessité en matière de normes semble faire consensus, c'est moins le cas concernant les politiques de soutien à l'agriculture. Un travail sur le niveau d'uniformité nécessaire a été entrepris, mais il se heurtera à des rapports de force politiques entre Londres et les autres nations constitutives.

Alexandre Martin, Centre d'études et de prospective

Source : Centre on Constitutional Change

11:24 Publié dans 4. Politiques publiques | Lien permanent | Tags : royaume-uni, brexit, politique agricole |  Imprimer | | | | |  Facebook

La sécurité alimentaire européenne et française pourrait être améliorée tout en préservant davantage certaines ressources naturelles

L'intensification durable de l'agriculture apparaît de plus en plus nécessaire pour garantir la sécurité alimentaire tout en limitant le changement environnemental global. Des chercheurs de l'université d'Amsterdam ont publié un article sur ce sujet, dans la revue Global Environmental Change en janvier 2018. Ils y explorent, via une analyse cartographique, le potentiel d'intensification durable de l'agriculture européenne et évaluent l'impact de cinq mesures sur les zones à forts potentiels identifiées.

Dans le cadre conceptuel développé par les auteurs, la possibilité d'intensifier durablement l'agriculture à un endroit donné dépend des caractéristiques socio-économiques et environnementales de cette zone (voir figure ci-dessous). En particulier, les agriculteurs jeunes, mieux formés, propriétaires et travaillant sur de grandes exploitations, sont plus enclins à adopter des mesures innovantes d'intensification durable. Ils le sont également d'autant plus dans les régions où les consommateurs se sentent concernés par les questions environnementales et sont friands de produits biologiques et végétariens/végétaliens. Le potentiel d'intensification durable d'une zone dépend aussi des opportunités agronomiques inexplorées et de l'usage parfois sous-optimal des ressources naturelles (notamment en matière de rareté de l'eau et d'érosion des sols). Enfin, les cinq mesures étudiées sont la réduction des écarts inter-récoltes (périodes entre deux récoltes), le recours au non-labour, l'irrigation déficitaire, l'abandon de cultures non primordiales pour la sécurité alimentaire et la réduction des pertes alimentaires.

Cadre conceptuel développé pour évaluer le potentiel d'intensification durable de l'agriculture

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Source : Global Environmental Change

Les résultats (voir figure ci-dessous) suggèrent que 34 % des terres arables européennes se situent dans des zones à fort potentiel d'intensification durable. Elles sont en France, en Italie et au Danemark. Pour l'Hexagone, cela s'explique par une population d'agriculteurs relativement jeune, qualifiée et travaillant sur de grandes exploitations, d'une part, et par un écart inter-récoltes élevé qui pourrait donc être réduit, d'autre part. Des progrès pourraient également être réalisés dans la gestion quantitative de l'eau. Enfin, les auteurs montrent que la mise en place de mesures d'intensification durable dans les zones à fort potentiel a un impact positif sur la production d'aliments (mesurée ici en calories) et sur l'utilisation des ressources (terres, eau et sols).

Zones à fort potentiel d'intensification durable de l'agriculture en Europe

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Source : Global Environmental Change

Estelle Midler, Centre d'études et de prospective

Source : Global Environmental Change

11:21 Publié dans Agronomie, Environnement, Sécurité alimentaire | Lien permanent | Tags : intensification durable |  Imprimer | | | | |  Facebook

Automatisation et numérisation : des conséquences importantes sur l'organisation et le contenu du travail

Après les impacts sur le volume d'emplois (tome 1) et sur les compétences (tome 2), le Conseil d'orientation pour l'emploi vient de publier le dernier volet d'une analyse multidimensionnelle des conséquences de l'automatisation et du numérique, consacré au contenu du travail et à la façon de travailler. Considérant notamment l'agriculture et l'agroalimentaire, cette étude très vaste, qui couvre l'ensemble de l'économie et une grande diversité de situations de travail, débute par un rappel du cadre théorique d'analyse des impacts de l'adoption de nouvelles technologies au sein des entreprises, ainsi que sur leur environnement (théorie des organisations, sociologie et psychologie du travail, économie). La revue de la littérature, mais également les nombreux entretiens et enquêtes menés, confirment que l'évolution actuelle est sans équivalent dans l'histoire industrielle par son ampleur et la profondeur des changements, à tous les stades de la chaîne de valeur. C'est en particulier le cas pour le secteur alimentaire.

Des avancées technologiques qui impactent toute la chaîne de valeur du secteur alimentaire

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Source : Opcalim pour le Conseil d'orientation pour l'emploi

Contrairement aux précédentes « révolutions » industrielles, aucun modèle d'organisation du travail (ancien ou néo-taylorisme, post-taylorismes, fordisme, toyotisme) ne se démarque, de façon privilégiée, comme étant le plus adapté pour accompagner la diffusion et l'adoption des innovations technologiques. C'est pourquoi, selon les auteurs, ce sont des couples évolutions organisationnelles-technologies qui doivent être analysés en parallèle. En effet, au-delà des process, ces innovations modifient nos façons de communiquer, de collaborer ou de coordonner notre travail, tout en changeant le cadre spatio-temporel dans lequel nous exerçons nos activités (télétravail, coworking, messageries, etc.).

Dans une seconde partie, s'appuyant en premier lieu sur une analyse statistique des données sur les conditions de vie au travail (DARES), le rapport s'enrichit d'approches qualitatives éclairant la grande diversité des conséquences (souvent ambivalentes) de l'adoption du numérique, de l'automatisation ou de la robotisation sur l'intensité du travail, sa complexité et son intérêt. C'est le cas avec l'étude menée par l'Agence régionale pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), auprès d'exploitations laitières du Grand-Est, sur les implications de l'introduction de robots de traite : celle-ci s’accompagne d’une transformation significative du métier d'éleveur, d'une amélioration de la qualité de la vie sans baisse de la charge de travail. Cette dernière se reporte en effet sur des tâches plus cognitives (exploitation des données notamment), accroissant les risques de dépendance aux outils numériques.

La troisième partie du rapport est d'ailleurs consacrée à une analyse fine des opportunités et des risques liés aux changements technologiques, pointant l'importance d'une conduite du changement menée avec les travailleurs concernés pour mieux atteindre les objectifs poursuivis par l'introduction de ces innovations.

Muriel Mahé, Centre d'études et de prospective

Source : Conseil d'orientation pour l'emploi

11:18 Publié dans Agriculteurs, IAA, Société, Travail et emploi | Lien permanent | Tags : coe, automatisation, numérisation, travail |  Imprimer | | | | |  Facebook

Le JRC modélise les effets, à 2030, de trois scénarios de la future PAC

Le Joint Research Center (JRC) de la Commission européenne a publié, fin décembre 2017, une prospective à 2030 modélisant les effets de trois scénarios contrastés de la future politique agricole commune post-2020.

Les trois scénarios choisis sont comparés à un scénario de référence correspondant à la politique actuelle. Le premier, « Revenus et environnement » (Inc & Env) correspond à un renforcement de la conditionnalité agri-environnementale, avec un maintien du budget de la PAC. Le deuxième, axé sur la libéralisation et la productivité (Lib & Prod), inclut une grande ouverture des échanges, la suppression des paiements directs du premier pilier et une réorientation du second pilier vers des mesures d'accroissement de la productivité. Enfin, le troisième scénario (NoCAP) consiste en une suppression de tous les soutiens publics à l'agriculture.

Scénarios modélisés

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Source : JRC

Ces trois scénarios, ainsi que la trajectoire de référence, ont été modélisés au niveau national avec le modèle MAGNET (Modular Applied GeNeral Equilibrium Tool), à l'échelle régionale à l'aide de CAPRI (Common Agricultural Policy Regionalised Impact), et au niveau des exploitations avec IFM-CAP (Individual Farm Model for Common Agricultural Policy Analysis). Leurs effets à 2030 sont ainsi comparés pour la production agricole, le revenu des agriculteurs, l'emploi dans le secteur agricole, les surfaces cultivées, les excédents d'azote et les émissions de gaz à effets de serre (GES).

Impacts à 2030 des différents scénarios

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Source : JRC

Les deux derniers scénarios entraînent un important recul de la production agricole, de l'emploi et des revenus, de surcroît plus inégalement répartis. La baisse des émissions de GES qui en résulte serait, par ailleurs, contrebalancée dans les autres régions du monde auprès desquelles l'Europe devrait s'approvisionner, devenant importatrice nette de produits agricoles. Le premier scénario permet un accroissement des revenus agricoles et une légère réduction des excédents d'azote, mais reste insuffisant pour avoir des effets sur les zones où ce surplus est le plus fort.

Plus largement, ce travail fait ressortir les effets directs et indirects de la PAC actuelle, et rappelle, par la comparaison de différents objectifs stratégiques, l'importance de les prioriser et de les cibler.

Jean-Noël Depeyrot, Centre d'études et de prospective

Source : Commission européenne

11:14 Publié dans 1. Prospective, 4. Politiques publiques, PAC | Lien permanent | Tags : jrc, pac post-2020, scénarios |  Imprimer | | | | |  Facebook

13/02/2018

Politique alimentaire européenne : malgré un bilan positif, la confiance des citoyens fait défaut

Le cadre juridique européen en matière alimentaire, et les principes qui y sont associés, ont permis d’atteindre les objectifs fixés et demeurent adaptés au contexte actuel. Telle est la conclusion de l’évaluation (« bilan de qualité » réalisé par les services de la Commission sur la base d'études antérieures) du règlement (CE) n°178/2002 établissant la législation alimentaire générale. Des points faibles sont également identifiés, en particulier en matière de durabilité et de confiance. Adopté en 2002, ce règlement définit les objectifs et les principes sur lesquels repose l’ensemble des législations européennes de sécurité sanitaire. D'après le rapport, les principaux objectifs du règlement sont atteints : les denrées alimentaires sont aujourd’hui plus sûres, l’intérêt des consommateurs est mieux garanti et le fonctionnement du marché intérieur européen est préservé.

Plusieurs facteurs ont contribué à ces bons résultats, selon l’évaluation. L’application systématique du principe d’analyse des risques (centralisée à l’échelon européen et s'appuyant sur des fondements scientifiques renforcés), a permis de gagner en efficacité. La séparation des fonctions d’évaluation et de gestion des risques, et l’utilisation proportionnée du principe de précaution ont renforcé le niveau de protection de la santé publique. Le degré élevé d’harmonisation atteint dans la législation alimentaire européenne a contribué à améliorer le fonctionnement du marché intérieur, et à consolider la compétitivité internationale du secteur.

Mais des faiblesses sont aussi identifiées dans la capacité de ce règlement à garantir la durabilité du système alimentaire et le niveau de confiance des citoyens. La défiance qui s’exprime dans l’opinion publique, vis-à-vis des autorités européennes chargées de la sécurité sanitaire, constitue l’un des principaux défis selon le rapport. Malgré des progrès considérables, la transparence dans l’analyse des risques demeure insuffisante, et l’Agence européenne de sécurité sanitaire (EFSA) est perçue par les médias et la société civile comme insuffisamment indépendante. Cela nuit à la confiance des consommateurs et à l’adhésion des citoyens aux décisions prises, au niveau européen, en matière de gestion des risques.

Le rapport conclut à la nécessité de renforcer la transparence, la fiabilité et l’indépendance des études scientifiques servant la décision publique. Il fait écho en cela aux travaux menés actuellement par France Stratégie sur le rôle de l’expertise face à la crise de confiance.

Alexandre Martin, Centre d'études et de prospective

Source : Commission européenne

La Cour des comptes européenne critique l'inefficacité environnementale du verdissement de la PAC

La Cour des comptes européenne a publié en décembre 2017 un audit du « verdissement » (ou « paiement vert »), introduit en 2014 dans la Politique agricole commune (PAC) pour rémunérer les bénéficiaires pour les biens publics qu'ils fournissent. Cette aide concerne tous les agriculteurs et repose sur des exigences de diversification des cultures, de maintien des prairies permanentes et de préservation de surfaces d'intérêt écologique (SIE). Le rapport se base notamment sur l'analyse de documents de la Commission, des entretiens au niveau européen, des échanges avec cinq États membres (dont la France), un examen documentaire du risque de double financement pour dix autres pays. Les changements de pratiques agricoles pouvant être attribuables au verdissement ont également pu être approximés.

Les auditeurs démontrent l'absence d'une logique d'action complète du verdissement et soulignent le manque d'état de référence et d'objectifs environnementaux clairement définis. Ils rappellent que si l'ambition environnementale du paiement vert était initialement haute, elle a été sensiblement édulcorée par le processus législatif (voir figure ci-dessous), alors que son budget annuel de 12 milliards d'€ (30 % des paiements directs) n'a pas évolué. Il représente en moyenne une aide de 80 €/ha par an, tandis que la Commission avait estimé à 30 €/ha le coût annuel de mise en œuvre des mesures dans leur version ambitieuse. Enfin, le changement de pratiques agricoles imputable au verdissement n'aurait concerné que 5 % des terres cultivées.

Le rapport conclut donc à la probable inefficacité environnementale de cette aide au revenu. Cette inefficacité résulte de son faible niveau d'exigence (qui correspond globalement à la pratique agricole normale), de l'ampleur des exemptions (76 % des agriculteurs en 2015) et des choix de mise en œuvre des États membres (EM), plus guidés par le souhait d'alléger la charge de gestion administrative que de maximiser les effets environnementaux. Les auditeurs analysent à ce titre comment le paiement vert a fortement complexifié la PAC pour les agriculteurs et les autorités de gestion.

Enfin, la Cour recommande de dresser un bilan de la mise en œuvre de la politique agricole actuelle. Pour la prochaine programmation, une logique d'intervention complète serait à construire, avec des objectifs et un suivi spécifiques. La PAC post-2020 devrait imposer à tous ses bénéficiaires un ensemble de normes environnementales de base, intégrant celles de la conditionnalité et du verdissement. Les EM devraient alors être tenus de démontrer l'efficacité et l'efficience de leurs choix de mise en œuvre.

Les ambitions environnementales du verdissement ont été revues à la baisse au cours du processus législatif. Les flèches vertes, blanches et rouges indiquent respectivement l'amélioration, le maintien ou la réduction de l'ambition environnementale.

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Source : Cour des comptes européenne

Vanina Forget, Centre d'études et de prospective

Source : Cour des comptes européenne

Quelles conséquences de la décentralisation sur l'efficacité et la légitimité des politiques de préservation des espaces agricoles péri-urbains ?

En Europe, 800 km² de terres agricoles disparaissent chaque année en raison de l'étalement urbain. En réponse à cela, plusieurs pays ont, depuis longtemps, instauré des outils visant à infléchir cette tendance. C'est le cas de la France et de l'Italie, où la préservation des espaces agricoles péri-urbains est un objectif des pouvoirs publics depuis les années 1960. Dans le même temps, ces deux pays ont largement décentralisé, à partir des années 1980, la gestion des compétences d'aménagement du territoire, ce qui questionne leur capacité à atteindre cet objectif.

C'est dans ce contexte que s'inscrit le travail conduit par une équipe d'universitaires franco-italiens et publié dans la revue Land Use Policy. Il vise à évaluer les conséquences de la décentralisation sur l’efficacité et « l'acceptabilité sociale » des politiques de préservation des espaces agricoles. Leur étude est fondée sur l'analyse qualitative des modes de gouvernance, à partir d'observations participatives et d'entretiens, et s’appuie sur la comparaison de deux métropoles caractérisées par un étalement urbain important : Montpellier et Rome. L'analyse s'étend sur la période 1960-2015.

Étalement urbain autour de la métropole de Montpellier

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Source : Land Use Policy

Pour ces deux métropoles, les auteurs montrent que la décentralisation s'est d'abord traduite par une plus grande complexité des procédures et une accélération de l'étalement urbain, notamment en raison des pressions exercées sur les maires par les propriétaires de foncier agricole pour que leurs terres soient converties en terrains à bâtir. Par ailleurs, l'inégalité de traitement des propriétaires, d'une commune à l'autre, a exposé les élus les plus protecteurs du foncier agricole à de vives contestations.

Toutefois, les auteurs constatent que, dans un second temps, la décentralisation a permis l'émergence de nouveaux modes de gouvernance à l'origine de politiques publiques plus performantes. Ainsi, à Montpellier, une cogestion de fait s'est progressivement instaurée avec le syndicat agricole majoritaire. Il en a résulté des politiques de préservation du foncier agricole efficaces, mais pas toujours bien acceptées en raison du choix, contesté, de l'interlocuteur privilégié par les pouvoirs publics. À Rome, des formes nouvelles d'élaboration des politiques d'aménagement du territoire sont apparues. Basées sur des processus participatifs larges, incluant l'ensemble des parties prenantes, elles sont jugées à la fois plus efficaces et garantes d'une bonne acceptation sociale. Pour ces raisons, les auteurs appellent à privilégier ce type d'approches, et ce en dépit de leurs limites (difficultés pratiques de mise en œuvre notamment).

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : Land Use Policy

Organisation et diffusion de données aux services vétérinaires publics : vers des systèmes contextualisés ?

Un article, publié dans BMC Veterinary Research par des chercheurs italiens de l'Institut de zooprophylactique expérimentale de Vénétie et du Laboratoire d'ontologie appliquée de Trente, propose une réflexion sur les systèmes de contextualisation des données utiles aux services vétérinaires, alors que se multiplient ces informations du fait notamment du big data. Les données en question sont de nature géographique, écologique, épidémiologique ou encore génétique. Pour filtrer ces informations, la méthode des auteurs comporte plusieurs étapes : classification des données, intégration, sélection et distribution adaptée aux publics concernés (éleveurs, vétérinaires praticiens, industriels de l'agroalimentaire, etc.).

Exemple de diagramme de flux de données avec une distribution flexible en fonction de la classification des utilisateurs et de la contextualisation des scénarios

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Source : BMC Veterinary Research

À titre d'exemple, en cas de suspicion de foyer d'influenza aviaire, l’information utile pour l'éleveur sera le résultat du test, qui déterminera ou non l'abattage de son élevage, alors que l'autorité publique examinera, elle, la situation sanitaire régionale et sur une période plus longue. En routine, la maîtrise sanitaire repose sur la mise en œuvre des plans de surveillance, dont les données actualisées régulièrement. Plus complexe, la gestion des situations d'urgence implique de surveiller différents systèmes d'alerte, de façon à identifier le type d'incident, à le localiser et en surveiller l'évolution. Ce suivi nécessite, à l'échelon mondial, des bases de données informatiques flexibles, avec différents indicateurs.

Les auteurs illustrent leur analyse à travers plusieurs exemples au niveau international. L'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a ainsi créé un système d'information (EMPRES, Emergence Prevention System) doté d'un logiciel spécifique, offrant des cartographies combinées à des données issues de bases locales de différents pays. L'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) dispose aussi de la plateforme WAHIS. Certaines bases utilisent les systèmes d'information géographique (SIG) avec des données spéciales sur les mouvements animaux. Autre exemple, la plate-forme Livestock-geo-wiki, qui renseigne sur les populations animales. Ces différents systèmes permettent d'avoir une vision intégrée de la santé animale.

Madeleine Lesage, Centre d'études et de prospective

Source : BMC Veterinary Research

12/02/2018

Consommateurs américains : une étude sur leur degré d'acceptation du lait de vaches clonées

Ce travail, publié dans Food Policy en janvier 2018, s'inscrit dans le contexte du moratoire actuel sur la commercialisation de ce produit par le ministère américain de l'Agriculture (USDA). Ce moratoire a suivi, en 2008, l'avis de la Food and Drug Administration (FDA), considérant que la viande et le lait des vaches clonées étaient aussi sains que ceux des vaches élevées de façon conventionnelle, et ne justifiaient donc pas d'étiquetage particulier.

Pour caractériser le degré d'acceptation des consommateurs en la matière, une expérimentation a été menée en octobre 2012 sur un échantillon de 148 adultes, dans quatre sites de l’État du Delaware : un parc public, un magasin d'alimentation « naturelle », un marché fermier urbain et l'université du Delaware. Le texte de la FDA, sur l'innocuité du lait de vaches clonées, a été lu aux participants et des récipients de lait (issu ou non d'animaux clonés) leur ont été présentés. Chaque participant devait choisir la compensation minimale (entre 0 et 5 $) qu'il estimait juste pour échanger une tasse de lait « conventionnel » contre une tasse de lait issu de vaches clonées. Une compensation nulle signifiait une indifférence vis-à-vis du mode de production, une compensation de 5 $ signifiait une faible probabilité de consommer le deuxième type de lait.

La compensation moyenne demandée par les individus était de 2,65 $, avec des différences selon les sites : la plus élevée dans le magasin d'alimentation « naturelle » (3,18 $), la plus basse à l'université (1,44 $). Un quart de l'échantillon ne demandait pas de compensation, alors qu'un tiers demandait la compensation maximale de 5 $. Cette hétérogénéité des préférences pourrait conduire, lors d'une éventuelle mise sur le marché, à des étiquetages volontaires du lait garanti « conventionnel », comme cela s'est déjà produit avec le lait garanti sans Bst (somatotropine bovine, hormone augmentant la production laitière). Les consommateurs veulent pouvoir identifier ces produits pour faire leurs achats en connaissance de cause. L'article analyse aussi les possibles facteurs explicatifs de cette hétérogénéité, parmi lesquels les sensibilités et connaissances des répondants en matière d'éthique, de santé des animaux clonés, d'impacts environnementaux et de sécurité sanitaire des produits.

Madeleine Lesage, Centre d'études et de prospective

Source : Food Policy

10:59 Publié dans Alimentation et consommation | Lien permanent | Tags : clonage, vaches clonées, lait, acceptation |  Imprimer | | | | |  Facebook

Quels leviers pour renforcer la compétitivité de l'agriculture et de l'agroalimentaire français ? : l'avis du CESE

En février, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu un avis sur l'amélioration de la compétitivité du secteur agricole et agroalimentaire. Il confronte notamment les positions des représentants des salariés, des entreprises et des agriculteurs.

La compétitivité y est définie comme la capacité des filières à fournir une alimentation répondant aux besoins sociétaux en matière de santé, de qualité et de préservation de l’environnement, à des prix acceptables pour les consommateurs et les travailleurs. Les auteurs préconisent d'encourager la production des filières déficitaires, afin de répondre aux besoins intérieurs, et d'orienter les exportations vers les produits à haute valeur ajoutée, en privilégiant des modes de production valorisant le facteur travail ainsi que l'agro-écologie, et incitant l'aval de la filière à une plus forte contribution à la réduction des coûts. Pour cela, différentes priorités politiques sont proposées : promouvoir la spécificité des produits alimentaires dans les accords internationaux ; veiller au respect des normes sanitaires et environnementales pour les produits importés ; améliorer la répartition de la valeur ajoutée ; réorienter les politiques agricoles vers davantage de territorialisation et de soutien aux pratiques respectueuses de l’environnement ; mobiliser les politiques non agricoles (recherche et innovation, droit foncier, fiscalité, droit social) ; sensibiliser davantage les consommateurs sur les questions alimentaires.

L'avis a été adopté par le CESE, mais a fait l'objet de positions contrastées (voir figure ci-dessous). Comme développé dans les positions accompagnant l'avis, les organisations salariales et associations de protection de l'environnement l'ont approuvé, en particulier pour sa définition élargie de la notion de compétitivité. Les représentants des agriculteurs et des entreprises ont voté « contre » car il comporte, selon eux, une liste trop importante de préconisations non opérationnelles. Les premiers regrettent également que la réduction des charges et la simplification de la fiscalité ne soient pas assez mises en avant parmi les facteurs de compétitivité. Les seconds déplorent que la compétitivité prix et le cas des agro-industries ne soient pas traités.

Résultats du vote sur l'avis du CESE

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Source : CESE

Raphaël Beaujeu, Centre d'études et de prospective

Source : CESE

10:56 Publié dans Filières agricoles, IAA | Lien permanent | Tags : cese, compétitivité |  Imprimer | | | | |  Facebook

Une étude remet en question l'efficacité des prélèvements de loups pour protéger les élevages aux États-Unis

La protection des troupeaux domestiques contre les loups, dans la péninsule supérieure de l’État du Michigan, aux États-Unis, a récemment fait l'objet d'une évaluation. Les travaux, menés par deux chercheurs en sciences de l'environnement de l'université du Wisconsin et un biologiste retraité du U.S. Fish and Wildlife Service, ont été récemment publiés par la revue PLOS One. Ils se concentrent sur les deux mesures proposées aux éleveurs dans l’État : le prélèvement de loups par piégeage puis abattage à proximité de l'exploitation ; la subvention de clôtures d'effarouchement ou de chiens de protection.

Les auteurs prennent comme point de départ une étude menée dans les Rocheuses, qui a conclu à une réduction du risque de nouvelle attaque en cas d'élimination de loups à l'échelle du territoire de la meute, risque qui serait minimisé en cas de destruction de la meute entière. Les scientifiques ayant travaillé dans le Michigan critiquent ces résultats, en raison notamment de l'absence de prise en compte du déplacement de la probabilité d'attaque vers les exploitations alentours, ainsi que de l'éventuelle augmentation de la prédation liée à la recolonisation du territoire libéré par la meute détruite. En effet, comme ils le rappellent, de nombreux travaux montrent que l'abattage de loups dans une meute peut provoquer le départ brutal de certains des membres survivants, qui occasionnent par la suite des dégâts lors de leur errance.

Face à cette controverse, les auteurs ont développé une analyse statistique à trois échelles territoriales pour la période 1998 à 2014 (2,6 km2, 93,2 km2 et 829 km2).

Évolution, entre 1999 et 2015, du nombre : d'attaques confirmées, de piégeages avec abattages, de déploiements de mesures d'effarouchement, d'attaques non suivies de mesures appliquées et de loups (Michigan, en dixièmes)

Loups.jpg

Source : PLOS One

Ils concluent que les mesures de prélèvement par abattage ne réduisent pas significativement les risques pour l'exploitation attaquée et augmentent la probabilité d'attaques chez les éleveurs voisins, contrairement aux mesures d'effarouchement. Ils recommandent donc de suspendre les prélèvements de loups et de favoriser les mesures de protection non létales (chiens de protection, clôtures électrifiées garnies de rubans colorés et sonores - fladry).

Alexis Grandjean, Centre d'études et de prospective

Source : PLOS One

État des lieux des solutions alternatives aux traitements cupriques

Les restrictions réglementaires d'usage (voire la potentielle interdiction) du cuivre, fongicide et bactéricide naturel remis en cause pour sa phytotoxicité et son écotoxicité, posent des difficultés à l'agriculture biologique, puisqu'elle prohibe tous produits de synthèse. À la demande du métaprogramme « Gestion durable de la santé des cultures », les alternatives aux phytosanitaires à base de cuivre ont fait l'objet d'une expertise scientifique collective (ESCo), menée par l'Inra et l'ITAB. Livrée en janvier 2018, elle a mobilisé une dizaine d'experts et s'est appuyée sur 900 articles scientifiques et documents techniques.

Le cuivre est un puissant protecteur de la vigne et de la pomme de terre contre le mildiou, et des pommiers contre la tavelure. D'après de nombreuses études, il pourrait être utilisé à dose réduite, sans restreindre le niveau de protection des cultures, ou être remplacé par des méthodes alternatives. Les principes d'action majeurs de ces protections sans cuivre sont l'attaque directe du pathogène (substances biocides, lutte biologique directe, etc.), l'exploitation des capacités de résistance des plantes (variétés résistantes, stimulateurs de défense des plantes, etc.) et l'anticipation de l'infection par des pratiques agronomiques prophylactiques (sélection sanitaire des semences, diversification spatiale et temporelle des variétés, etc.). Toutefois, considérées séparément, ces solutions n'ont qu'un effet partiel : c'est intégrées dans des stratégies systémiques de lutte qu'elles seraient les plus intéressantes.

Trois projets de recherche européens et un français ont évalué l'efficacité comparée de systèmes associant plusieurs de ces leviers. L'amélioration variétale apparaît indispensable à tous les systèmes de protection sans cuivre, dont l'efficacité s'est révélée équivalente à celle comprenant du cuivre lors d'expérimentations pilotes.

L'ESCo souligne néanmoins que le développement par la recherche de systèmes économes voire sans cuivre ne peut suffire en lui-même. En effet, ces alternatives ne sont pas toujours acceptées par les acteurs, qui sont freinés par les risques techniques et économiques qu'un bouleversement des pratiques engendrerait. Pour les auteurs, des efforts réglementaires et des ajustements restent donc à faire, tout au long de la filière, pour faciliter l'adoption de ces systèmes de protection innovants.

Les méthodes alternatives aux traitements cupriques et leurs actions sur le cycle de vie des agents pathogènes

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Source : INRA

Armelle Huille, Centre d'études et de prospective

Source : Inra

09/02/2018

Origine et évolution de deux conceptions de l'agriculture

Le journaliste Charles C. Mann publie, dans The Atlantic, un article sur son dernier ouvrage The Wizard and the Prophet sorti en janvier 2018. Tenant compte de la croissance démographique d'ici 2050, il rend compte de deux grandes visions du rôle de l'agriculture, celle des « environnementalistes apocalyptiques » (les « Prophets »), annonceurs des impacts négatifs de l'augmentation de la population et de la consommation, et celle des « techno-optimistes » (les « Wizards »), qui proposent des solutions technologiques pour les surmonter. Ces visions ne datent pas d'hier et l'auteur revient sur leur histoire et leurs déclinaisons concrètes en matière d'agronomie et d'innovation. William Vogt (auteur de Road to Survival, 1948) a posé les bases du mouvement environnementaliste moderne, tandis que Norman Borlaug (1914-2009) est considéré comme le père de la « Révolution verte ». L'agriculture intensive, avec des perspectives à court et moyen termes, vise la croissance de la productivité par unité de surface par l'utilisation d'intrants chimiques ; l'agriculture écologique, privilégiant le long terme, respecte les « capacités de charge », limites écologiques des écosystèmes.

Le contexte ayant évolué (terres à cultiver limitées, pollution de l'eau par les engrais azotés, etc.), le courant « productiviste », dans les années 1990, investit la génétique en développant les OGM, par exemple avec le soja Roundup Ready de Monsanto, ou en refaçonnant la photosynthèse, par exemple avec le riz C4 porté par le C4 Rice Consortium. De son côté, le courant « écologiste » propose, à travers des institutions telles que le Rodale Institute et le Land Institute, d'orienter la recherche vers des variétés pérennes moins érosives pour les sols, vers les tubercules et les arbres qui, en Afrique et en Amérique latine, ont une productivité comparable à celle des céréales (le manioc, par exemple, produit plus de calories par unité de surface que le blé).

Enfin, l'auteur souligne le rôle de la main-d’œuvre : la mécanisation et la quasi-monoculture de la deuxième moitié du XXe siècle ont coïncidé avec la demande de bras par l'industrie, ce qui n'est plus le cas actuellement, la population des bidonvilles augmentant dans certaines régions. Une vision alternative passerait par la réduction de la taille des parcelles, la diversification productive, le retour à la campagne d'une partie de la population, ce qui ne pourra se faire sans une redéfinition des choix de société par les populations concernées.

Hugo Berman, Centre d'études et de prospective

Source : The Atlantic

10:46 Publié dans Agronomie, Développement, OGM, Société | Lien permanent | Tags : mann, wizard and prophet |  Imprimer | | | | |  Facebook

Brexit : quels enjeux pour l'agriculture ? Une conférence du CEPII en partenariat avec l'Inra

Le 10 janvier 2018 s'est tenue au CEPII une conférence organisée en partenariat avec l'Inra sur le thème « Brexit : quels enjeux pour l'agriculture ? ». À cette occasion, deux rapports destinés au Parlement européen ont été présentés. Le premier, EU - UK agricultural trade: state of play and possible impacts of Brexit, rédigé par une équipe du CEPII (C. Bellora, C. Emlinger, J. Fouré et H. Guimbard), analyse les résultats de simulations du modèle MIRAGE-e sur les impacts du Brexit en matière de commerce et de valeur ajoutée, avec un focus sur le secteur agroalimentaire. Le second rapport, Possible transitional arrangements related to agriculture in the light of the future EU-UK relationship: institutional issues, écrit par A. Matthews, s'intéresse aux modalités de la phase de transition et des relations à venir entre le Royaume-Uni et la future Europe des 27 (voir à ce sujet un précédent billet sur ce blog).

Les simulations du CEPII ont porté sur deux scénarios : celui d'un Hard Brexit, associant clause de la nation favorisée et divergence réglementaire avec l'UE27, et celui d'un Soft Brexit, avec absence de droits de douane et divergence réglementaire plus limitée. Les autres changements possibles, par exemple ceux concernant les politiques agricoles, ne sont pas pris en compte. Les simulations suggèrent des diminutions substantielles d'échanges de produits agroalimentaires entre Royaume-Uni et Union européenne en cas de Hard Brexit, notamment pour les Pays-Bas, la France et l'Irlande (baisses des exportations agroalimentaires les plus importantes en volume). Par ailleurs, la perte de valeur ajoutée agroalimentaire varie selon les pays de l'UE27 et, pour certains d'entre eux, n'est que partiellement compensée par la demande domestique et les exportations vers l'UE et le reste du monde.

Variation de la valeur ajoutée agroalimentaire de l'UE27 dans le cas d'un Soft ou d'un Hard Brexit en 2030, et décomposition de cette variation dans le cas d'un Hard Brexit

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 Source : blog du CEPII

Ces deux rapports ont donné lieu à des échanges stimulants entre les participants, sur de multiples sujets, comme par exemple la probabilité d'un Hard Brexit, les questions complexes relatives au cas de l'Irlande, les contingents tarifaires, la quantification des barrières non-tarifaires dans l'exercice de modélisation, ou encore les alternatives méthodologiques, types « modèles gravitaires », pour analyser ces problèmes.

Julien Hardelin, Centre d'études et de prospective

Sources : CEPII, Parlement européen, Parlement européen

Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme, François Purseigle, Geneviève Nguyen, Pierre Blanc (dir.)

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En France, les politiques publiques, la recherche scientifique et les représentations sociales privilégient, de longue date, le modèle de l'agriculture familiale, celui d'une organisation productive de dimension humaine où les propriétaires des moyens de production gèrent l'entreprise et y travaillent. Il s'agirait là d'une constante à protéger, d'un invariant agricole à prolonger. Dans le même temps, partout dans le monde s'imposent des formes non familiales de rapport au foncier, de capitalisation des exploitations, de financiarisation, de management du travail, de spécialisation technique, de commercialisation des produits, etc. Les fermes intègrent de plus en plus des caractéristiques de la firme industrielle et commerciale, et ce nouvel esprit productiviste symbolise l'étape actuelle du capitalisme agricole.

En s'appuyant principalement sur les résultats du programme de recherche ANR Agrifirme (2010-2013), le pari – tout à fait réussi – du livre, est de cerner les contours de cette recomposition agraire, d'en comprendre les grandes tendances et d'en souligner la diversité géographique et sectorielle. La dizaine de chapitres, tous très documentés, répond à la fois à une forte ambition théorique (construire un cadre d'analyse interdisciplinaire capable de saisir les mutations en cours) et à un réel souci empirique (décrire des situations concrètes variées). Quatre figures typiques sont privilégiées : les firmes financières et spéculatives, les firmes de groupe, les firmes commerciales de production, et enfin les formes nouvelles d'intégration vers l'amont agricole.

La richesse du livre est telle qu'on se contentera ici d'en donner un aperçu général. Une première série de textes est consacrée aux approches économique et sociologique de la firme agraire : racines historiques, zones de développement, caractéristiques, finalités, spécialisations, statuts juridiques, acteurs concernés, modes de fonctionnement, etc. Un deuxième ensemble de chapitres s'intéresse aux dimensions géographique et géopolitique de ces firmes : stratégies de localisation, relations avec les populations locales ou les autorités politiques, enjeux de puissance commerciale, inscription dans les relations internationales et la mondialisation, etc. Très intéressantes sont, entre autres, les pages dédiées à la description de situations nationales : Afrique du Sud, Indonésie, Argentine, Brésil, Arabie saoudite, etc. Au total, l'ouvrage offre un large tour d'horizon du processus de modernisation des activités agricoles et montre comment s'affirment, à l'échelle de la planète, des agricultures sans agriculteurs.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Presses de Sciences Po