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18/11/2021

Allocation des terres et modes de production agricole : effets comparés du land sparing et du land sharing sur la biodiversité

Si les effets de l'activité humaine sur l'environnement ne font plus débat dans la communauté scientifique, les stratégies à mettre en œuvre pour en limiter l’impact suscitent encore des questions. Une analyse publiée en octobre 2021 dans le Journal of Zoology passe en revue différents travaux académiques évaluant les niveaux d'impact des modes de production agricole sur la biodiversité. Elle s'intéresse plus précisément à un continuum d'approches de l'allocation des terres, du land sharing au land sparing (figure ci-dessous). Le land sharing consiste à étendre les surfaces cultivées avec des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement (diminution des intrants chimiques, préservation des habitats naturels, etc.), jusqu'à atteindre un niveau de production donné. Avec le land sparing, il s'agit à l'inverse de concentrer cette activité sur une surface minimale, en augmentant au maximum les rendements pour avoir le même niveau de production et préserver ainsi plus de terres « sauvages » (wild landscapes).

Le continuum entre les stratégies extrêmes de partage et de sauvegarde des terres

landsharingandsparring.jpg

Source : Journal of Zoology

Lecture : (a) sur la base d'une zone de paysage hypothétique de 5 km x 5 km, pour atteindre un même niveau de production : à gauche, le degré le plus élevé de partage des terres, nécessitant de cultiver l'ensemble de la zone au rendement le plus bas (rose moyen) ; à l'extrémité droite, le degré le plus poussé de sauvegarde des terres, avec le rendement le plus élevé (rouge foncé) sur la surface minimale cultivée.

(b) courbes de densité de population végétale ou animale selon les rendements pour, de gauche à droite, des espèces « gagnantes » (la densité de leur population augmente avec les rendements), puis des espèces perdantes selon les scénarios d'allocation des terres (land sharing, land sparing, niveau intermédiaire).

D'après l'auteur, les études s'accordent sur les impacts globalement négatifs sur la biodiversité de l'activité agricole, aussi respectueuse soit-elle. En revanche, leurs conclusions sur la meilleure stratégie à adopter sont discutées en fonction des indicateurs considérés. Le land sharing aurait un impact moindre sur la densité de population d'un plus grand nombre d'espèces, alors que le land sparing permettrait d'en conserver un nombre plus important en préservant les espèces animales ou végétales dites « spécialisées » (ayant besoin de conditions environnementales spécifiques pour prospérer). De plus, d'après des travaux récents, cette stratégie d'économie de terres serait associée au stockage d'une plus grande quantité de carbone organique dans les sols.

L'auteur préconise donc une stratégie de production agricole à haut rendement durable, préférable à une agriculture intensive, sur des zones peu étendues et déjà cultivées, optimisant les surfaces de terres « sauvages » sauvegardées. Il applique cette idée de concentration de l’empreinte de l’activité humaine à d'autres secteurs (urbanisme, pêche, aquaculture, etc.), afin de gérer au mieux la préservation de l'environnement par rapport aux besoins de la population.

On pourra sur ce sujet se reporter à une Analyse récente sur les liens entre hétérogénéité des paysages agricoles, biodiversité et services écosystémiques.

Jérôme Lerbourg, Centre d'études et de prospective

Source : Journal of Zoology

07:28 Publié dans Agronomie, Organisations agricoles, Territoires | Lien permanent | Tags : foncier, allocation des terres, biodiversité |  Imprimer | | | | |  Facebook

09/11/2021

Comparaison des politiques de remembrement en Chine et en Europe

En rendant plus difficile la mécanisation des pratiques, un parcellaire fragmenté est souvent considéré comme un frein au développement de l'agriculture. Le remembrement des terres permet de répondre à ce problème. Une revue de littérature dans Land Use Policy (octobre 2021) recense les travaux menés sur la Chine et le continent européen sur ce sujet. Après avoir comparé l'histoire du remembrement dans ces deux régions, leurs législations, les procédures pour le mettre en œuvre et les modalités d'inclusion des professionnels aux projets, les auteurs s'inspirent des observations faites en Europe pour proposer des axes d'amélioration en Chine. En particulier, si l'objectif de ce pays reste d'améliorer sa sécurité alimentaire, via une meilleure productivité, les questions environnementales devraient être mieux prises en compte. De même, une plus grande sensibilisation des agriculteurs chinois permettrait une participation et une adhésion accrues aux projets.

Source : Land Use Policy

12/03/2021

Une évaluation de l'impact des acquisitions foncières à grande échelle sur la sécurité alimentaire des pays cibles en Afrique

Depuis les années 2000, certains « pays en développement » sont la cible d'investisseurs visant à acquérir ou louer de larges étendues de terres agricoles. Dans un article publié dans World Development, trois chercheurs analysent ce phénomène qui suscite des interrogations quant à ses implications socio-économiques et environnementales, et est parfois présenté comme un moyen d'améliorer la productivité agricole et la sécurité alimentaire des pays cibles.

Pour l'évaluer, les auteurs ont analysé les transactions foncières à grande échelle recensées en Afrique, depuis 2000, dans la base de données Land Matrix. Au total, près de 500 transactions dans 38 pays africains ont été étudiées. Les auteurs ont d'abord estimé le niveau de sécurité alimentaire des pays cibles au regard des quatre critères utilisés par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) : disponibilité, qualité et accessibilité de l'alimentation, stabilité des approvisionnements. Ils ont ensuite identifié le « critère prioritaire », c'est-à-dire celui qui était le plus dégradé. Enfin ils ont répertorié, pour chacune des transactions, la production envisagée (cultures alimentaires, polyvalentes ou spécifiquement de rente) et le débouché (marché local ou export). Sur cette base, ils ont déterminé le critère de la sécurité alimentaire que les investissements étaient le plus susceptible d'améliorer. En effet, une transaction associée à une production destinée aux marchés locaux permettra vraisemblablement de renforcer la disponibilité de l'alimentation dans le pays cible. A contrario, un investissement impliquant des cultures de rente destinées à l'export permettra probablement au pays cible d'accumuler des devises, et donc de renforcer sa capacité d'importation pour faire face à l'instabilité de ses propres approvisionnements.

Les auteurs montrent que, dans 14 pays, les transactions à grande échelle ne contribuent pas de manière appropriée à la sécurité alimentaire du pays cible, car elles améliorent un critère non prioritaire. Seuls 7 pays voient leur sécurité alimentaire renforcée de façon adéquate (figure ci-dessous). Dans ces conditions, les auteurs estiment que les investissements à grande échelle, tels qu'ils sont actuellement pratiqués, sont peu susceptibles d'améliorer la sécurité alimentaire des pays cibles.

Contribution des investissements à grande échelle à la sécurité alimentaire des pays cibles en Afrique

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Source : World Development

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : World Development

11/12/2020

Des inégalités foncières au cœur des inégalités sociétales

L'International Land Coalition (ILC) publie un rapport de synthèse sur les inégalités foncières dans le monde. Il présente les principaux résultats de 17 études menées dans le cadre d'un vaste partenariat international auquel participe le Cirad. Ces inégalités sont à la fois causes et conséquences d'autres inégalités (sociales, économiques, politiques, environnementales ou territoriales). Pour les auteurs, lutter contre ces disparités foncières revient alors à s'attaquer aux grandes crises contemporaines (démocratique, climatique, sanitaire, migratoire, économique).

Les inégalités foncières et leurs liens avec d'autres formes d'inégalités et de crises mondiales

inegalités foncieres.jpg

Source : International Land Coalition

S’appuyant sur une revue de la littérature et sur les données existantes, le rapport donne à voir, dans les différentes régions du monde, les enjeux et mécanismes qui conduisent à l'accroissement de la concentration des terres agricoles, observé depuis 1980. Ainsi, selon un rapport de la FAO (Food and agriculture organization) de novembre 2019, 1 % des exploitations les plus importantes travaillent 70 % des terres agricoles de la planète.

Le rapport propose ensuite une analyse de ces inégalités foncières, à partir de données habituellement non prises en compte pour la mesurer. En effet, dans la littérature, la concentration des terres est souvent estimée à partir des recensements agricoles nationaux, via un indicateur statistique (coefficient de Gini) calculé uniquement à partir de la superficie des exploitations. Si celui-ci met en perspective, sur le long terme, les inégalités foncières entre les pays, il ne reflète qu’un certain niveau d'inégalités dans la répartition des surfaces des structures agricoles. Cet indicateur unidimensionnel ne prend pas en compte les multiples composantes de l'inégalité foncière comme, par exemple, la valeur des terres, la propriété multiple, les agriculteurs sans-terre, le contrôle réel de ces terres par les producteurs, etc. Les auteurs montrent pourtant qu'en prenant simplement en compte la valeur foncière, la propriété multiple et la privation de terres, l'inégalité foncière s'accroît de 41 % en moyenne par rapport à celle identifiée au moyen du coefficient de Gini. Ces travaux mettent également en évidence des différences régionales, comme l'illustre la figure ci-dessous.

Différences des niveaux d'inégalités mesurés par le coefficient de Gini habituel et prenant en compte 
le
s propriétés multiples de parcelles, la valeur des terrains et la population d'agriculteurs sans-terre

inegalités foncieres 2.jpg

Source : International Land Coalition

Lecture : en rose, niveau d'inégalité foncière selon le coefficient de Gini calculé à partir de la superficie des terres agricoles. En gris, l'inégalité foncière mesurée par la méthode développée par Bauluz et al. (2020) intégrant la propriété multiple de parcelles et la valeur foncière. En bleu foncé, la mesure précédente (barre grise) intégrant les agriculteurs sans-terre comme variable supplémentaire.

Jérôme Lerbourg, Centre d'études et de prospective

Source : International Land Coalition

09:30 Publié dans Production et marchés, Société | Lien permanent | Tags : foncier, inégalités sociales, coefficient de gini |  Imprimer | | | | |  Facebook

12/06/2020

Fields of Gold. Financing the Global Land Rush, Madeleine Fairbairn

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Les réflexions sur les rapports entre capital et agriculture sont anciennes mais elles connaissent un renouveau depuis une quinzaine d'années, en raison de l'intérêt croissant de certains investisseurs financiers en faveur du foncier agricole. Ce phénomène, composante de ce que l'on qualifie parfois de « financiarisation » de l'agriculture, est source de vives controverses. Dans cet ouvrage clair et synthétique, Madeleine Fairbairn, figure incontournable du courant anglo-saxon des études agraires critiques (Agrarian Studies), analyse cette « ruée vers la terre » de manière originale : elle se place du point de vue des investisseurs, alors que les recherches sont habituellement focalisées sur les conséquences de leurs décisions pour les agricultures familiales des pays ciblés.

Le premier chapitre montre qu'aux États-Unis, la finance a commencé à acquérir des terres dès 1990. Les débuts sont toutefois balbutiants, l'agriculture peinant à atteindre les rentabilités à deux chiffres auxquelles Wall Street est habituée. La crise de 2008 et la hausse des prix agricoles changent néanmoins la donne. Rapidement, le marché foncier étasunien ne suffit plus à absorber la masse de capitaux disponibles, conduisant ainsi à l'internationalisation du phénomène.

Le deuxième chapitre se penche sur la rationalité économique des investisseurs. L'auteure montre que ces derniers considèrent d'abord le foncier comme un actif financier rare, tel l'or, dont la valeur tend à s’accroître au cours du temps, et non comme un facteur permettant de produire des denrées agricoles. En d'autres termes, ils misent davantage sur l'augmentation de la valeur des terres, pour rentabiliser leur investissement, que sur les revenus tirés de la production.

Cette approche se heurte toutefois aux spécificités du foncier agricole, qui en font un actif financier à part. Ces particularités (hétérogénéité, illiquidité, etc.) et les outils mis en place par la finance pour les contourner, sont passés en revue dans le troisième chapitre. Enfin, la dernière partie montre la difficulté que rencontrent les États pour limiter l'ampleur de ces investissements. Portant un regard critique sur ce phénomène de financiarisation, l'auteur suggère en conclusion de s'inspirer des théories de l'économiste du XIXe siècle Henry Georges, qui proposait de taxer lourdement les gains liés à l'accroissement de la valeur des terres.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Lien : Cornell University Press

11:54 Publié dans Agriculteurs, Mondialisation et international, Territoires | Lien permanent | Tags : foncier, fairbairn, financiarisation |  Imprimer | | | | |  Facebook

09/06/2020

Gouvernance et enjeux du foncier rural au Mali

Un séminaire sur le Mali, organisé en 2019, auquel participèrent des experts du CTFD et de l'AFD, ainsi que des fonctionnaires et membres d'organisations paysannes et civiles du Mali, a donné lieu à la publication d’une note de synthèse en mars 2020. Celle-ci aborde trois enjeux : la Loi foncière agricole (LFA) adoptée en 2017, les terres irriguées gérées par l'Office du Niger et les conflits violents provoqués par la gouvernance du foncier agropastoral. Les débats ont mis en avant des avancées telles que la méthodologie « ascendante » d’élaboration de la LFA, mais son application reste incertaine compte tenu de la faible présence de l’État sur l'ensemble du territoire. Par ailleurs, la pression foncière, la micro-parcellisation et la précarité de nombreux exploitants sont autant d'obstacles à une gestion plus juste (mieux distribuée entre les différentes parties) au sein de l'Office du Niger. Enfin, les conflits autour du foncier agricole et pastoral sont davantage expliqués par des aspects économiques, politiques, territoriaux, identitaires et religieux que par le mode de gestion des terres.

Source : CTFD

11:20 Publié dans Développement, Mondialisation et international, Territoires | Lien permanent | Tags : mali, foncier |  Imprimer | | | | |  Facebook

05/05/2020

L’avenir de la Nouvelle-Calédonie au prisme du foncier coutumier

En Nouvelle-Calédonie, l’accord de Nouméa de 1998 marque la pleine reconnaissance de l’identité kanak et des terres coutumières, définies comme inaliénables, insaisissables, incommutables et incessibles. En avril 2020, un article de Métropolitiques revient sur les caractéristiques et l’aménagement de ce « commun foncier », administré sur décision de la communauté pour servir les intérêts des populations autochtones.

La gestion coutumière des droits d’administration et d’usage

NouvelleCaledonie.jpg

Source : Métropolitiques

Héritage de la colonisation, les terres coutumières sont pour la plupart localisées à l’écart des principaux centres de développement économique, là où dominent par ailleurs les propriétés privées et domaniales. Cette fracture territoriale se traduit par un exode rural vers les pôles urbains de l’ouest et l'intercommunalité du Grand Nouméa. Une valorisation économique (notamment agricole) de ces terres se développe, au moyen d’un outil juridique original, le Groupement de droit particulier local (GDPL), qui permet à un représentant de la communauté de recourir au droit commun tout en retranscrivant la décision coutumière. Ce dispositif peut redessiner les espaces ruraux, comme le montre l’aménagement d’un village mélanésien par la grande chefferie du district de Wetr (Lifou).

Source : Métropolitiques

09:27 Publié dans Territoires | Lien permanent | Tags : nouvelle-calédonie, foncier, coutumier |  Imprimer | | | | |  Facebook

17/09/2019

Terres nourricières ? La gestion du foncier agricole en France face aux demandes de relocalisation alimentaire

Les démarches de « retour au local », en matière alimentaire, sont le plus souvent étudiées sous l'angle de la consommation citoyenne, reléguant à l'arrière-plan leurs aspects fonciers et spatiaux. Elles sont aussi entourées d'un certain halo discursif, entretenant un doute sur leur réelle portée transformatrice. La thèse de géographie qu'A. Baysse-Laîné (université Lyon 2) consacre aux « mobilisations de terre », dans le cadre de projets de relocalisation alimentaire, apporte une analyse très éclairante en la matière.

Ciblant ses observations sur trois zones – le Lyonnais, l'Amiénois et le sud-est de l'Aveyron –, l'auteur repère des projets de relocalisation portés par divers acteurs : l'association Terre de Liens (6), des acteurs publics locaux (12), mais aussi des agriculteurs (118) intégrés dans une filière et réorientant tout ou partie de leur activité vers les marchés de proximité, notamment à l'occasion de la transmission de l'exploitation. Une autre dimension importante de son travail consiste à cerner la base foncière de ces circuits alimentaires.

Ses résultats mettent notamment en évidence une forme originale de « circuits courts de longue distance », sous influence urbaine et, dans le cas des mobilisations des acteurs publics, relativisent l'idée d'une moindre qualité des terres mises à disposition. Ils pointent aussi l'important décalage entre les discours sur la terre nourricière et la réalisation limitée des projets.

Le renouvellement des voies d'accès au foncier agricole se fait « à la marge » des dispositifs majoritaires d'installation. Des associations de développement rural et le syndicalisme minoritaire mettent en œuvre des « stratégies réticulaires » pour partager l'information sur la libération de terres à exploiter. De leur côté, les acteurs publics territoriaux et Terres de Lien engagent des « stratégies domaniales » d'acquisitions de terres, pour réserver celles-ci à certains types d'agriculture (production biologique, permaculture, etc.). Adoptant une approche en termes de « faisceaux de droits fonciers », l'auteur analyse les rapports de force autour des terres et envisage les effets des stratégies domaniales sur la coexistence entre différents modèles agricoles. Si les surfaces concernées sont assez réduites, ces effets d'ouverture à de nouveaux publics sont, en fait, loin d'être négligeables, les mobilisations de terre étant l'occasion d'un réajustement, plus ou moins conflictuel, des relations entre acteurs.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : HAL

12/06/2019

Dépossession foncière et stratégies d'acteurs en milieu rural

Le numéro 238 de la Revue internationale des études du développement (Institut d'études du développement de la Sorbonne), mis en ligne en mai 2019, traite de la dépossession foncière, en tant que perte totale ou partielle des droits d'usage pour les populations locales, dans divers territoires d’Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Il en appréhende la diversité des formes et des impacts, et en caractérise les acteurs, leurs logiques et leurs interactions. Les méthodes varient selon les articles : analyse des processus historiques, socio-économiques et politiques ; observations de terrain ; études de cas et enquêtes de terrain ; etc. Neuf des onze articles ont un rapport avec l'agriculture, traitant des mobilisations et contestations sociales (Mauritanie, Mozambique, Inde), des stratégies socio-politiques des acteurs, notamment étatiques (Tanzanie, Mozambique, Mexique, Guatemala, Honduras, île de La Réunion), et de la concurrence foncière avec d'autres activités (Pérou, Cambodge).

Ce numéro illustre la grande variété des processus de dépossession foncière dans le monde. Par exemple, l'analyse de la Tanzanie retrace l'évolution historique du rôle de l’État : la gestion du foncier contribue à sa consolidation, avec la mise en œuvre de politiques sur l'accès et la distribution des terres, dans un contexte d'évolution du socialisme au néolibéralisme. L'action publique est également abordée dans l'article consacré à La Réunion : selon les auteures, des politiques autrefois orientées vers la production de canne à sucre et l'irrigation, se tournent désormais vers le soutien aux efforts en faveur de l'environnement. Pour une partie des agriculteurs, dans l'incapacité de mettre en application ces nouvelles exigences, elles entraînent précarisation voire abandon des terres.

Des objectifs parfois divergents entre institutions internationales et organismes de coopération sont également mis en lumière, notamment entre protection de l'agriculture familiale (FAO) et promotion des politiques environnementales (PNUE). Ainsi, comme observé en Amérique centrale, les politiques de reforestation (REDD+), en restreignant l'accès à la terre des populations anciennement installées, peuvent aller à l'encontre du maintien des petits agriculteurs déjà marginalisés. Enfin, au niveau local, la consultation des populations peut contribuer à servir des intérêts particuliers dans des situations où le droit foncier est utilisable à des fins particulières et l’État peu présent, comme le montre l'exemple du Mozambique.

Hugo Berman, Centre d'études et de prospective

Source : Revue internationale des études du développement

09:32 Publié dans Agriculteurs, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : foncier, dépossession |  Imprimer | | | | |  Facebook

15/02/2019

Protection et partage des terres agricoles : rapport de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur le foncier agricole

En décembre, le rapport de la mission d'information commune sur le foncier agricole a été déposé, à l'Assemblée nationale, par les deux rapporteurs A.-L. Petel et D. Potier. Il fait une synthèse des connaissances actuelles sur l'artificialisation et la consommation du foncier agricole en France, et discute l'efficacité des outils qui le régulent, au regard des enjeux de renouvellement des générations et de développement des formes sociétaires en agriculture. Deux ensembles de pistes de réforme sont ensuite détaillés, par chaque rapporteur de façon distincte, avec l'ambition d'ouvrir le débat sur les actions à mener plutôt que de le conclure. Quinze propositions leur sont communes.

À partir des constats dressés sur les pertes irréversibles de sols en France et le rythme d'artificialisation des terres agricoles, les rapporteurs discutent les dispositifs existants, notamment fiscaux, pour y faire face. Ils concluent qu'« ils ne sont pas à la hauteur des enjeux » et sont sous-utilisés (ex. zones agricoles protégées, périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains). Des mesures plus contraignantes devraient selon eux être adoptées, comme des documents d’urbanisme plus prescriptifs. Bien que des dispositifs existent (observatoire des espaces naturels, agricoles et fonciers par exemple), ils notent également l'absence d'un outil consensuel de mesure, au niveau national, de l'artificialisation, de la qualité et de l'usage des sols, et soulignent que sa construction est urgente et prioritaire.

Le rapport conclut que la politique française des structures (notamment leur contrôle), les SAFER et le statut du fermage, s'ils sont des dispositifs perfectibles, ont toutefois prouvé leur utilité et méritent d'être conservés, sous des formes rénovées. Repenser le statut du fermage (cf. figure ci-dessous pour la part de la surface agricole utile en fermage) est considéré comme essentiel, notamment pour limiter la rétention foncière et le développement de friches agricoles. Toutefois, les principales justifications avancées pour revoir ces outils sont : i) le phénomène actuel d'accumulation de terres par le développement de sociétés à vocation agricole, lesquelles échappent à ces dispositifs ; ii) l'extension du travail agricole délégué à des prestataires de service. Les rapporteurs regrettent cette « tertiarisation de l'activité agricole », qui menace pour eux le renouvellement des générations en agriculture.

Part de la surface agricole utile en fermage en 2013

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Source : Assemblée nationale, d'après GraphAgri 2017

Vanina Forget, Centre d'études et de prospective

Source : Assemblée nationale

13:54 Publié dans 4. Politiques publiques, Territoires | Lien permanent | Tags : assemblée nationale, foncier, foncier agricole, safer, fermage |  Imprimer | | | | |  Facebook

13/12/2018

La concentration de la terre en Colombie, source de marginalité socio-économique et de conflits armés

Un récent article des Anales de Geografía (Universidad Complutense de Madrid) d'octobre 2018 aborde la question de la distribution des terres en Colombie. Dans une perspective historique, s'appuyant sur des données statistiques issues des recensements agricoles, son auteur analyse les relations socio-économiques et politiques à l'origine de la structure agraire du pays.

Selon l'article, l'inéquitable répartition des terres ainsi que la défaillance de l’État ont joué un rôle dans la guerre civile qu'a subie le pays pendant une cinquantaine d'années, et dont la fin a été actée par la signature d'un accord de paix en 2016. Tout au long de cette période, des populations rurales ont été déplacées et la propriété de la terre s'est concentrée. En 1992, les exploitations de plus de 1 000 ha possédaient 27 % de la superficie agricole du pays, contre 9 % pour celles de moins de 10 ha. À la fin de la décennie 1990, celles de plus de 2 000 ha (0,06 % des propriétaires, soit 2 000 personnes) en possédaient 51 %, celles de moins de 5 ha (67 % des propriétaires, soit 2,3 millions de personnes), 3 %.

L'article indique cependant que de nombreuses réformes agraires ont été effectuées : la première date de 1936, la dernière figure dans l'accord de paix de 2016 et devrait s'attaquer à la prédominance des productions destinées à des exportations traditionnelles (fruits et légumes, cacao, café, huile de palme, sucre de canne, banane, caoutchouc, bois) et non traditionnelles (fleurs notamment). L'auteur souligne que ces réformes n'ont pas eu les effets escomptés sur l'amélioration des conditions de vie en milieu rural.

Actuellement, selon l'auteur, l'inégale distribution des aides publiques est due à l'entente entre l’État et les propriétaires fonciers. Ces derniers, anciennement positionnés sur de l'élevage extensif, produisent dorénavant du palme et de la canne à sucre pour des biocarburants et sont les seuls, avec les agro-industries, à percevoir à ce titre des subventions, justifiées par la protection de l'environnement et la redynamisation de l'espace rural.

Hugo Berman, Centre d'études et de prospective

Source : Anales de Geografía

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04/10/2018

L'université Harvard et ses investissements fonciers

En septembre 2018, GRAIN consacre un rapport à l'université Harvard en tant qu'acteur majeur des investissements fonciers à l'échelle mondiale. Selon les auteurs, un réseau complexe et opaque de sociétés lui ont permis, jusqu’en 2017, d’acquérir 850 000 ha pour un montant de 930 millions de dollars. Ils s'appuient sur des données issues des déclarations d'impôt de l'université et de ses filiales, sur les investissements en ressources naturelles (données Preqin), des rapports universitaires ainsi que des témoignages des populations concernées. Les terres ont été achetées au Brésil, en Afrique du Sud, en Ukraine, en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux États-Unis. Le rapport indique que ces transactions ont pu être sources de conflits avec les populations locales, et avoir des conséquences néfastes sur l'environnement et la ressource en eau. C'est notamment le cas dans la région du Cerrado au Brésil où des partenariats avec des sociétés locales ont permis de prendre le contrôle de grandes surfaces par la suite déforestées pour la culture du soja ou de la canne à sucre. Dans le cas présent, l'échec productif de ces investissements témoigne du caractère spéculatif des projets.

Terres agricoles du Fonds de dotation de l'université Harvard

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Source : GRAIN

Source : GRAIN

09:33 Publié dans Mondialisation et international, Territoires | Lien permanent | Tags : foncier, investissements fonciers, harvard |  Imprimer | | | | |  Facebook

08/06/2018

Action des villes intermédiaires sur le foncier en vue d'une relocalisation de leur approvisionnement alimentaire : un état des lieux

Pour certaines villes, les terres agricoles situées à leur périphérie pourraient constituer le levier d'une possible relocalisation d'une partie de leur système alimentaire. Dans un article publié dans la revue Géocarrefour, une équipe de géographes s'est penchée sur ce phénomène, dont ils mettent en évidence les finalités, modalités et limites. Ils se focalisent sur les villes intermédiaires, moins étudiées jusqu'ici que les grandes métropoles, en s'appuyant sur l'étude de trois intercommunalités engagées dans ce type de démarches (Amiens, Millau, Saint-Affrique) et choisies selon la méthode des cas contrastés. Le travail d'enquête a reposé sur 25 entretiens semi-directifs conduits auprès d'acteurs locaux.

Localisation des terrains d'étude

villes-interm.jpg

Source : Géocarrefour

Les études de cas illustrent la diversité des objectifs poursuivis par les intercommunalités. À Amiens, l'action de la collectivité est guidée par la volonté de préserver les hortillonnages, un patrimoine qui participe à l'attractivité touristique de la ville. À Millau, il s'agit d'approvisionner la cantine municipale en produits biologiques, afin de favoriser l'accès du grand public à ce mode d'alimentation jugé plus sain. À Saint-Affrique, la démarche s'inscrit d'abord dans une optique de réinsertion sociale.

Les auteurs soulignent plusieurs caractéristiques communes à ces projets, tel l'accent mis sur le maraîchage ou l'importance du portage par les élus. Ils constatent que le foncier est mobilisé de différentes manières : tantôt la collectivité met à disposition du foncier qu'elle possède déjà, tantôt elle l'achète au préalable. Par ailleurs, l'exploitation des terres se fait selon trois modalités (bail, bail à clauses environnementales et régie publique), qui reflètent des niveaux d'implication variables des collectivités. Enfin, plusieurs freins à ces démarches sont identifiés : obstacles juridiques et financiers, difficultés à légitimer une approche territoriale de l'alimentation par rapport à l'approche sectorielle qui prévaut au sein des organisations agricoles majoritaires, etc.

Pour conclure, les auteurs indiquent que si les actions étudiées sont le reflet d'une dynamique « locavore » impulsée par certaines villes intermédiaires, elles ne sont qu'un premier pas au regard de l'ambition globale de relocalisation alimentaire. La question se pose alors de savoir s'il est possible d'aller au-delà de la production maraîchère aujourd'hui centrale dans ces démarches.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : Géocarrefour

15/03/2018

Impacts de la PAC sur le marché des terres agricoles en Pologne : d'importantes différences suivant les contextes régionaux

Une équipe d'économistes de l'Institut de développement rural et agricole de l'Académie polonaise des sciences a publié, dans Land Use Policy, une analyse des impacts des aides de la politique agricole commune (PAC) sur l'allocation des ressources foncières agricoles dans le pays. Si la capitalisation des droits à paiements dans le prix des terres a été largement étudiée et les facteurs de sa variabilité identifiés, les chercheurs mettent en évidence le rôle incitatif des aides dans le cadre de conflits sur l'accès aux ressources, dans des contextes socio-économiques particuliers aux différentes régions polonaises.

Afin d'isoler les impacts propres aux aides de la PAC, les auteurs ont utilisé le modèle d'équilibre général calculable POLTERM. Après avoir déterminé des zones homogènes de niveaux d'impacts, ils ont cherché à y corréler les caractéristiques régionales pour mesurer et expliquer, par des facteurs associés, les mécanismes de l'influence de la PAC sur les marchés fonciers. Cette analyse des variations de prix des terres et des baux, ainsi que de l'usage agricole ou non des terres à l'échelle intermédiaire des régions (NUTS 2), a mis en évidence des particularités locales marquées.

Impacts des aides des premier et second piliers de la PAC sur le prix des terres agricoles polonaises, de 2004 à 2013 ( %), par région

Pologne.jpg

Source : Land Use Policy

Les analyses montrent que si les prix ont fortement crû près des villes (ex : régions de Ślaskie, Dolnoślaskie and Łódzkie), cette augmentation est avant tout liée aux reconversions de terres agricoles en terrains constructibles, générant des conflits d'usage importants entre agriculture et développement urbain. Le poids des aides de la PAC est relativement faible, dans l'augmentation des prix des terres dans les régions agricoles éloignées des centres urbains, où les grandes structures issues de l'époque communiste dominent. A contrario, dans les zones où les exploitations de petite taille sont nombreuses, les subventions ont sensiblement contribué à freiner la concentration des terres et à réduire le dynamisme du marché foncier. Comme le soulignent les chercheurs, si les subventions ont limité la déprise agricole dans plusieurs territoires, elles ne contribuent pas à limiter l'artificialisation des sols et freinent les ré-allocations entre petits agriculteurs.

Alexis Grandjean, Centre d'études et de prospective

Source : Land Use Policy

11:02 Publié dans 4. Politiques publiques, PAC | Lien permanent | Tags : pologne, foncier, prix des terres |  Imprimer | | | | |  Facebook

13/02/2018

Quelles conséquences de la décentralisation sur l'efficacité et la légitimité des politiques de préservation des espaces agricoles péri-urbains ?

En Europe, 800 km² de terres agricoles disparaissent chaque année en raison de l'étalement urbain. En réponse à cela, plusieurs pays ont, depuis longtemps, instauré des outils visant à infléchir cette tendance. C'est le cas de la France et de l'Italie, où la préservation des espaces agricoles péri-urbains est un objectif des pouvoirs publics depuis les années 1960. Dans le même temps, ces deux pays ont largement décentralisé, à partir des années 1980, la gestion des compétences d'aménagement du territoire, ce qui questionne leur capacité à atteindre cet objectif.

C'est dans ce contexte que s'inscrit le travail conduit par une équipe d'universitaires franco-italiens et publié dans la revue Land Use Policy. Il vise à évaluer les conséquences de la décentralisation sur l’efficacité et « l'acceptabilité sociale » des politiques de préservation des espaces agricoles. Leur étude est fondée sur l'analyse qualitative des modes de gouvernance, à partir d'observations participatives et d'entretiens, et s’appuie sur la comparaison de deux métropoles caractérisées par un étalement urbain important : Montpellier et Rome. L'analyse s'étend sur la période 1960-2015.

Étalement urbain autour de la métropole de Montpellier

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Source : Land Use Policy

Pour ces deux métropoles, les auteurs montrent que la décentralisation s'est d'abord traduite par une plus grande complexité des procédures et une accélération de l'étalement urbain, notamment en raison des pressions exercées sur les maires par les propriétaires de foncier agricole pour que leurs terres soient converties en terrains à bâtir. Par ailleurs, l'inégalité de traitement des propriétaires, d'une commune à l'autre, a exposé les élus les plus protecteurs du foncier agricole à de vives contestations.

Toutefois, les auteurs constatent que, dans un second temps, la décentralisation a permis l'émergence de nouveaux modes de gouvernance à l'origine de politiques publiques plus performantes. Ainsi, à Montpellier, une cogestion de fait s'est progressivement instaurée avec le syndicat agricole majoritaire. Il en a résulté des politiques de préservation du foncier agricole efficaces, mais pas toujours bien acceptées en raison du choix, contesté, de l'interlocuteur privilégié par les pouvoirs publics. À Rome, des formes nouvelles d'élaboration des politiques d'aménagement du territoire sont apparues. Basées sur des processus participatifs larges, incluant l'ensemble des parties prenantes, elles sont jugées à la fois plus efficaces et garantes d'une bonne acceptation sociale. Pour ces raisons, les auteurs appellent à privilégier ce type d'approches, et ce en dépit de leurs limites (difficultés pratiques de mise en œuvre notamment).

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : Land Use Policy