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15/12/2021

Domaines d'application et perspectives de l'impression alimentaire en 3D

L'impression alimentaire en 3 dimensions est une technique de fabrication additive permettant d'obtenir des produits personnalisables (aspect, composition), à partir d'ingrédients (chocolat, fromage, sucre, etc.), d'additifs ou de préparations à base de viandes, fruits, légumes, etc. Un article publié en octobre 2021, dans Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety, passe en revue les études récentes sur la mise en œuvre de cette technologie, dans plusieurs domaines d'application (figure ci-dessous) : nutrition personnalisée, santé, alimentation au cours des missions spatiales, etc.

Chronologie des principales avancées technologiques de l'impression alimentaire tridimensionnelle

impression alimentaire 1 bis.jpg

Source : Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety

Pour la chaîne d'approvisionnement, l'impression alimentaire en 3D peut réduire les coûts liés à la préparation des aliments et à leur transport. Cette technologie permettrait aussi de diminuer le gaspillage alimentaire en offrant la possibilité, notamment, d'utiliser comme ingrédients des éléments inexploités par ailleurs (ex. résidus de céréales, de viande, de produits laitiers, de fruits et de légumes). En matière de santé publique, l'enrichissement en nutriments des aliments imprimés ouvre, selon les auteurs, des perspectives pour lutter contre la malnutrition. De plus, l'impression permet l'amélioration esthétique des produits basés sur des ingrédients hautement nutritifs (insectes, algues, etc.), ce qui les rendrait plus acceptables par le consommateur. Elle peut également répondre à des enjeux d'alimentation personnalisée, en concevant des aliments spécifiquement adaptés aux besoins nutritionnels et de santé d'un individu ou d'une population spécifique (problèmes digestifs, allergies ou intolérances). Par ailleurs, des expérimentations de cette technologie sont en cours dans le cadre de missions spatiales de longue durée, pour lesquelles ses intérêts sont multiples : personnalisation du régime alimentaire des astronautes, augmentation de la variété de nourriture, prolongation de la durée de conservation des denrées, amélioration des propriétés organoleptiques des aliments, etc.

L'intégration d'une quatrième dimension, temporelle, élargit encore le champ des possibles, l'aliment pouvant se modifier après son impression. Il s'agit d'imprimer des aliments en 3D dont les propriétés (saveur, forme, couleur, composition nutritionnelle) sont sensibles à des stimuli (lumière, température, pH, humidité, etc.). Les pistes d'application sont multiples : changement des propriétés des aliments lors de la consommation, allongement de la durée de conservation, facilitation du stockage et de la distribution grâce à une compatibilité avec des emballages plats, etc. Enfin, l'auteur souligne les écarts de développement et d'adoption de cette technologie selon les régions du monde, en raison de son coût, de sa haute technicité et d'une acceptabilité différente de ces nouveaux aliments.

Jérôme Lerbourg, Centre d'études et de prospective

Source : Comprehensive Reviews in Food Science and Food Safety

Prospective des productions animales en Pays de la Loire

La Chambre d'agriculture des Pays de la Loire s'est livrée à un exercice de prospective sur diverses productions animales (volaille de chair, viandes porcine et bovine, veaux de boucherie, lait) à l'horizon 2030. Les résultats ont été publiés en septembre et novembre 2021. Elle avait déjà fait le même exercice en 2015 avec 2020 pour horizon. En concertation avec des professionnels, chaque étude a comporté une analyse bibliographique, suivie d'un état des lieux de la filière considérée et d'une exploration des facteurs d'évolution (figure ci-dessous). Plusieurs scénarios ont enfin été élaborés, portant sur le contexte, la demande (à différentes échelles) et l'offre régionale.

Facteurs clés et représentation du système étudié

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Source : Chambre d'agriculture des Pays de la Loire

Retenons ici l'exemple de la volaille de chair, pour laquelle cinq scénarios sont proposés, basés sur des hypothèses de contexte communes : les auteurs retiennent une population nationale de 70 millions d'habitants en 2030, des aléas climatiques et sanitaires accrus, et une croissance économique plus soutenue dans les pays émergents que dans les pays développés. De plus, la demande serait marquée par une augmentation de la consommation nationale de volaille, une stabilité de la part de marché des Pays de la Loire et des exportations vers le Moyen-Orient. Enfin, la production biologique doublerait et la croissance des ateliers de volaille de chair ralentirait.

En scénario tendanciel, la consommation continuant à croître, l'offre locale augmente de 16 %, avec une stagnation de la viande Label rouge et un doublement de l'offre biologique. Un scénario alternatif associe hausse de la consommation nationale de viande et diminution des importations, la production locale augmentant de 17 %. Un scénario de rupture économique comporte une stagnation de la consommation française, avec des acheteurs se tournant vers des produits moins onéreux venant de l’étranger (+ 33 %), ce qui entraîne une baisse des productions nationale (- 14 %) et ligérienne (- 15 %).

Enfin, les deux derniers scénarios envisagent une rupture sociétale, avec le boycott des élevages ne tenant pas compte du bien-être animal, et une chute de la demande (- 5 % par rapport à 2019). Les élevages standards, tous disparus, sont remplacés majoritairement par des élevages free range avec parcours extérieurs dans le premier scénario, par des élevages ECC (European Chicken Commitment) dans l'autre. Pour des raisons de prix, une consommation de poulets standards persiste, sous forme d'importations, et la production nationale comme ligérienne chute fortement (- 29 % et - 35 % en Pays de la Loire selon le scénario). La figure ci-dessous compare les modes de production, pour deux scénarios, qui illustrent bien les conséquences d'hypothèses différentes sur les modes d'élevage.

Part des modes de production dans le volume de poulets produits en 2030 en fonction du scénario tendanciel (gauche) et alternatif (droite)

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Source : Chambre d'agriculture des Pays de la Loire

Franck Bourdy, Centre d'études et de prospective

Source : Chambre d'agriculture des Pays de la Loire

14/12/2021

Romuald Botte, Bruno Villalba, La figure du paysan. La ferme, l’Amap et la politique, Le Bord de l’eau, 2021, 240 pages

Coécrit avec un chercheur et assorti de références sur les mondes agricoles, cet ouvrage retrace la trajectoire du fondateur de la première Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) des Hauts de France.

Les 2 200 Amap dénombrées aujourd'hui en France, les 66 000 paniers distribués et leurs 270 000 consommateurs s’inscrivent dans le mouvement d’institutionnalisation, dans les années 1990, d’agricultures alternatives, qui témoigne selon les auteurs de « la fin d’un monopole de représentation du monde paysan ». Plusieurs moments de la vie de l’Amap retiennent l’attention. L’installation concentre plusieurs choix stratégiques : le choix du terrain (conditions climatiques, qualité des sols, topographie), celui des cultures (débouchés attendus, etc.) et la sélection des machines adaptées pour limiter la pénibilité. La figure ci-dessous rend compte de l'évolution de l'exploitation. L’assemblée générale annuelle y est un moment clé, avec la présentation des comptes d’exploitation et des prévisionnels à partir desquels va être fixé le prix annuel des paniers de fruits et de légumes. Leurs distributions aux amapiens sont l’occasion d'échanges sur les espèces cultivées, le travail du sol ou les investissements réalisés.

Évolutions du salaire mensuel de R. Botte et projets de la ferme

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Source : Le Bord de l’eau

Lien : Le Bord de l’eau

13/12/2021

Implication des agriculteurs dans des démarches « sans pesticides »

Lancé en 2018 par l'Association suisse de production intégrée (IP-Suisse), le programme « blé sans pesticides » permet aux agriculteurs adhérents de bénéficier de majorations de prix et de soutiens publics supplémentaires. Dans un article publié dans Food Policy, des chercheurs ont identifié les déterminants de l'engagement des céréaliculteurs dans ce programme. L'analyse repose sur un sondage auprès des 4 749 membres de l'association. Elle montre que les agriculteurs sont d'autant plus enclins à s'inscrire dans le programme qu'ils sont convaincus de son intérêt environnemental, et que la diminution de rendement qu'ils anticipent est limitée. En revanche, la structure de l'exploitation et le contexte pédo-climatique ne sont pas déterminants, ce qui laisse envisager une adoption large du programme. Pour cela, les auteurs recommandent notamment de communiquer sur les impacts environnementaux positifs d'une production agricole sans pesticides.

Source : Food Policy

Innovations dans le financement des chaînes de valeur en Afrique

Dans un rapport publié en novembre 2021, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique que le financement des chaînes de valeur alimentaires est très insuffisant, au niveau mondial, et il expose vingt-deux initiatives africaines (Éthiopie, Nigeria, Rwanda) visant à stimuler de tels financements. Des solutions internes aux chaînes de valeur sont présentées, selon leurs caractères innovants. Certaines font évoluer le modèle économique, telle l’utilisation de crédit-bail facilitant l’accès des agriculteurs à la terre, pour compléter l’approvisionnement d’une usine en matière première. D’autres limitent les risques par le développement de produits d’assurance agricole indicielle. L’utilisation de nouvelles technologies constitue aussi une solution, comme par exemple le déploiement d’une plate-forme en ligne pour l'accès au marché des fruits et légumes, aux intrants et aux services. Certaines permettent à de nouvelles personnes d'accéder aux chaînes de valeur (ex. femmes cultivant et commercialisant un produit traditionnel en zone urbaine). Enfin, les modes de paiement utilisés peuvent également modifier la structuration de ces chaînes (ex. paiements sans espèces afin de limiter les risques de non-remboursement).

Source : FAO

L'ONU analyse les chaînes de valeur de la viande destinée à l'export en Mongolie

Dans un rapport publié en novembre 2021 dans le cadre du programme Integrating landlocked commodity dependent developing countries into regional and global value chains, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement étudie, en Mongolie, les chaînes de valeur de viande destinée à l'export. L'élevage dans le pays représentait 70 millions de têtes en 2019 et la consommation de la viande repose de plus en plus sur des achats de morceaux de haute qualité plutôt que de carcasses et d'animaux vivants. Les auteurs constatent que les chaînes de valeur se composent de trois maillons : les éleveurs, les rassembleurs-transporteurs et les transformateurs-exportateurs. Dans un but d'amélioration du fonctionnement de ces chaînes, ils pointent ensuite l'absence de structuration des filières, la faible qualité sanitaire mise en œuvre par les éleveurs, le surpâturage, les technologies obsolètes utilisées, l'absence d'impôt pour les éleveurs et les rassembleurs-transporteurs, et un marché tourné vers des prix bas.

Détail de la chaîne de valeur du secteur ovin (en millions de tonnes)

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Source : CNUCED

Lecture : dans chaque case sont représentés les coûts (costs), le chiffre d'affaires à la vente (sale value) et le taux de marge (margin) ; ces informations sont décrites pour les éleveurs (herders), les rassembleurs-transporteurs (middlemen), les transformateurs (processors), les abatteurs (slaughterhouses) et pour les différents marchés (domestique, détail, grande distribution).

Source : Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED)

18/11/2021

Prospective du développement économique de l'agriculture roumaine à horizon 2040

En Roumanie, la fin du régime communiste, en 1989, a entraîné le passage d'une agriculture gérée par l’État pour 85 % des surfaces à un système individuel et privé. L'objectif était alors de développer un secteur agricole compétitif et de qualité. Un article paru dans Land Use Policy, en octobre 2021, s'intéresse aux performances économiques de l'agriculture roumaine, de 1998 à 2019, via trois indicateurs : la production agricole, le niveau de consommations intermédiaires, la valeur ajoutée brute. Il étudie ensuite leurs possibles évolutions à l'horizon 2040, en posant quatre hypothèses de croissance (dont une tendancielle). Les résultats sont comparés à ceux de la moyenne européenne et de deux puissances agricoles, la France et l'Allemagne.

Entre 1998 et 2019, les valeurs des trois indicateurs ont doublé (figure ci-dessous). Des fluctuations importantes sont observées selon les années, attribuées par les auteurs à la dépendance des productions aux facteurs naturels, du fait d'un manque d'équipements (ex. systèmes d'irrigation).

Évolutions de la production agricole (vert), de la valeur ajoutée brute (rouge) et des consommations intermédiaires (bleu), en millions d'euros, entre 1998 et 2019 en Roumanie

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Source : Land Use Policy

En 2019, la production roumaine rapportée à l'hectare est inférieure de 43 % à la moyenne européenne, de 47 % à celle de la France et de 58 % à celle de l'Allemagne. La valeur ajoutée l'est respectivement de 34 %, 36 % et 43 %. Enfin, les consommations intermédiaires, qui rendent compte selon les auteurs du type de technologie utilisé, sont plus basses respectivement de 50 %, 54 % et 67 %, ce qui marque une production peu intensive.

À l'horizon 2040, si les tendances se poursuivent (figure ci-dessous), les performances de la Roumanie ne rejoindront pas celles de la moyenne européenne. Avec l'hypothèse d'un taux de croissance annuel de 3,5 %, la production atteindrait la moyenne européenne en 2038 et celle de la France à partir de 2041. La valeur ajoutée brute ferait de même en 2027 et 2029 respectivement. Pour les auteurs, un tel taux de croissance ne pourra être observé que si des politiques nationales dédiées sont mises en œuvre. Par exemple, devraient être menées des politiques de développement de l'irrigation, du secteur de l'élevage et de la recherche agronomique, mais aussi de remembrement des terres, la Roumaine ayant en moyenne des exploitations d'environ 4 ha en 2016 (contre 13 ha dans les pays de l'UE-15). Les auteurs notent également l'importance d'améliorer l'accès aux financements et aux formations (seuls 10 % des agriculteurs roumains y ont eu accès).

Estimations des évolutions, à l'horizon 2040, de la valeur ajoutée brute (€/ha) de la moyenne européenne (violet), de l'Allemagne (noir), de la France (bleu) et de la Roumanie selon deux hypothèses de croissance (rouge plein : prolongement de tendance ; pointillés rouges : croissance de 3,5 %)

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Source : Land Use Policy

Aurore Payen, Centre d'études et de prospective

Source : Land Use Policy

Durabilité et résilience du secteur agricole, à différentes échelles

La durabilité et la résilience du secteur agricole sont au cœur de plusieurs travaux de recherche récents. Des chercheurs lituaniens ont ainsi repris, dans Land Use Policy, les définitions respectives de ces deux concepts, et développé des indicateurs dédiés, à partir d'une riche revue de littérature.

Si la « durabilité » comporte classiquement trois dimensions (économique, sociale, environnementale), la « résilience » est vue, selon les approches théoriques, comme un prérequis ou un fondement de la durabilité, parfois comme une de ses composantes, ou encore comme une notion parallèle, dynamique plutôt que statique. Repartant de définitions empiriques, les auteurs ont compilé de multiples indicateurs pour caractériser les trois dimensions de la durabilité et la résilience économique du secteur agricole des pays baltes et scandinaves. Cette dernière est notamment approchée par le taux de marge du secteur, la volatilité du chiffre d'affaires et la diversification des exportations (pays partenaires, produits). La dimension sociale de la durabilité repose, quant à elle, sur la place de la main-d’œuvre familiale, le niveau relatif des salaires agricoles, la situation des femmes, la démographie des exploitants, etc. Les différents indicateurs sont calculés sur une quinzaine d'années, pour faire ressortir les différences et évolutions nationales (figures ci-dessous).

Indicateurs de durabilité (en haut) et de résilience économique (en bas) des secteurs agricoles de 2004 à 2017

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Source : Land Use Policy

Il ressort de ces comparaisons empiriques que les deux concepts sont bel et bien indépendants : les indicateurs sont peu corrélés, avec des dynamiques (la résilience étant beaucoup plus sensible au contexte économique) et des performances relatives des pays très différentes. La résilience mérite donc d'être étudiée en tant que telle. Si les auteurs synthétisent la littérature et les indicateurs existants, leur approche de la résilience reste macro-économique et peut donc cacher des évolutions fines plus complexes.

Dans un autre article, également récent, des chercheurs néerlandais ont analysé la résilience à l'échelle des exploitations agricoles, grâce aux données du Farm accountancy data network (FADN, Réseau d’information comptable agricole-Rica en France). Ils la définissent selon trois dimensions des exploitations : robustesse (en réponse à des chocs), adaptabilité (évolution de la composition du résultat économique) et transformation profonde (introduction ou suppression d'ateliers d'élevage, agritourisme, conversion à l'agriculture biologique). La résilience est cette fois analysée pour différents types d'exploitations, dans neuf pays européens, dont la France. Les auteurs déclinent les indicateurs au niveau régional et montrent que les aides découplées affectent négativement la robustesse des exploitations, alors que les aides au développement rural ont un effet positif.

Ces deux approches complémentaires, macro et micro-économiques, devraient contribuer, grâce à des définitions claires et des indicateurs reproductibles, à clarifier et objectiver la notion de résilience, trop souvent invoquée de façon approximative.

Jean-Noël Depeyrot, Centre d'études et de prospective

Sources : Land Use Policy ; European Review of Agricultural Economics

17/11/2021

David Leboiteux, Fabien Constant, Banque et matières premières. Commodity Trade Finance, RB Édition, juillet 2021, 128 pages

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Suite à la défaillance de négociants à Singapour, Dubaï et Londres en 2020, et à un renforcement des exigences réglementaires depuis 2010, certaines banques ont réduit, voire cessé leurs activités de financement du négoce des matières premières. Dans ce contexte, D. Leboiteux et F. Constant publient la deuxième édition de l’ouvrage Banque et matières premières. Ils rappellent l’importance puis les spécificités de l’activité bancaire dans les échanges internationaux de matières premières (minerais, métaux, énergie, produits agricoles) : les encours accordés aux négociants sont généralement très supérieurs aux fonds propres dont ils disposent, tandis que les marchandises échangées sont fortement soumises à la volatilité. Les risques de change, géopolitiques et logistiques supportés par les opérateurs et, pour les produits agricoles, la périssabilité des matières premières, s’ajoutent au risque de crédit de toute opération de prêt.

Dans une première partie, les auteurs dressent un panorama des matières premières (sources, volumes de production, etc.) et de leurs enjeux économiques, énergétiques, géopolitiques, de sécurité alimentaire, sociaux, environnementaux. Ils soulignent les préoccupations grandissantes des citoyens à l’égard du commerce international, notamment depuis la crise alimentaire de 2008. Ils présentent ensuite brièvement les acteurs des chaînes de valeur internationales (producteurs agricoles, primo-transformateurs et utilisateurs finaux), en détaillant le rôle des transporteurs et des négociants. Des éléments sur l’histoire de ces professions viennent enrichir l’analyse. Les auteurs citent les « places » où ils opèrent, notamment la Suisse (où sont négociés 35 % des céréales, 50 % du sucre et 60 % du café) et Singapour pour les matières agricoles. La seconde partie de l’ouvrage constitue un guide du financement des matières premières, évoquant les outils et mécanismes nécessaires au bon déroulement d’opérations menées avec des négociants de petite taille, spécialistes d’un marché ou d’une origine, ou avec des entreprises multinationales travaillant divers produits.

Enfin, les principales évolutions concernant le secteur sont identifiées : réglementations, lutte contre la criminalité, préoccupations grandissantes des États et de l'opinion publique au sujet du commerce des matières premières (depuis 2007-2008), digitalisation, arrivée de nouveaux entrants (fonds spécialisés dans la gestion d'actifs, sociétés financières, etc.). Les petites entreprises pourraient demain être plus impactées que les grandes maisons. Malgré ce contexte, les auteurs confirment le rôle important que les banques joueront à l’avenir dans ce secteur.

Amandine Hourt, Centre d'études et de prospective

Lien : RB Édition

Caroline Dufy, Le retour de la puissance céréalière russe. Sociologie des marchés du blé, 2000-2018, Éditions Peter Lang, septembre 2021, 276 pages

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Dans ce livre consacré à la circulation du blé en Russie, C. Dufy (IEP de Bordeaux) traite de la restauration de la puissance céréalière après des années 1990 chaotiques, marquées par l'exode rural et le sous-investissement. Produit agricole peu différencié, « standard », destiné à la consommation locale ou au grand export, le blé fait l'objet d'un circuit très structuré, connecté aux marchés mondiaux, et à certaines périodes fortement encadré par la puissance publique. L'auteure a réalisé, de 2015 à 2018, des entretiens avec des acteurs du secteur (traders, experts, syndicats professionnels, etc.), sans toutefois avoir pu échanger avec les personnels administratifs.

L'ouvrage met d'abord en perspective l'évolution de 1990 à 2018. Après un véritable effondrement de sa production, la Russie, qui adhère à l'OMC en 2012, redevient « en quelques années l'une des premières puissances exportatrices dans le monde ». Pour cela, elle joue la carte de la financiarisation et de l'industrialisation, via de gigantesques entreprises intégrées, accapareuses de terres, les agro-holdings. Avec l'annexion de la Crimée en 2014, les sanctions occidentales et les contre-sanctions russes, la politique agricole prend un « virage » vers « un modèle autocentré, fondé sur la polyculture et l'élevage ».

Est ensuite examiné le parcours du grain jusqu'aux consommateurs. La logistique doit faire face à « l'immensité russe ». L'auteure met ainsi en évidence l'importance du transport et des stockages en silo. Différents acteurs se livrent à un important travail de qualification, de certification et de différenciation du blé. Ce processus assure la commensurabilité entre grains, donc leur substituabilité, et l'intégration des différents segments et circuits dans un marché conforme à sa représentation par la théorie économique, où le prix ajuste offre et demande. La contribution des experts privés et des traders au bon fonctionnement du marché est notamment soulignée.

Enfin, deux chapitres éclairent les logiques d'une régulation étatique « hybride, opaque et contingente ». Sur les marchés d'intervention publique, l'auteure souligne la proximité des outils mis en place avec ceux de la PAC avant la réforme de 1992. Elle relève par ailleurs les effets sur la réalité (formation d'une identité nationale, intégration du territoire dans les relations internationales) des discours politiques sur la sécurité alimentaire, et des fluctuations entre registres libéral et protectionniste.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Peter Lang

12/11/2021

Le Bureau australien de l'économie agricole, des ressources et des sciences

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Créé en 1945, l'Australian Bureau of Agricultural and Resource Economics and Sciences (ABARES) est un organisme de recherche fournissant des données et conduisant des travaux indépendants propres à aider les pouvoirs publics et les opérateurs privés à prendre des décisions en matière d'agriculture, de pêche et de forêt. Rattaché au ministère de l'agriculture, de l'eau et de l'environnement, il tire une part de son budget d'une activité commerciale de conseil et de financements par des industriels privés. Cette collaboration avec le secteur privé, pouvant aller jusqu'à des publications conjointes, donne une légitimité à l'ABARES vis-à-vis de ses interlocuteurs publics comme des entreprises.

Parmi ses missions principales, l'ABARES mène des travaux d'analyse, de conjoncture, de prévision et de conseil sur les filières agricole et agroalimentaire australiennes (voir un précédent billet sur le sujet). Il conduit également des expertises plus précises sur la biosécurité, le commerce et les chaînes globales de valeur, la performance et la productivité des exploitations agricoles, l'économie des ressources naturelles et celle de l'industrie, la gestion des données, les effets du changement climatique (figure ci-dessous), les politiques publiques. L'organisme collecte des données de structure et de performance économique des exploitations et des industries de certaines filières agricoles (produits laitiers, viandes bovine et ovine, grandes cultures, horticulture et légumes, etc.). L'ABARES analyse ces informations pour produire ses publications, mais il les met également à disposition d'autres organismes pour la conduite de leurs travaux.

Modélisation des effets (en %) du changement climatique sur le profit des exploitations agricoles

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Source : ABARES (rapport sur l'adaptation des exploitations agricoles australiennes aux impacts du changement climatique, 2021)

Enfin, depuis 1971, l'ABARES organise des conférences Outlook aux niveaux national et régional, pour présenter les résultats de ses travaux. Ces conférences sont adaptées aux spécificités de chaque territoire, concernant la situation économique des principales filières agricoles : évolution prévisible des prix, enjeux pour l'industrie, stratégies de croissance et d'innovation, gestion des ressources naturelles, etc. La dernière en date était consacrée, en mars 2021, à la place de l'agriculture dans un monde changeant et incertain.

Vincent Hébrail-Muet, Centre d'études et de prospective

Source : Australian Bureau of Agricultural and Resource Economics and Sciences (ABARES)

10/11/2021

Pistes des Chambres d'agriculture France pour rendre compatibles les ambitions commerciales, agricoles, environnementales et sociales de l'UE

Publié en octobre 2021, un rapport de Chambres d'agriculture France étudie la compatibilité entre les politiques agricole, commerciale et environnementale de l'Union européenne. Après un examen des Accords de libre-échange (ALE), conclus ou non, et de leurs impacts sur les secteurs agricole et agroalimentaire, les auteurs jugent qu'ils sont contradictoires avec le Green Deal. Ils émettent ensuite des recommandations pour lever cette incompatibilité, parmi lesquelles rendre contraignant le mécanisme de règlement des différends environnementaux et sociaux dans ces accords, coopérer plus fortement sur les pratiques agricoles durables, ou encore innover dans la politique commerciale et les ALE (clauses miroirs, mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, lutte contre la déforestation importée). Ils invitent aussi à renégocier des ALE existants, à mieux intégrer le développement durable dans l'Organisation mondiale du commerce, et à créer une gouvernance mondiale de l'environnement et de l'agriculture pour rendre plus contraignante l'atteinte des Objectifs de développement durable (ODD).

Cadre législatif et conséquences de l'instauration de clauses miroirs

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Source : Chambres d'agriculture France (issu du rapport Interbev - Fondation Nicolas Hulot - Institut Veblen)

Source : Chambres d'agriculture France

09/11/2021

Rôle des assurances agricoles dans l’adaptation et l’atténuation face au changement climatique

L’assurance agricole est un instrument majeur, à l'échelle mondiale, du financement des risques et de l’adaptation au changement climatique. Elle représente un marché de 30 milliards de dollars et génère de multiples mais épars travaux de recherche. Analysant 796 articles publiés entre 2000 et 2019, cette méta-analyse diffusée dans Environmental Research Letters en propose une synthèse, pour mieux définir des priorités pour la recherche. Selon l'étude, les travaux se concentrent sur les pays à revenus élevés, les États-Unis et la Chine en tête, sur la production de céréales (24,7 % des articles) et le bétail (5,7 %). Ils se penchent sur le financement (24,9 %) et l’estimation de la demande d'assurance (22,5 %), mais n'abordent que rarement le changement climatique (4,5 %). Il existe ainsi peu d'études évaluant le rôle des assurances dans l'adaptation et l'atténuation en agriculture. Les auteurs recommandent d’orienter les recherches vers les régions les plus affectées par le changement climatique et pour des cultures favorisant la sécurité nutritionnelle mondiale.

Source : Environmental Research Letters

20/10/2021

Impacts de l’épandage d'effluents d'élevage sur la biodiversité des sols

L'Union européenne (UE) produit et épand chaque année 1,4 milliard de tonnes d'effluents d'élevage (fumiers, lisiers, purins). Dans un article publié dans la revue Agricultural Systems, des chercheurs analysent les effets de ces épandages sur la biodiversité des sols, et ils formulent des recommandations pour mieux prendre en compte ces impacts dans les politiques publiques européennes. Leurs travaux reposent sur une revue de la littérature (407 publications), essentiellement scientifique.

Production annuelle (millions de tonnes) d'effluents d'élevage dans l'UE selon le type d'animauxsols.jpg

Source : Agricultural Systems

La première partie de l'article s'intéresse aux paramètres susceptibles de moduler l'effet des effluents sur la biodiversité des sols. Il est difficile d'en donner ici une vision synthétique, tant les mécanismes en jeu sont complexes et les déterminismes multifactoriels. Avant l'épandage, la nature des effluents (types d'animaux, teneurs en métaux lourds, présence d'antibiotiques, etc.), la façon dont ils sont stockés (exposition à l'air, conditions de température et d'hygrométrie, compostage, etc.), et éventuellement traités (traitements physiques, chimiques et thermiques, digestion anaérobique, etc.), modifient leur composition et leurs impacts sur la biodiversité pédologique. Au moment de l'épandage, la méthode utilisée (aspersion, épandage par pendillard, injection, etc.), les quantités apportées et le contexte pédologique sont également déterminants.

Les auteurs constatent que les réglementations des États membres, sur le sujet, se restreignent le plus souvent aux quantités apportées. Ils recommandent donc une approche plus globale, qui prenne mieux en compte l'ensemble des caractéristiques des effluents, et pas uniquement leur volume. De plus, une part des effluents faisant l'objet de transactions, ils suggèrent de mettre en place une labellisation, permettant à l’agriculteur qui épand des éléments ne provenant pas de son exploitation d'en connaître la composition exacte.

Toutefois, les auteurs considèrent que la concentration en effluents dans l'UE est de toute façon trop importante pour que ceux-ci soient gérés de manière à ne pas dégrader la biodiversité des sols. Réduire la quantité d'effluents à épandre, et donc le nombre d'animaux élevés, leur apparaît donc indispensable.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : Agricultural Systems

19/10/2021

Ergonomie des matériels de pulvérisation et exposition aux pesticides en viticulture

Un article publié en septembre 2021, dans la revue Le travail humain, s'intéresse à l'ergonomie des matériels de pulvérisation utilisés en viticulture. Au-delà des précautions prises dans la phase de mise sur le marché des produits phytosanitaires, et des bonnes pratiques à respecter lors de la manipulation, de nombreux acteurs déplorent une prise en compte insuffisante des logiques qui, sur le terrain, concourent à exposer les travailleurs agricoles aux pesticides (voir à ce sujet un précédent billet). Selon les auteurs, le modèle de « prévention-écran » place entre les produits chimiques et leurs utilisateurs différentes « barrières » (normes, matériels, etc.), mais cet encadrement devrait être complété par une approche instrumentale, attentive aux « besoins réels » des agriculteurs susceptibles d’entraîner des situations d'exposition.

Centrée sur l'utilisation du pulvérisateur dans deux exploitations viticoles, l'analyse repose sur des entretiens de cadrage, des observations filmées des différentes phases de traitement (préparation, épandage, nettoyage, maintenance du matériel), des « entretiens d'autoconfrontation » consistant à faire commenter les enregistrements par l’opérateur, et des mesures (prélèvements de résidus de produits sur le volant et dans la cabine du conducteur). Les résultats mettent en évidence la complexité du travail et « la recherche quotidienne de compromis » par les viticulteurs. Par exemple, lors de l’achat du pulvérisateur, les critères de choix sont « environnementaux, économiques et sociaux » (prise en compte des voisins), mais les enquêtés ne mentionnent pas les enjeux de santé et de sécurité.

Incorporation des produits dans la cuve par le chef de l’exploitation

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Source : Le travail humain

Les auteurs relèvent des défauts de conception et des difficultés d’utilisation, comme par exemple une hauteur de cuve mal adaptée à la tâche de remplissage, ce qui amène à prendre appui sur le bord (illustration ci-dessus). Des aléas et des incidents peuvent aussi entraîner une exposition. C'est le cas d'une buse qui se bouche au cours du traitement, nécessitant le passage de la personne entre les panneaux récupérateurs de produit pour aller la nettoyer. Enfin, des ajustements entre l'opérateur et le matériel, des détournements d'usage, voire des modifications par le distributeur à la demande de l’agriculteur, peuvent aussi être des facteurs de risque.

En définitive, cette étude de cas amène les auteurs à formuler des conclusions plus générales. La conception des équipements paraît « éclatée entre divers acteurs (fabricants, distributeurs, agriculteurs) », cette configuration appelant, selon eux, « une réflexion systémique » sur la conception des outils et sur les réglementations.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : Le travail humain