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16/12/2019

Quel recours au travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement mondiales ?

Publié en novembre 2019 conjointement par l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef), un rapport fournit des estimations sur le recours au travail des enfants et au travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, alimentaires notamment. Pour cela, les auteurs utilisent des données de l'OCDE (tableaux internationaux d'entrées-sorties), décrivant les relations entre secteurs producteurs et consommateurs de chaque pays et permettant d'isoler l'impact direct ou indirect d'un secteur spécifique sur l'ensemble de l'économie. Ils les combinent avec 65 ensembles de données probabilistes nationales sur le travail des enfants. Une analyse complémentaire a également estimé le recours au travail forcé, mais les données sont plus limitées et les résultats moins robustes.

Les auteurs montrent qu'il existe un risque non négligeable de travail des enfants dans la production liée aux chaînes d'approvisionnement mondiales, même si celui-ci est nettement plus répandu dans celle destinée à l'économie nationale. Ainsi, ils estiment que 26 % du travail des enfants en Asie orientale et du Sud-Est contribuent aux exportations vers d’autres régions (voir figure ci-dessous), contre 9 % en Asie occidentale et en Afrique septentrionale.

Estimations du travail des enfants et de la valeur ajoutée pour les biens et services exportés et la demande intérieure, par région (2015)

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Source : OIT, OCDE, OIM, Unicef

L’analyse empirique fournit également des indications sur les maillons des chaînes d’approvisionnement concentrant le travail des enfants : selon les régions, entre 28 % et 43 % de ce travail contribuent indirectement aux exportations, par l’intermédiaire des secteurs amont (comme l’extraction de matières premières ou l’agriculture). De ce fait, les secteurs agricoles et alimentaires font partie de ceux présentant le risque le plus élevé de travail des enfants dans leur chaîne d'approvisionnement, et ce pour toutes les régions étudiées (voir tableau ci-dessous). En Amérique latine par exemple, 7 % du travail des enfants contribuant à la production alimentaire se font dans le dernier maillon de la chaîne, contre 93 % dans les secteurs en amont (dont 80 % dans le secteur agricole).

Cinq principaux secteurs d’exportation présentant un risque de travail des enfants dans leur chaîne d’approvisionnement, contributions directes et indirectes, par région (2015)

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Source : OIT, OCDE, OIM, Unicef

Lecture : les contributions directes proviennent du stade final de la production tandis que les contributions indirectes proviennent des intrants en amont de la chaîne d’approvisionnement.

Enfin, les auteurs identifient trois grandes catégories de facteurs de risques : i) lacunes dans la législation, l'application de la loi et l'accès à la justice, ii) pressions socio-économiques auxquelles sont confrontés les individus et iii) conduite des entreprises. Ils proposent un ensemble de recommandations pour les acteurs publics et privés.

Estelle Midler, Centre d'études et de prospective

Source : OIT

12/12/2019

Optimisation de soi et alimentation

Ethnologie française consacre son dernier numéro aux différentes formes que peut prendre l'appropriation, par les individus, de l'injonction moderne à l'« optimisation de soi ». Une partie du dossier aborde, plus ou moins directement, les comportements alimentaires. Ainsi, E. Dagiral (CNRS) traite de la place des technologies de quantification du soi, à partir d'interviews de cadres early adopters de dispositifs de self-tracking (applications et montres connectées). Quel que soit le type de mesure au départ (souvent celle de la performance sportive), les dispositifs d'enregistrement poussent les personnes, « de proche en proche », à un auto-façonnage plus systématique : c'est alors moins l'amélioration isolée d'un aspect précis – activité physique, sommeil, etc. – qui est recherchée, qu'un « équilibre général » où alimentation et nutrition trouvent leur place.

On retrouve cette dimension exploratoire et bourgeonnante dans les articles où l'alimentation est au point de départ de l'effort de perfectionnement. N. Diasio et V. Fidolini (université de Strasbourg) examinent comment des hommes de 40-60 ans font face au vieillissement de leur corps, recalibrent leurs régimes et questionnent les modèles de masculinité dominants, structurés autour de la viande. V. Wolff (CNRS), elle, a enquêté sur les parcours de personnes qui, à force de maux de ventre, se découvrent une « sensibilité alimentaire » et s'engagent dans un régime sans gluten. Elles interprètent leur inconfort comme un « message » adressé par leur corps et lui donnent sens par référence à la critique de plus en plus répandue de « l'alimentation industrielle ». Elles vont ainsi jusqu'à remettre en cause la norme dominante et toutes les dimensions de leur existence : passion nouvelle pour la cuisine, réorientations professionnelles, etc.

Enfin, S. Mouret (Inra) s'intéresse aux pratiques de complémentation en vitamine B12 dans le régime végane. Selon lui, un corps maladif étant une mauvaise publicité pour le mouvement, ceux qui ne pratiquent pas correctement la complémentation sont vus comme « fautifs » et encourent la réprobation. Mais certains, au nom de la naturalité, refusent tout de même cet artifice, ce dernier se rapprochant, pour l'auteur, de la philosophie transhumaniste.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : Ethnologie française

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11/12/2019

Animal-humain : relation, rupture, différence ? Une série de l'émission Matières à penser

Début novembre 2019, dans l'émission Matières à penser, le philosophe F. Worms a conduit cinq entretiens sur le thème « Animal humain », avec des experts de disciplines variées (neurobiologie, biologie, philosophie, sociologie). Tous soulignent la complexité des relations entre humain et animal. Le neurobiologiste A. Prochiantz, auteur de Singe toi-même, met en avant les spécificités humaines par rapport aux primates. Dans cette même logique, le philosophe E. Bimbenet, auteur notamment de l'essai Le complexe des 3 singes (essai sur l'animalité humaine), décrit le passage de l'anthropocentrisme au zoocentrisme, qui conduit parfois à considérer toute différence comme une discrimination, malgré les travaux en psychologie cognitive (études de M. Tomasello) attestant de l'inégalité des apprentissages entre les jeunes enfants et les primates. Ces deux intervenants préconisent, face aux controverses actuelles, de remettre à plat les enjeux de la relation Humain-Animal.

Le biologiste G. Boeuf évoque le destin commun de l'animal et de l'homme à travers l'imbrication du vivant. Il rappelle que l'humain a des comportements qu'un animal, même le plus évolué, n'aura jamais. Concernant les animaux de rente, la sociologue J. Porcher estime que l'élevage doit impliquer soins et respect. Leur mort peut être « adoucie et ritualisée ». Ensuite, il devient une « carcasse » faisant l'objet d'un travail humain. La zootechnie a conduit à considérer les animaux comme des machines, en ne considérant que la performance économique. À l'opposé, la libération animale, dont le principe est de refuser les aspects « contraignants » de l'élevage, pourrait faire disparaître la vie animale. Selon elle, la synthèse de viande artificielle, à partir de quelques cellules, paraît une solution permettant de « donner bonne conscience », mais ceux qui financent ces recherches soutiennent aussi le transhumanisme et la robotique (voir à ce sujet un précédent billet sur ce blog).

Enfin, V. Maris, philosophe de l'environnement et auteure notamment de La part sauvage du monde, s'est penchée sur l'interventionnisme auprès de la faune sauvage. L'homme doit-il aider les animaux en souffrance ou laisser faire la nature ? Une approche compassionnelle peut se justifier par le souci du bien-être animal ou de la préservation d'une espèce, mais une attitude non interventionniste est le signe que les humains acceptent de ne pas prendre entièrement le contrôle de la vie sauvage.

Madeleine Lesage, Centre d'études et de prospective

Source : France Culture

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La France gastronome. Comment le restaurant est entré dans notre histoire, Antoine de Baecque

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En 1765, Mathurin Roze de Chantoiseau sert une volaille au gros sel sur un guéridon de marbre dans une boulangerie de la rue des Poulies. Premier des « restaurateurs », il brave ainsi les interdits de l'Ancien Régime empêchant tout particulier, traiteur ou tavernier de nourrir ses semblables dans un lieu fermé pourvu de tables individuelles. Ce nouveau type d'établissements se diffuse ensuite rapidement, une clientèle de plus en plus large appréciant les plats variés, à prix fixes, choisis dans un menu. Avec la Révolution, les nombreux cuisiniers des princes émigrés s'établissent à leur compte et accélèrent le passage de la gastronomie aristocratique codifiée à la cuisine bourgeoise plus inventive.

De l'Empire jusqu'au début des années 1820, le Palais-Royal est l'épicentre de cette restauration française, et même mondiale : associant le régal du ventre aux plaisirs du jeu et de la chair, c'est là que se décident l'horaire du dîner, l'ordre des plats, leurs présentations, les manières de nommer et tarifer. Un trio célèbre marque cette époque : Carême, inventeur de la toque et premier cuisinier vedette de l'histoire ; Grimod de La Reynière, précurseur de la critique gastronomique ; Brillat-Savarin, philosophe hédoniste et théoricien du sensible.

Rien qu'à Paris, on compte trois cents « restaurants » en 1804, un millier en 1825, deux mille en 1834. En 1835, le mot entre dans le Dictionnaire de l'Académie française. Durant les années 1820-1840, les établissements les plus fameux migrent sur le « Boulevard parisien », entre la Bastille et la Madeleine. Caché des regards extérieurs, dans un entre-soi élitiste et mondain, le luxe de la table restauratrice devient un spectacle partagé, créateur de connivences et de distinctions sociales, le tout ponctué de notes exorbitantes.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les restaurants se diffusent dans tout le pays et dans tous les quartiers des villes, de façon variable selon leurs statuts et leurs clientèles : restaurants « à la carte » réservés aux fortunés, « à prix fixe » pour les bourses moyennes, « bouillons » pour les moins argentés. Les « brasseries », quant à elles, se développent surtout après 1870 et la perte de l'Alsace-Lorraine, faisant revivre les provinces perdues à travers leurs spécialités culinaires... arrosées de flots de bière. Et alors apparaît Escoffier, créateur de la pêche Melba, ancien responsable des cuisines de l'armée du Rhin, qui impose une division du travail inspirée du fonctionnement militaire, avec ses « chefs », « brigades », « fusils » et « coups de feu ». Plus tard, associé à César Ritz, il introduit le restaurant dans les palaces, permettant aux élites internationales de venir – dans le confort et la discrétion – festoyer à la française.

À la fin du XIXe siècle, à Paris, sur près d'un million d'habitants, cent mille dînent quotidiennement au restaurant. Plus généralement, 130 ans seulement après le coup d'éclat de Roze de Chantoiseau, la France dispose d'une large gamme d'établissements, en tous lieux, de tous décors, pour toutes cuisines, où l'on rassasie les panses en faisant la conversation, et synonymes de « francité » dans le monde entier.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Payot

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09/12/2019

Histoire de la consommation de viande : dossier de la revue L'Histoire

La revue L'Histoire consacre le dossier de son numéro de décembre 2019 à « Manger de la viande : des interdits, des coutumes et des goûts ». Huit articles nous transportent de la révolution néolithique à « l'offensive végane » : nous en retiendrons deux ici. Dans sa contribution sur le Moyen-Âge, Bruno Laurioux explicite la notion de « jeûne » : il montre que celui-ci n'interdit pas toutes les viandes, la liste des interdictions variant au gré des interprétations. Par exemple, la viande des animaux aquatiques, comportant les poissons, mais aussi les oiseaux d'eau et la queue de castor, était autorisée car « dans l'eau ». Intéressant aussi est le cas de la viande hachée et des saucisses, considérées alors comme hors de l'alimentation carnée, et que l'on peut rapprocher de la forte consommation actuelle de viande hachée, dans un contexte de baisse de la viande dans les régimes alimentaires. Emmanuelle Cronier rappelle ainsi que la France a découvert l'industrie de la viande frigorifiée ou en conserve, provenant en particulier de l'industrie de Chicago, lors de l'arrivée des troupes américaines à la fin de la Première Guerre mondiale.

Source : L'Histoire

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18/11/2019

Risques et systèmes alimentaires : tendances et défis

En octobre 2019, la FAO, le Cirad et la Commission européenne ont publié un rapport sur les risques auxquels sont et seront confrontés les systèmes alimentaires. Réalisé par des chercheurs du Cirad, ce document s'appuie sur les connaissances scientifiques actuelles, avec une attention particulière portée aux pays à faibles revenus. La première partie établit un cadre général d'analyse, détaillant six catégories de moteurs et leurs tendances : facteurs biophysiques et environnementaux (ressources naturelles, climat), démographiques (urbanisation, migrations, etc.), technologiques et infrastructurels, économiques (revenus, commerce et globalisation, etc.), socio-culturels (valeurs et identités, éducation et services de santé, etc.) et politiques (gouvernance, conflits, etc.).

Les parties suivantes traitent des risques sous quatre angles : changement climatique, environnement, dimensions sociales et économiques, sécurité alimentaire. Divers enjeux et leurs interactions sont traités. Ainsi, sur la question climatique, la partie 2 s'intéresse aux problèmes des émissions de gaz à effet de serre, des productions animales, de la déforestation et des nouveaux ravageurs et maladies. De même, la partie 5 aborde les défis liés aux disponibilités alimentaires (en particulier en Afrique du fait de la croissance démographique et du changement climatique), aux risques de prix alimentaires plus instables et plus élevés sur les marchés internationaux, aux risques nutritionnels liés à des régimes non sains et à ceux associés à la qualité sanitaire des denrées.

Combinaison de moteurs (en noir) des systèmes alimentaires et génération de risques cumulés (en rouge)

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Source : Cirad

En conclusion, il apparaît que les progrès récents en matière de quantité et qualité de la production alimentaire sont remis en question par divers facteurs : surexploitation des ressources, pauvreté, insécurité alimentaire liée à l'accès, transitions nutritionnelles, etc. Les auteurs invitent à repenser les systèmes en prenant en compte leurs différents rôles (création d'emplois, réduction des inégalités entre acteurs et territoires, etc.) et à en développer une évaluation multifactorielle, dépassant le seul objectif de production. Par ailleurs, rappelant les augmentations récentes du nombre de personnes souffrant de la faim, ils soulignent que certaines régions (pays à bas revenus en particulier) sont particulièrement confrontées à des combinaisons de risques, lesquels « se précipitent, s'aggravent et se combinent ». Enfin, si les risques sont globaux, les auteurs appellent à « être plus attentif aux trajectoires de résilience et aux solutions locales ».

Carte des risques associés aux principaux systèmes de production

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Source : Cirad

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Source : Cirad

14/11/2019

Politisation de la cause animale

Le magazine Cités (octobre 2019) analyse la politisation de la cause animale à travers divers articles présentant un panorama varié mais orienté de cette question. Depuis Porphyre, auteur du Traité de l'abstinence des viandes, qui estimait que sa consommation relevait du domaine privé et non politique, de nombreux courants de pensée se sont sucdé.

L'universitaire R. Larue, dans son article, signale que les antispécistes votent plutôt à gauche et qu'ils considèrent les spécistes comme des conservateurs trop attachés aux hiérarchies sociales. Outre-Atlantique, la littérature antispéciste a souvent émergé au sein d'universités multiculturelles, bien qu'il existe aussi des animalistes de type white nationalist, souvent à l'extrême-droite. Cette dualité est aussi présente en France. Pour R. Larue, la diffusion de la cause animale serait plus aisée si l'antispécisme était « détribalisé » et les positionnements moins radicaux et violents.

L'article de M. Hauguel souligne que les modes d’incorporation de la cause antispéciste à la société sont divers, allant de l'usage de mots bruts et rebutants pour désigner les produits animaux (« cadavre » au lieu de « viande » par exemple), jusqu'aux actions de commandos violents. Pour l'écrivaine C. J. Adams, auteure de La politique sexuelle de la viande, il existe des liens entre mauvais traitements des animaux et misogynie, certaines publicités assimilant les produits animaux à des objets sexualisés. Par ailleurs, l'entretien avec les réalisateurs du documentaire Saigneurs montre comment la souffrance psychique, la dangerosité et les difficiles conditions de travail des ouvriers en abattoir offrent un parallèle entre bien-être animal et humain.

Enfin, la philosophe J. Grange analyse l'évolution de la relation entre l'homme et le chien de compagnie, depuis la révolution industrielle, citant certains combats de cette époque, comme celui de la journaliste féministe M. Durand bravant les interdits religieux pour créer le premier cimetière animalier. Plus largement, elle considère que « le fait de vivre familièrement avec un animal dépourvu de toute utilité » en ayant avec lui « une relation exclusive et affective est un fait nouveau des sociétés urbaines occidentales », parlant ainsi d'« urbanimalisation ».

Madeleine Lesage, Centre d'études et de prospective

Source : Cités

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12/11/2019

Cause animale, cause du capital, Jocelyne Porcher

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Depuis 2013 et la mise en scène de la dégustation du premier hamburger de viande in vitro par le chercheur néerlandais M. Post, des start-ups toujours plus nombreuses cherchent à appliquer les principes de l'ingénierie tissulaire à la production alimentaire. Dans un court ouvrage au ton vif, voire pamphlétaire, J. Porcher (Inra) analyse les implications de l'émergence de ce nouveau type de produits pour l'élevage et nos relations avec les animaux.

La viande de synthèse et les substituts protéinés sont présentés par les entrepreneurs, mais aussi par certains militants végans, comme une réponse radicale à quatre problèmes : l'augmentation de la demande alimentaire mondiale, les impacts de la consommation de produits carnés sur la santé humaine, la lutte contre les dégradations environnementales, et les conditions de vie des animaux. Cette innovation biotechnologique s'accompagne d'une intense activité de storytelling ayant pour objectif de promouvoir son acceptabilité sociale. J. Porcher considère que la terminologie utilisée (« clean meat » ou « viande propre », « agriculture cellulaire » ou, plus récemment, « viande cultivée ») est au cœur d'une véritable « bataille sémantique » et idéologique, orchestrée par des multinationales des biotechnologies et de l'agroalimentaire, avec le concours des associations abolitionnistes, visant à « discréditer tous les produits animaux, sans distinction de systèmes de production », et « à dégoûter les consommateurs de la viande ».

Discutant les fins et les moyens des mobilisations en faveur de la cause animale, et en particulier les interventions très médiatisées de L214, elle passe aussi en revue une série de références théoriques (Singer, Francione, Donaldson et Kymlicka, notamment), et soutient qu'elles occultent les relations de travail nouées avec les animaux de ferme, ainsi que les formes d'exploitation et de domination qui pèsent, en commun, sur les animaux et sur les humains. Ce faisant, les militants abolitionnistes « acceptent les règles du jeu économique en vigueur » et servent dès lors, selon elle, les intérêts du capitalisme et de l'industrie. Le propre point d'appui normatif de J. Porcher, l'élevage traditionnel en petite ferme, bien distinct des « productions animales » industrialisées mises en place dans les années 1960, est explicité seulement en ouverture du dernier chapitre, avant un panorama mondial des entreprises impliquées dans la recherche sur la viande in vitro.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Le Bord de l'eau

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08/11/2019

Peut-on se passer de la grande distribution ?

L'une des séances de La fabrique des aliments, cycle de journées d’études organisé à l’initiative des chercheurs Inra de l’IRISSO, était consacrée, le 17 octobre 2019, aux évolutions de la grande distribution. L’historien J.-C. Daumas a d’abord mis en perspective les discours apparus dès les années 1990 annonçant « la fin des hypermarchés » ou, plus récemment, « l’amazonisation complète du commerce », avec ses travaux sur la consommation de masse (voir à ce sujet un précédent billet sur ce blog). Selon lui, l'avenir du commerce alimentaire dépendra notamment de la capacité des distributeurs, qui disposent de réserves financières considérables, à nouer des alliances avec les pure players d’Internet, mais aussi de l’attitude des consommateurs qui, en France, s’enthousiasment pour la livraison… à condition qu’elle soit gratuite. Quatre autres travaux ont ensuite été discutés : ceux du géographe S. Deprez sur les effets territoriaux du commerce connecté (drives d’enseignes et fermiers) ; la recherche en marketing de M. Herbert, I. Robert et F. Saucède, qui ont utilisé des méthodes de prospective pour imaginer comment nous ferons nos courses en 2025 ; la sociologie des négociations entre la grande distribution et ses fournisseurs (S. Billows) ; et, enfin, l’analyse du luxe alimentaire (V. Marcilhac), pour qui l’alliance avec la grande distribution est porteuse d’un risque de banalisation.

Lien : Transhumances

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07/11/2019

Concordance des temps (France Culture) : la République, l'animal et nous

« L'usage de manger de la viande est, dit-on, fondé sur la Nature. Mais, si vous vous obstinez à soutenir qu'elle vous a fait pour manger la chair des animaux, égorgez-les donc vous-même ». C'est par cette citation de Plutarque que débute l'émission Concordance des temps du 5 octobre 2019, consacrée à « la République, l'animal et nous ». Comme le souligne J.-N. Jeanneney, « pour qui croirait que les soucis de protection des animaux seraient tout récents, voilà un démenti éclatant ». Son invité, P. Serna, professeur d’histoire de la Révolution française à l’université Paris-I-Sorbonne, retrace avec passion et érudition l'histoire des rapports entre l'homme et l'animal depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, en passant par le Siècle des Lumières et la Révolution industrielle. Des rapports qui évoluent avec les sensibilités collectives, les structures économiques (par exemple, au XVIIIe siècle, la France doit acheter de la laine à l'Angleterre et à l'Espagne et perd ainsi des millions de livres chaque année), et nos conceptions du monde vivant et de la politique : pour Bernardin de Saint-Pierre, les animaux paisibles (vache, cheval, mouton) sont des animaux travailleurs et, donc, républicains. Pour ceux-là, il n'y a pas besoin de « barrière » au contraire des animaux sauvages, métaphores de l'aristocratie. Comme le souligne Pierre Serna, « les animaux ont fait leur révolution avant 1789 ».

Source : Concordance des temps

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07/10/2019

Comités de recrutement scientifiques et biais de genre

Des chercheurs français ont étudié l'impact des stéréotypes de genre sur le recrutement de chercheuses au CNRS. La quasi-totalité des disciplines comprend moins de la moitié de femmes chercheuses (mise à part « cultures et sociétés ») : c'est notamment le cas de celles liées à l'agriculture, avec à ce jour, par exemple, environ 30 % de chercheuses dans la catégorie « biologie végétale intégrative », 42 % dans la catégorie « espaces, territoires et entreprises », 23 % dans la catégorie « biodiversité, évolution et adaptations biologiques ». Les auteurs montrent notamment que les membres des comités de recrutement ayant de forts biais implicites, et pensant que les processus de promotion ou de sélection ne sont pas biaisés, recrutent moins de femmes. Ces résultats soulignent l'importance de former ces comités sur les stéréotypes de genre.

Source : Nature Human Behaviour

11:14 Publié dans Enseignement et recherche, Société | Lien permanent | Tags : genre, stéréotypes, recherche, recrutement |  Imprimer | | | | |  Facebook

18/09/2019

La place des jeunes dans les processus de transformations structurelle et rurale

Un rapport du FIDA de juin 2019 analyse la situation socio-économique des jeunes ruraux (15-24 ans) dans 85 pays « en voie de développement » et « émergents », de diverses régions (Asie-Pacifique, Afrique subsaharienne, Proche-Orient, Afrique du Nord, Asie Centrale, Europe, Amérique latine, Caraïbes). Il décrit les contextes qui conditionnent leur avenir et les leviers qui devraient être actionnés par les pouvoirs publics et les investissements privés pour faciliter leur insertion dans la vie active. Plus de 80 % des 15-24 ans vivent dans des « pays en développement », dont 41 % dans les zones rurales, notamment en Asie et en Afrique. Les projections prévoient une augmentation et une concentration géographique de cette tranche de la population en Afrique.

Les auteurs fondent leur analyse sur un ensemble de données macro et microéconomiques, ces dernières issues d'enquêtes auprès de ménages. Une typologie originale des « espaces des débouchés ruraux » combine les informations sur les potentiels de production agricole et de commercialisation, la densité de population, la localisation géographique des ménages. Elle permet de montrer que la prévalence des ménages composés d'agriculteurs de subsistance diminue et celle des ménages non agricoles augmentent lorsque les débouchés sont plus importants (figure ci-dessous).

Pourcentage de ménages dans l'espace des débouchés ruraux, par type de ménage

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Source : FIDA

Lecture : dans les espaces rencontrant des difficultés de débouchés importantes, 61 % des ménages sont en transition et 18 % sont non agriculteurs. Ces proportions sont respectivement de 49 % et 38% dans les espaces présentant des débouchés variés et rémunérateurs.

Selon les auteurs, les trois piliers d'une transformation rurale inclusive de la jeunesse sont la productivité (environnement de travail, compétences), la connectivité (rapports aux personnes, marchés, services, informations) et, enfin, un contexte favorisant la maîtrise de leur destin à tous les niveaux (familial, local et national). Le RSPA (Rural sector performance assessment), ensemble d'indicateurs développé par le FIDA pour évaluer la performance économique générale d'un pays, et du secteur rural en particulier (politiques de développement, pauvreté, égalité des sexes, compétences, nutrition, changement climatique, accès au foncier, aux marchés, etc.), contribue à l'analyse de ces transformations rurales en cours. La répartition des jeunes, par région et par type de transformations, concernant l'ensemble du pays (« transformation structurelle ») ou seulement les zones rurales (« transformation rurale »), en est une illustration (figure ci-dessous).

Nombre de jeunes par région et par catégorie de transformations structurelle (TS) et rurale (TR)

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Source : FIDA

Hugo Berman, Centre d'études et de prospective

Source : Fonds international de développement agricole

17/09/2019

Terres nourricières ? La gestion du foncier agricole en France face aux demandes de relocalisation alimentaire

Les démarches de « retour au local », en matière alimentaire, sont le plus souvent étudiées sous l'angle de la consommation citoyenne, reléguant à l'arrière-plan leurs aspects fonciers et spatiaux. Elles sont aussi entourées d'un certain halo discursif, entretenant un doute sur leur réelle portée transformatrice. La thèse de géographie qu'A. Baysse-Laîné (université Lyon 2) consacre aux « mobilisations de terre », dans le cadre de projets de relocalisation alimentaire, apporte une analyse très éclairante en la matière.

Ciblant ses observations sur trois zones – le Lyonnais, l'Amiénois et le sud-est de l'Aveyron –, l'auteur repère des projets de relocalisation portés par divers acteurs : l'association Terre de Liens (6), des acteurs publics locaux (12), mais aussi des agriculteurs (118) intégrés dans une filière et réorientant tout ou partie de leur activité vers les marchés de proximité, notamment à l'occasion de la transmission de l'exploitation. Une autre dimension importante de son travail consiste à cerner la base foncière de ces circuits alimentaires.

Ses résultats mettent notamment en évidence une forme originale de « circuits courts de longue distance », sous influence urbaine et, dans le cas des mobilisations des acteurs publics, relativisent l'idée d'une moindre qualité des terres mises à disposition. Ils pointent aussi l'important décalage entre les discours sur la terre nourricière et la réalisation limitée des projets.

Le renouvellement des voies d'accès au foncier agricole se fait « à la marge » des dispositifs majoritaires d'installation. Des associations de développement rural et le syndicalisme minoritaire mettent en œuvre des « stratégies réticulaires » pour partager l'information sur la libération de terres à exploiter. De leur côté, les acteurs publics territoriaux et Terres de Lien engagent des « stratégies domaniales » d'acquisitions de terres, pour réserver celles-ci à certains types d'agriculture (production biologique, permaculture, etc.). Adoptant une approche en termes de « faisceaux de droits fonciers », l'auteur analyse les rapports de force autour des terres et envisage les effets des stratégies domaniales sur la coexistence entre différents modèles agricoles. Si les surfaces concernées sont assez réduites, ces effets d'ouverture à de nouveaux publics sont, en fait, loin d'être négligeables, les mobilisations de terre étant l'occasion d'un réajustement, plus ou moins conflictuel, des relations entre acteurs.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : HAL

13/09/2019

Note sur l'« électorat animaliste » aux élections européennes de mai 2019

Début juillet 2019, la Fondation Jean Jaurès a publié une note de J. Fourquet et S. Manternach sur l'électorat animaliste français aux élections européennes de mai 2019. Créé en 2016, le parti animaliste a recueilli environ 490 000 voix, soit 2,2 % des suffrages, contre 1 % pour les candidats présentés dans 100 circonscriptions lors des législatives de 2017. Pour les auteurs, au-delà des spécificités du scrutin européen, ces résultats traduisent un « phénomène de société profond » associé à « la montée en puissance dans toute une partie de la société française de cette nouvelle sensibilité ».

Vote animaliste par cantons

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Source : Fondation Jean Jaurès

Une analyse cartographique à l'échelle cantonale montre que le quart nord-est (en particulier la grande périphérie francilienne) et l'extrême sud-est recueillent les meilleurs résultats. À l'inverse du vote écologiste, les grandes métropoles y sont peu favorables, et la présence socio-économique et culturelle de l'élevage, ainsi que celles de la chasse et du catholicisme, sont des facteurs inhibiteurs de ce vote. L'habitat pavillonnaire et la place importante des animaux de compagnie dans les modes de vie, associés par les auteurs à un repli sur la sphère privée et l'univers familial, soutiennent ce vote, lequel est plutôt le fait des classes moyennes inférieures et des milieux modestes. Enfin, s'il présente des similitudes avec celui pour le Rassemblement national, les auteurs privilégient « la thèse de l'espace électoral laissé vacant par la décomposition du paysage politique traditionnel », rendant possible l'émergence d'une « offre politique radicalement différente ».

Score du parti animaliste aux élections européennes de 2019 (gauche) et nombre d'abattoirs par département (droite)

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Source : Fondation Jean Jaurès

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Source : Fondation Jean Jaurès

11/09/2019

Insurrections paysannes. De la terre à la rue : usages de la violence au XXe siècle, Édouard Lynch

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Ce qu'il y a de bien, avec les historiens, c'est qu'ils travaillent dur, respectent leurs sources et aiment encore écrire de gros livres. La présente publication d'Édouard Lynch, professeur à l’université Lyon 2, répond à tous ces critères, et encore ne s'agit-il là que d'une version condensée de son volumineux mémoire d'habilitation à diriger des thèses (plus de 1 200 pages), achevé en 2012.

En France, les actions collectives paysannes, différentes des autres mobilisations professionnelles, ont donné lieu à de nombreuses études, dont cet ouvrage se démarque à plus d'un titre. D'abord par l'ampleur de la période explorée, allant de 1870 à 1977, cette dernière date étant imposée par la disponibilité des archives. Ensuite, l'auteur s'est essentiellement intéressé aux luttes paysannes violentes : barrages, saccages de bureaux, déversement de purin, destruction de produits, affrontements avec les forces de l'ordre, etc. De plus, loin des habituelles monographies locales, Lynch propose une vue d'ensemble de toute la conflictualité agricole. Pour ce faire, il s'appuie sur des archives administratives centrales, mais au lieu d'utiliser seulement les sources, classiques, du ministère de l'Intérieur, il mobilise aussi celles du ministère de la Justice, en particulier de la direction des affaires criminelles et des grâces, qui réunissent toutes les enquêtes initiées par les parquets et remontées à Paris en vue de décider ou non d'engager des poursuites.

De facture classique, l'ouvrage comporte quatre parties chronologiques. La première (1870-1914) décrit les premières grèves de salariés agricoles puis les grands conflits viticoles qui embrasent le Midi, à la base d'un double processus de nationalisation des contestations et de maîtrise progressive des codes médiatiques. La partie suivante (1920-1940) montre la tendance à la politisation des luttes, sur fond d'agrarisme et de violence maîtrisée. La troisième (1945-1966) dépeint la radicalisation et la diversification des insurrections agricoles (barrages, luttes intersociales, etc.). La dernière période (1967-1977) voit la généralisation des manifestations-destructions, avec des années 1967 et 1974-76 particulièrement explosives, et des pouvoirs publics restant d'une grande mansuétude.

Dans l'épilogue, l'auteur prolonge son analyse jusqu'à aujourd'hui. Il souligne que le recours à l'action directe reste une spécificité du monde agricole, mais que les dernières décennies se caractérisent par une baisse régulière de la violence et de la logique de confrontation, et ce pour plusieurs raisons : chute de la démographie agricole, reconfigurations du métier, affirmation de nouveaux défis environnementaux ou sanitaires, le tout sous l'œil de réseaux sociaux prêts à stigmatiser n'importe quelle brutalité, même minime et involontaire.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Vendémiaire

16:35 Publié dans Agriculteurs, Société | Lien permanent | Tags : lynch, paysans, agriculteurs, insurrections paysannes |  Imprimer | | | | |  Facebook