Optimisation de soi et alimentation (12/12/2019)

Ethnologie française consacre son dernier numéro aux différentes formes que peut prendre l'appropriation, par les individus, de l'injonction moderne à l'« optimisation de soi ». Une partie du dossier aborde, plus ou moins directement, les comportements alimentaires. Ainsi, E. Dagiral (CNRS) traite de la place des technologies de quantification du soi, à partir d'interviews de cadres early adopters de dispositifs de self-tracking (applications et montres connectées). Quel que soit le type de mesure au départ (souvent celle de la performance sportive), les dispositifs d'enregistrement poussent les personnes, « de proche en proche », à un auto-façonnage plus systématique : c'est alors moins l'amélioration isolée d'un aspect précis – activité physique, sommeil, etc. – qui est recherchée, qu'un « équilibre général » où alimentation et nutrition trouvent leur place.

On retrouve cette dimension exploratoire et bourgeonnante dans les articles où l'alimentation est au point de départ de l'effort de perfectionnement. N. Diasio et V. Fidolini (université de Strasbourg) examinent comment des hommes de 40-60 ans font face au vieillissement de leur corps, recalibrent leurs régimes et questionnent les modèles de masculinité dominants, structurés autour de la viande. V. Wolff (CNRS), elle, a enquêté sur les parcours de personnes qui, à force de maux de ventre, se découvrent une « sensibilité alimentaire » et s'engagent dans un régime sans gluten. Elles interprètent leur inconfort comme un « message » adressé par leur corps et lui donnent sens par référence à la critique de plus en plus répandue de « l'alimentation industrielle ». Elles vont ainsi jusqu'à remettre en cause la norme dominante et toutes les dimensions de leur existence : passion nouvelle pour la cuisine, réorientations professionnelles, etc.

Enfin, S. Mouret (Inra) s'intéresse aux pratiques de complémentation en vitamine B12 dans le régime végane. Selon lui, un corps maladif étant une mauvaise publicité pour le mouvement, ceux qui ne pratiquent pas correctement la complémentation sont vus comme « fautifs » et encourent la réprobation. Mais certains, au nom de la naturalité, refusent tout de même cet artifice, ce dernier se rapprochant, pour l'auteur, de la philosophie transhumaniste.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : Ethnologie française

15:28 | Lien permanent | Tags : optimisation, self-tracking, viande, vegan, gluten |  Imprimer | | | | |  Facebook