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16/04/2021

Aurélien Boutaud, Natacha Gondran, Les limites planétaires, Éditions La Découverte, 2020, 128 pages

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Ainsi que le montre ce livre très pédagogique, la prise de conscience des dimensions finies de la Terre n'est pas nouvelle. Les réflexions commencèrent dans l'Antiquité et se précisèrent au fil des siècles, avec une accentuation au début de la « révolution industrielle » (Malthus) et plus encore à partir des années 1970 (Ehrlich, Georgescu-Roegen, rapport Meadows). Aujourd'hui, le sujet est au cœur des débats sur l'avenir de la nature et des sociétés humaines, qu'ils aient une tonalité optimiste (politiques de développement, découvertes scientifiques, solutions économiques) ou pessimiste (collapsologie, Anthropocène, décroissance, empreinte écologique).

Si conscience des limites il y eut toujours, leurs définitions varièrent selon les époques. Aux XIXe et XXe siècles, c'est l'idée de finitude des ressources naturelles qui domina. Depuis une vingtaine d'années s'y ajoutent des réflexions sur les modalités de régulation du système planétaire et sur ses capacités à supporter les pollutions. Pour préciser et lister ces planetary boundaries, plusieurs dizaines de chercheurs se réunirent en 2008 à l'initiative du Stockholm Resilience Centre. Ils identifièrent neuf processus environnementaux susceptibles d'altérer les grands équilibres biophysiques, et donc à surveiller de près avec une batterie d'indicateurs.

Trois de ces processus présentent des risques de rupture à l'échelle mondiale : changement climatique, acidification des océans, érosion de la couche d'ozone. Quatre autres ont eu jusqu'à présent seulement des impacts locaux ou régionaux, mais qui pourraient en s'agrégeant devenir planétaires : perturbation des cycles de l'azote et du phosphore, perturbation du cycle de l'eau douce, déforestation, réduction de la biodiversité. Enfin, deux dernières pressions anthropiques majeures n'ont pas encore donné lieu à la fixation de limites précises : charge atmosphérique en aérosols, « introduction d'entités nouvelles dans l'environnement » (substances chimiques, nanoparticules, microplastiques, métaux lourds, OGM, etc.).

Précis dans leur rédaction et équilibrés dans leur argumentation, les auteurs n'hésitent pas à dire que ces travaux sur les limites comportent eux-mêmes des... limites. D'ordre scientifique d'abord, avec des difficultés liées au choix des bons indicateurs, à l'identification des points de bascule, au repérage des facteurs explicatifs, etc. Des difficultés politiques ensuite, car si le sujet est parvenu à mobiliser de nombreux chercheurs, observateurs et acteurs sociaux, il est encore loin de constituer un référentiel pour les décisions des États et institutions internationales. La mobilisation fut rapide et victorieuse, dans les années 1990, pour résorber le trou de la couche d'ozone, mais les défis qui s'annoncent maintenant sont autrement plus redoutables.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions La Découverte

15/04/2021

Marc-Williams Debono, L'intelligence des plantes en question, Éditions Hermann, 2020, 240 pages

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Depuis une vingtaine d'années, une partie de la botanique est en pleine révolution : recherches scientifiques et livres « grand public » ont multiplié les annonces sur la « mémoire des plantes », la « communication des arbres » ou la « neurobiologie végétale ». Certains parlent de découvertes fondamentales, de révolution conceptuelle, de changement de paradigme, pendant que d'autres n'y voient qu'abus de langage, anthropocentrisme, approximations et généralisations abusives, voire imposture intellectuelle. Cet ouvrage entend dépassionner le débat, grâce à une approche pluridisciplinaire, et en distinguant les faits des hypothèses, les savoirs avérés des discours plus superficiels. Tous les articles ne se valent pas mais plusieurs sont d'un réel intérêt.

Par exemple, Jacques Tassin (écologue) montre que les capacités d'échanges entre plantes ne sont que le résultat mécanique des longs processus évolutionnistes de sélection naturelle. Aucune conscience spécifique n'est en jeu, mais seulement des phénomènes adaptatifs, inlassablement répétés, qui ont doté chaque spécimen de réponses à son milieu et à ses congénères. Pas de mémoire donc, ni d'opérations mnésiques, mais des chaînes de réactions biochimiques, mécaniques ou électriques, et un nombre limité de formes d'ajustement sensitif.

De son côté, Luciano Boi (mathématicien et philosophe) rappelle que la pousse et la structure des végétaux suivent des modèles logiques, mathématisables, mais que ces géométries morphologiques ne sont pas la preuve d'une raison ou d'une cognition. Elles résultent essentiellement de codes génétiques qui déterminent croissance et régénération, matrices physiologiques, symétrie et brisures de symétrie.

Marc-Williams Debono (neurobiologiste) réfute lui aussi l'idée d'une « intelligence des plantes ». Elles n'ont ni réflexions ni émotions mais, comme tous les êtres vivants, une activité bioélectrique interne (« électrome »), faite de réponses de leurs récepteurs membranaires aux variations de potentiel des stimuli électrogènes. Point de système nerveux donc, ni de cerveau, mais des capteurs largement répartis et synchronisés.

Au total, les auteurs refusent de prêter au végétal des « dispositions mentales subtiles ». Ils réfutent la « pseudoscience séduisante » en train de s'emparer de telles questions. S'il existe bel et bien une sensibilité des plantes, elles n'ont pas de système cérébrocentré et encore moins de sentiments, de volontés et de souhaits de communiquer. Elles sont le résultat de millions d'années de plasticicité adaptative et aucune nouvelle énigme ne se cache dans ou derrière la nature. La salade et le ficus ne pensent pas : ce sont principalement nos représentations du monde qui évoluent.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Hermann

14:13 Publié dans 5. Fait porteur d'avenir, Environnement, Société | Lien permanent | Tags : botanique, adaptation, arbres, plantes |  Imprimer | | | | |  Facebook

Géraldine Aïdan, Danièle Bourcier (dir.), Humain Non-Humain. Repenser l’intériorité du sujet de droit, Éditions LGDJ, 2021, 224 pages

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Comment expliquer la multiplication, ces dernières années, de décisions juridiques attribuant le statut de sujet de droit à des animaux, fleuves et rivières ? À quelles caractéristiques cette qualité est-elle associée dans le droit positif et dans la science du droit ? À ces questions qui bousculent les systèmes agricole, sylvicole et halieutique, ce livre apporte des réponses issues d’un heureux rapprochement entre droit, sciences du vivant et intelligence artificielle.

G. Aïdan expose la thèse à l’origine de l’ouvrage : c’est parce que les systèmes juridiques lui attribuent une « intériorité », ensemble de phénomènes se rapportant au psychisme, que le non-humain devient un sujet de droits. Cette introduction s’appuie sur le « mécanisme de la représentation », selon lequel une entité non humaine, qui ne peut être destinataire de normes juridiques faute de capacités cognitives, se voit conférer des droits par le truchement d’un humain qui devient alors le sujet d’imputation.

La première partie interroge les attributs décisionnels dont sont dotées certaines machines et dans quelle mesure ces attributs, qui les rapprochent de l’humain, pourraient permettre de les qualifier de sujet de droit. À partir de travaux mobilisant des « réseaux de neurones artificiels » pour simuler la décision du juge, la juriste D. Bourcier met en évidence la création, par la machine, d’une catégorie de règles ininterprétables qui s’apparenteraient au for intérieur, entendu comme un espace d’interaction avec soi, inaccessible de l’extérieur.

Dans la seconde partie, qui nous intéresse plus directement ici, sont mis en exergue les résultats de travaux récents qui bousculent les énoncés normatifs actuels et sont susceptibles d’élargir davantage l’éventail des entités sujets de droit. M. Giurfa (neuroethologue) montre à partir de travaux visualisant l’activité du cerveau de l’abeille in vivo que celle-ci dispose de capacités cognitives et d’une forme de conscience. Selon B. Moulia, biologiste et physicien, la plante est capable de percevoir divers signaux émis par l’environnement et de se mouvoir en conséquence, ne se contentant pas d’une réponse réflexe associée à un stimuli unique. Cette sensorimotricité, encore considérée il y a peu comme une frontière intangible distinguant l’animal mobile de la plante passive, pourrait signifier une « remontée des végétaux sur l’échelle du vivant » et une appréhension nouvelle par le droit.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Lien : Éditions LGDJ

Sébastien Dalgalarrondo, Tristan Fournier, L’utopie sauvage. Enquête sur notre irrépressible besoin de nature, Éditions Les Arènes, septembre 2020, 180 pages

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Ce livre rend compte d’un « besoin d’ensauvagement », présent dans les sociétés occidentales, de façon cyclique, depuis plus de deux siècles. La multiplication des robinsonnades après la publication de l'ouvrage de Defoe (1719), l’épisode de vie dans les bois de Thoreau à Walden (1845), et le mouvement de retour à la terre après mai 1968, constituent des jalons importants. Mais les auteurs (sociologues, CNRS) s'intéressent principalement à la période actuelle. Ils mobilisent des matériaux variés : enquêtes sur site (foires et salons, stages de développement personnel en milieu rural, formations à la cueillette de plantes sauvages en région parisienne), aperçus parfois rapides (livres à succès et analyse de contenu d’émissions de télé-réalité), et réflexions sur leurs propres pratiques (aménagement d’une grange en Ariège).

L'ouvrage saisit particulièrement bien trois aspects importants de ce « besoin d'ensauvagement ». Tout d’abord, la « promesse » du retour à la nature a un caractère fédérateur. Dans une « atmosphère d'apocalypse diffuse », le mythe du chasseur-cueilleur fascine, à droite comme à gauche de l'échiquier politique, des fractions de la population inquiètes pour leur autonomie en cas d'effondrement. Inquiètes aussi, plus généralement, pour leur position dans les rapports sociaux et leur crainte de dépendre de l’État et du « système ». Ensuite, cette promesse fait l’objet d’une « marchandisation » croissante, ce que les auteurs illustrent de façon convaincante à partir des expériences, sous forme de stages payants, de jeûnes dits « de bien-être ». Enfin, ces pratiques, dont l’étendue mériterait d'être mieux établie statistiquement (l'ouvrage livrant peu de chiffres), ont des effets « transformateurs » sur les personnes et les groupes sociaux, voire sur les politiques publiques. Les auteurs donnent en exemple la politique éducative danoise, avec des écoles primaires installées en pleine forêt. Pour les individus, les régimes clés en main sont souvent une première étape amenant à prendre ses distances avec « la modernité alimentaire », « faire une pause » dans le quotidien et, en s'inscrivant dans un plus long terme, à « renouer avec sa nature ».

Signalons par ailleurs, sur le crudivorisme, une thèse récente de S. Thircuir (EHESS) et, sur les risques de dérives sectaires liés à ce souhait de réensauvagement, plusieurs articles de presse (Libération, Society).

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Les Arènes

14:11 Publié dans Alimentation et consommation, Société, Territoires | Lien permanent | Tags : nature, marchandisation, régime alimentaire |  Imprimer | | | | |  Facebook

14/04/2021

Colloque « Être ensemble. L'alimentation comme lien social »

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Pour son dixième anniversaire, la Chaire Unesco Alimentations du monde organisait en virtuel, début février 2021, son colloque annuel sur le thème « Être ensemble. L'alimentation comme lien social ». Cet événement visait à ré-interroger le rôle social de l'alimentation, à travers les espaces du « manger ensemble », et à envisager les conséquences du confinement lié à la crise sanitaire du Covid-19. Les différents temps (vidéos disponibles en ligne) ont permis de rassembler une diversité de disciplines, de parties prenantes, d'aires géographiques et de publics.

Dans sa conférence inaugurale, J. Coveney (Flinders University, Adelaïde, Australie) a rappelé les ancrages historiques de la commensalité et son importance dans diverses cultures. Si le partage des repas reste important pour les familles australiennes, il se fait aujourd'hui aux dépens d'une charge accrue pesant sur les femmes. J. Coveney s'est également interrogé sur un remplacement, à l'avenir, de la commensalité par la convivialité.

A. Dasgupta (Taylor's University, Malaisie) et A. P. Egnankou (université Félix Houphouët-Boigny, Côte-d'Ivoire) ont ensuite présenté deux espaces de sociabilité alimentaire. Les food-courts malais proposent une nourriture diversifiée (malaise, chinoise, indienne, mamak) à un coût réduit, et jouent un rôle important dans la culture alimentaire du pays. À Abidjan, les garbadrômes sont associés à une créativité et à une transgression des codes gastronomiques, le garba étant un plat préparé par des hommes, contrairement à l'attiéké traditionnel préparé lui par les femmes. Les garbadrômes permettent un renforcement des liens entre pairs et une cohésion sociale.

La table ronde suivante traitait des conséquences du confinement sur la commensalité alimentaire, dont un repli sur la sphère domestique, le développement de nouvelles pratiques et celui de précarités. Deux enquêtes qualitatives, l'une en France (O. Lepiller, Cirad), l'autre en Italie (E. Ceccaldi, université de Gênes), ont ainsi apporté des éclairages intéressants. Par la suite, N. Bourriaud (Mo.Co. - Montpellier contemporain) s'est interrogé sur les liens entre art et cuisine. Il a notamment identifié des points communs dans les pratiques contemporaines comme, par exemple, l'importance attachée au in situ, à la récupération et au recyclage, à la prise en compte des chaînes de production, aussi signifiantes que la production finale.

Enfin, C. Steel (auteure de Hungry City et de Sitopia) a conclu le colloque, invitant à « voir le monde au travers des lunettes de l'alimentation » pour penser de nouvelles façons de vivre.

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Source : Chaire Unesco Alimentations du monde

 

08/04/2021

La « méthode des Personas » pour mieux mobiliser le bois des forêts privées

Alors que les mesures mises en œuvre en France pour inciter à la gestion durable et à la récolte de bois dans les petites forêts privées se révèlent peu efficaces, des chercheurs ont eu recours à la méthode des personas (groupes cible) pour mieux cibler les propriétaires. Les premiers éléments, essentiellement méthodologiques, sont publiés dans Forest Policy and Economics.

Centrée sur l'usager et utilisée dans le design des outils numériques, cette méthode s'appuie sur l'élaboration de profils fictifs, représentatifs des catégories de la population ciblées. Son expérimentation dans les Vosges s'est appuyée sur des ateliers de co-création et des entretiens directs avec un large échantillon de parties prenantes.

Finalement, huit personas ont été élaborées, accompagnées, pour chacune, de l'identification de moyens de communiquer avec les groupes-cible auxquels elles renvoient et de types de situations dans lesquelles les placer. C'est en effet par la confrontation de ces personnes fictives à des situations spécifiques que les enseignements pourront être tirés pour améliorer les instruments de politique publique.

Source : Forest Policy and Economics

12/03/2021

Futur. Notre avenir de A à Z, Antoine Buéno

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L'avenir étant arborescent et incertain, les réflexions d'anticipation sont nombreuses et sectorielles, et donc dispersées voire éparpillées. C'est dire l'intérêt des exercices de compilation, des travaux de synthèse, qui rassemblent les résultats, ordonnent les idées et mettent à disposition des états de l'art. Un bel exemple en est fourni par cet ouvrage, volumineux et documenté, qui décrit la majorité des tendances et phénomènes contemporains, à l'échelle mondiale, tout en développant des idées novatrices et critiques. Véritable encyclopédie prospective portative, il se présente comme un dictionnaire, avec quarante fiches thématiques traitant de sujets très divers : « art », « data », « éducation », « énergie », « frontières », « génétique », « intelligence artificielle », « justice », « politique », « religion », « sexe », « travail », etc. Certaines de ses entrées nous intéressent plus particulièrement ici.

Au chapitre « agriculture et alimentation », l'auteur rappelle d'abord les défis des prochaines années : transitions énergétique et écologique, réforme agraire, innovations technologiques, fermes urbaines, entomophagie, etc. Il prolonge par d'intéressantes remarques sur l'ingénierie tissulaire, la viande artificielle et la « carniculture », qui seront fortement concurrencées par le steak de protéines végétales. À plus long terme, notre système digestif, très peu efficace, pourrait être remplacé par des millions de nanorobots intelligents, diffusés dans le corps et venant s'approvisionner à une poche abdominale artificielle remplie de nutriments.

La fiche « animal », rédigée sur le même principe, commence par décrire les enjeux basiques (réduction de la biodiversité, espèces invasives, fortes contraintes sur les filières d'élevage, essor de « l'animal jouet » et de « l'animal serviteur », bien-traitance et nouveaux droits, etc.). Elle présente ensuite des hypothèses pour des époques plus éloignées : « satellisation du vivant » par réorganisation de toute la biosphère en fonction des besoins humains ; humanisation de l'animal par génie génétique pour augmenter ses capacités cognitives ou lui faire produire industriellement des organes greffables et des médicaments ; animalisation de l'homme par hybridation pour décupler notre force physique, l'acuité de nos sens ou nous doter de nouvelles aptitudes (par ex. peau capable d'effectuer la photosynthèse).

Avant d'arriver à la lettre Z, plusieurs autres notices ne manqueront pas d'intéresser le lecteur : « climat », « effondrement », « point de rupture », « transition environnementale » ou « zoonoses ». Au total, ce panorama du temps qui vient, mixant futurs probables et futurs souhaitables, peut aider chacun à mieux comprendre les évolutions du monde, ainsi que les politiques publiques engagées pour l'améliorer et le faire advenir.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Flammarion

19:56 Publié dans 1. Prospective, Société | Lien permanent | Tags : buéno, anticipation |  Imprimer | | | | |  Facebook

Émissions de France Culture sur le « végétal »

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Fin 2020, quatre épisodes de l’émission « Les chemins de la philosophie » (France Culture) ont mis en évidence combien l’agriculture et la connaissance des végétaux avaient alimenté la pensée politique et la compréhension des formes de gouvernement. Dans une séquence introductive, F. Burgat évoque le renouvellement récent des représentations sociales des plantes : selon elle, pour la première fois dans l’histoire des idées, elles sont assimilées aux animaux et même aux individus. Ainsi sont attribuées aux végétaux une conscience et une vie psychique qui, pour certains, devraient en faire des sujets de droits. Dans le sillage de Hegel, Schopenhauer ou Bergson, F. Burgat mobilise pourtant plusieurs critères qui mettent en doute l’indistinction entre les unes et les autres. À l’animal mobile, tout entier habité par l’instinct de préserver sa vie (sa disposition première est l’inquiétude), elle oppose le calme, l’enracinement et la fixité de la plante. Comment pourrait-elle alors développer une activité consciente ? Les droits des végétaux devraient donc être fondés sur d’autres principes que ceux sur lesquels est assise la protection juridique des animaux, par exemple leur caractère patrimonial, leur beauté ou leur utilité.

Le second épisode, autour de J. Zask, met en évidence la place des pratiques agricoles dans l’émergence des idées démocratiques, en s’appuyant notamment sur l’expérience et les écrits des fondateurs de la démocratie américaine. Selon T. Jefferson, par exemple, l’agriculteur, chaque jour confronté au caractère imprévisible de l’aléa naturel, a développé une conscience aiguë de la pluralité des rationalités. Cette attitude sociale aurait été favorable, selon J. Zask, à la délibération et à l’arbitrage des conflits, traits caractéristiques des démocraties.

Enfin, dans le troisième épisode, I. Krtolica revient sur la pensée « rhizomatique » de G. Deleuze et F. Guattari.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : France Culture

12:49 Publié dans Agronomie, Environnement, Société | Lien permanent | Tags : végétaux, politique, animaux, droits des plantes, philosophie |  Imprimer | | | | |  Facebook

11/03/2021

L'acceptabilité des pesticides et des OGM par les consommateurs suisses en question

Dans un article de la revue Food Quality and Preference, des chercheurs de l'université de Zurich se sont intéressés à la perception, par les consommateurs, de différents modes de protection des cultures et ont comparé leur niveau d'acceptation. La diminution de l'usage des pesticides est une orientation forte des politiques agricoles, en écho aux inquiétudes de la société quant à leurs effets néfastes sur l'environnement et la santé. Cette réduction peut passer par des techniques issues de la biotechnologie, telles que le génie génétique, qui améliorent la résistance des plantes. Mais une alimentation provenant d'organismes génétiquement modifiés (OGM) est également mal perçue par les consommateurs, car considérée comme non naturelle.

Dans cette étude, 643 participants (Suisses allemands) ont été répartis en 4 groupes, distincts par le mode de protection présenté : pesticides de synthèse, pesticides naturels, transfert de gènes entre plantes d'une même espèce (cisgenèse), modification de gènes. Chaque personne, selon son groupe, a reçu des textes expliquant le traitement appliqué à un plant de pomme de terre pour lutter contre une maladie fongique. Des questions, posées avant et après la présentation des modes de traitement, visaient à mesurer leur niveau d'acceptation et la perception par les participants de la naturalité de la pomme de terre ainsi traitée.

À l’issue de l'analyse statistique des réponses (figure ci-dessous), les auteurs remarquent chez les participants, quel que soit leur groupe, une baisse significative de la perception de la naturalité de la pomme de terre après que celle-ci ait été traitée. D'autre part, cette perception détermine le niveau d'acceptation d'un mode de traitement. Ainsi, la cisgenèse a été perçue comme le mode le plus acceptable, les participants considérant qu'elle consistait à reproduire un processus « naturel », pouvant aussi résulter de la sélection variétale.

Cette étude permet de mieux comprendre les facteurs influençant la perception par le consommateur de modes de protection des cultures, mais les résultats sur leur acceptation doivent être nuancés car ils dépendent fortement de la comparabilité des informations présentées aux différents groupes (clarté, exhaustivité, objectivité).

Significativité des différences entre les réponses obtenues selon le mode de traitement de protection de culture présenté (analyse de la variance)

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Source : Food Quality and Preference

Lecture : les participants du groupe « Transfert de gènes » (gene transfer) ont attribué une note moyenne de 68,9 sur 100 pour l'acceptation de ce mode de traitement. Cette note est significativement plus élevée que celles des groupes « Pesticides naturels » (natural pesticides), « Modification de gènes » (gene editing) et « Pesticides de synthèse » (synthetic pesticides), qui ne présentaient pas de différence significative entre eux sur la note moyenne d'acceptation obtenue.

Jérôme Lerbourg, Centre d'études et de prospective

Source : Food Quality and Preference

09/03/2021

2020, une année d’intenses débats publics sur les relations hommes-animaux en Chine

Un article publié sur China Dialogue recense les débats provoqués par la pandémie de Covid-19 en République populaire de Chine. Trois temps principaux sont distingués. La publication, le 24 février, d’un texte à valeur législative interdisant la consommation alimentaire d’animaux sauvages, provoque de vives réactions relatives aux conséquences sur les activités économiques concernées. Au mois de mai, le ministère de l’Agriculture, cherchant à concilier les intérêts économiques et la question environnementale, fait paraître une liste blanche comprenant les espèces échappant à l’interdiction (cerf, renard, vison, etc.), car certaines parties de la population en font l'élevage. Pour l'auteur, ce texte illustre la porosité de la frontière entre espèces sauvages et domestiques en Chine. Enfin, la révision de la loi sur la protection de la vie sauvage, en octobre 2020, autorise certains usages non alimentaires selon des procédures complexes (ex. : pharmacie traditionnelle, production de fourrure).

Source : China Dialogue

08/03/2021

Renforcer la place des femmes dans les pêcheries artisanales des îles Salomon, Fidji et au Vanuatu

Un article de Marine Policy explore le niveau d'inclusion des femmes dans les pêcheries artisanales des îles Salomon, Fidji et au Vanuatu, territoires où elles contribuent à hauteur de 80 % à la subsistance de leurs communautés. 12 experts ainsi que 39 femmes et 29 hommes (représentants locaux, nationaux, internationaux, du monde associatif, etc.) ont été interviewés dans ce but.

La majorité des dispositifs d'inclusion vise à augmenter la participation des femmes aux activités et projets. Les auteurs notent que ce type de dispositifs ne leur garantit cependant pas une présence plus importante aux différents niveaux de la décision, ni que s'améliorent leur accès aux ressources et leur indépendance. Le manque d'implication des hommes, qui ne se sentent pas concernés par la recherche de solutions, est souvent souligné. Un engagement politique et institutionnel explicite, en matière d'égalité des sexes, et une meilleure intégration de cet enjeu dans l’ensemble des politiques publiques sont des pistes d'amélioration citées par les auteurs.

Source : Marine Policy

10:56 Publié dans 4. Politiques publiques, Pêche et aquaculture, Société | Lien permanent | Tags : genre, rapports sociaux, pêche, pacifique |  Imprimer | | | | |  Facebook

Enquête pour la Fédération française des banques alimentaires sur le profil des bénéficiaires

Une étude réalisée par CSA Research pour la Fédération française des banques alimentaires s'intéresse au profil des personnes accueillies par leurs partenaires en 2020 (associations, épiceries sociales, Centres communaux d'action sociale). Elle est basée sur une enquête conduite entre le 30 septembre et le 10 novembre auprès d'un échantillon de 2 000 personnes (903 réponses), accueillies dans 200 de ces structures. La comparaison des résultats avec ceux d’un travail similaire, mené en 2018, montre des évolutions dans le temps. L'âge moyen des bénéficiaires est de 48 ans, contre 47 ans en 2018. 70 % d'entre eux sont des femmes (+1 % par rapport à 2018). Si 80 % des répondants n'ont pas d'emploi, le nombre de ceux en ayant un a augmenté de 3 points entre 2018 et 2020. 12 % ont eu recours à l'aide alimentaire en lien avec la crise de la Covid-19, et 51 % en sont bénéficiaires depuis moins d'un an. Enfin, 52 % d'entre eux déclarent que l'aide alimentaire est « essentielle » et 73 % qu'elle permet une « alimentation équilibrée ».

Source : Fédération française des banques alimentaires

10:55 Publié dans Alimentation et consommation, Société | Lien permanent | Tags : banques alimentaires, aide alimentaire, population |  Imprimer | | | | |  Facebook

« Je mange donc je suis », quatre épisodes de l'émission Les chemins de la philosophie

Fin janvier, A. Van Reeth proposait de s'installer « à la table des philosophes » lors de quatre épisodes de l'émission Les chemins de la philosophie. Le premier était consacré à Barthes, qui a envisagé tout au long de son œuvre les objets culinaires (notamment dans Mythologies, 1957). Le deuxième épisode s'intéressait à Brillat-Savarin et proposait une analyse fine de sa Physiologie du goût (1825). Le troisième traitait des liens entre littérature et gastronomie dans les écrits de Dumas, Proust, Rabelais et Platon. Enfin, le dernier portait sur Rousseau. S'il n'a pas consacré de traité à la question alimentaire, celle-ci tient une place intéressante dans ses réflexions. Ainsi, il distinguait les besoins, l'appétit et le goût, l'appétit étant une variable sur laquelle l'être humain a prise et qui lui permet d'agir sur ses besoins. Rousseau remettait également en question les dimensions politiques et inégalitaires attachées, selon lui, à la « grande cuisine » et aux régimes trop carnés.

Source : France Culture

10:52 Publié dans Alimentation et consommation, Société | Lien permanent | Tags : philosophie, france culture, littérature, gastronomie |  Imprimer | | | | |  Facebook

10/02/2021

Le bien-être des poissons d'élevage : études de cas en Chine et aux Philippines

La Fish Welfare Initiative est une start-up caritative, créée en 2019, œuvrant à une meilleure prise en compte du bien-être des poissons dans les élevages aquacoles, au moyen de collaborations avec les entreprises, les organisations non gouvernementales et les gouvernements. Après avoir publié fin 2020 un rapport proposant des actions pour y parvenir, les résultats de deux enquêtes en Chine et aux Philippines viennent de paraître.

La qualité de l'eau et de l'alimentation, ainsi que les conditions de transport et d'abattage, sont les principaux paramètres impactant le bien-être des poissons d'élevage. Les améliorer participe à l'approche « Une seule santé » puisque de meilleures conditions d'élevage permettent i) une diminution de la présence de polluants dans les chairs des poissons, ii) une baisse des maladies et donc aussi du recours aux antibiotiques et antimicrobiens (lutte contre le développement de résistances), iii) une réduction de la mortalité (limitation des pertes économiques) et iv) une limitation du stress lors du transport et de l'abattage, et donc une meilleure qualité du produit final.

Aux Philippines (illustration ci-dessous), les éleveurs accèdent difficilement aux formations sur l'amélioration des conditions d'élevage des poissons, alors qu'ils manifestent de l’intérêt pour celles-ci. Faire appel à la médecine vétérinaire n'est pas non plus une pratique courante. Quant à la qualité de l'eau, elle est peu surveillée. Les poissons sont généralement tués par asphyxie ou dans un bain de glace. Le recours à l'étourdissement par percussion ou électrique est inexistant, les éleveurs s'interrogeant quant à son coût et sa facilité d'utilisation. Enfin, les petits élevages qui approvisionnent les marchés locaux n'ont pas recours à la certification (durabilité) de leurs produits, du fait de son coût et du manque d'intérêt des consommateurs ciblés.

Élevage de tilapias dans des réservoirs en ciment, aux Philippinefish welfare .jpg

Source : Fish Welfare Initiative

En Chine, la modernisation des pratiques et la formation des éleveurs, pour une meilleure prise en compte du bien-être des poissons, sont encouragées par plusieurs facteurs : l'augmentation de la demande en produits aquacoles durables, tirée en interne par les classes moyennes et, à l'exportation, par les marchés des pays développés ; l'occurrence d'incidents environnementaux ou touchant à la sécurité sanitaire des aliments ; etc.

Aurore Payen, Centre d'études et de prospective

Source : Fish Welfare Initiative, Fish Welfare Initiative

09/02/2021

Les relations sociales et le capital culturel, facteurs clés du développement agricole néo-calédonien

Les recherches sur le « développement durable » portent souvent sur ses dimensions économique et environnementale. Plus rares sont celles qui intègrent le pilier social (capital culturel, relations interindividuelles, normes et valeurs). Un article publié très récemment dans Ecological Economics, mais qui s'appuie sur des données assez anciennes, se concentre sur les effets de ces capitaux social et culturel sur la performance et la durabilité de l’agriculture tribale kanak. En 2010, celle-ci pesait 65 millions d’euros, la majorité de la production (igname, banane, taro) étant destinée à l’autoconsommation ou à des dons coutumiers.

Partant d’une enquête par questionnaire (2011) sur la production agricole et ses usages marchands et non marchands au sein de 288 des 340 tribus de Nouvelle-Calédonie, les auteurs ont élaboré deux modèles mobilisant principalement trois variables : i) la valeur marchande de la production agricole, ii) celle des dons alimentaires d’une famille à des tiers tout au long de l’année (proxy du capital social) et iii) celle des cadeaux offerts au cours de cérémonies rituelles, considérée comme un proxy des habitudes culturelles.

Plusieurs résultats ressortent de l’étude. En premier lieu, les échanges quotidiens de denrées ont un effet positif sur les productions et rendements agricoles. Toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de 10 % de ce type de dons est associée à une hausse de la production de 4,6 %, la densité des relations sociales au sein des tribus stimulant la fonction productive. D'autre part, cette augmentation, rendue possible par des formes d’entraide pour réduire les effets des aléas climatiques ou accéder à des facilités bancaires, est supérieure à celle qui découle d’une extension de la surface cultivée, montrant ainsi que les différents types de capital ne sont pas interchangeables. Enfin, sont vérifiés les effets favorables des dons rituels sur le rendement tandis qu’une hausse de celui-ci favorise les dons journaliers.

Pour les auteurs, ces résultats ont au moins deux implications. Ils plaident en faveur de la théorie de la « durabilité forte », qui insiste sur la complémentarité des capitaux, au contraire de leur substituabilité dans l’approche néoclassique. En matière de politiques publiques, opposer a priori le développement économique à la coutume est hasardeux, les échanges non marchands pouvant stimuler les échanges économiques et la production de richesses.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : Ecological Economics