Sébastien Dalgalarrondo, Tristan Fournier, L’utopie sauvage. Enquête sur notre irrépressible besoin de nature, Éditions Les Arènes, septembre 2020, 180 pages (15/04/2021)

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Ce livre rend compte d’un « besoin d’ensauvagement », présent dans les sociétés occidentales, de façon cyclique, depuis plus de deux siècles. La multiplication des robinsonnades après la publication de l'ouvrage de Defoe (1719), l’épisode de vie dans les bois de Thoreau à Walden (1845), et le mouvement de retour à la terre après mai 1968, constituent des jalons importants. Mais les auteurs (sociologues, CNRS) s'intéressent principalement à la période actuelle. Ils mobilisent des matériaux variés : enquêtes sur site (foires et salons, stages de développement personnel en milieu rural, formations à la cueillette de plantes sauvages en région parisienne), aperçus parfois rapides (livres à succès et analyse de contenu d’émissions de télé-réalité), et réflexions sur leurs propres pratiques (aménagement d’une grange en Ariège).

L'ouvrage saisit particulièrement bien trois aspects importants de ce « besoin d'ensauvagement ». Tout d’abord, la « promesse » du retour à la nature a un caractère fédérateur. Dans une « atmosphère d'apocalypse diffuse », le mythe du chasseur-cueilleur fascine, à droite comme à gauche de l'échiquier politique, des fractions de la population inquiètes pour leur autonomie en cas d'effondrement. Inquiètes aussi, plus généralement, pour leur position dans les rapports sociaux et leur crainte de dépendre de l’État et du « système ». Ensuite, cette promesse fait l’objet d’une « marchandisation » croissante, ce que les auteurs illustrent de façon convaincante à partir des expériences, sous forme de stages payants, de jeûnes dits « de bien-être ». Enfin, ces pratiques, dont l’étendue mériterait d'être mieux établie statistiquement (l'ouvrage livrant peu de chiffres), ont des effets « transformateurs » sur les personnes et les groupes sociaux, voire sur les politiques publiques. Les auteurs donnent en exemple la politique éducative danoise, avec des écoles primaires installées en pleine forêt. Pour les individus, les régimes clés en main sont souvent une première étape amenant à prendre ses distances avec « la modernité alimentaire », « faire une pause » dans le quotidien et, en s'inscrivant dans un plus long terme, à « renouer avec sa nature ».

Signalons par ailleurs, sur le crudivorisme, une thèse récente de S. Thircuir (EHESS) et, sur les risques de dérives sectaires liés à ce souhait de réensauvagement, plusieurs articles de presse (Libération, Society).

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Les Arènes

14:11 | Lien permanent | Tags : nature, marchandisation, régime alimentaire |  Imprimer | | | | |  Facebook