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15/10/2021

Quentin Hiernaux, Philosophie du végétal. Botanique, épistémologie, ontologie, éditions Vrin, juillet 2021, 410 pages

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Cet ouvrage, publié sous la direction de Quentin Hiernaux, éclaire deux millénaires de pensées philosophiques sur le végétal. D’un format maniable, il réunit onze textes clés (dont certains inédits en français), très bien commentés et mis en perspective. Ces onze voix singulières témoignent de l'histoire de la botanique et de l'évolution des connaissances, jusqu'aux dernières préoccupations écologiques et morales du XXIe siècle. Longtemps considérées comme plus proches du minéral que de l’être vivant – « il semble que les plantes vivent » s’étonne Aristote au IVe siècle avant notre ère –, les plantes ont ensuite été étudiées par analogie avec les formes de vie animales, calquant les méthodes et raisonnement des sciences du végétal sur ceux des sciences animales. L'évolution des sciences naturelles et l’avènement de la biologie, comme de la physiologie végétale, conduisent les penseurs à s'interroger sur leurs comportements, leur individualité, leurs éventuelles mémoire et intentions. Au début du XXe siècle, Léo Errera interroge l’âme des végétaux : « sans doute, tout chez eux est simple, rudimentaire, mais tout y est déjà esquissé ». Plus récemment, le biochimiste Anthony Trewavas amplifie ces débats en décrivant la diversité de leurs comportements, « qui témoignent d’un degré remarquable de perception sensorielle, d’évaluation, d’anticipation et de résolution ».

Souvent écarté des réflexions philosophiques dans la tradition occidentale, le monde végétal offre aujourd’hui de nouvelles perspectives aux sciences humaines et sociales. La compréhension des plantes transforme la pratique de la philosophie et questionne nos conceptions de l’intelligence, de l’individualité ainsi que nos valeurs et rapports au vivant. « Les plantes ont modifié à jamais la structure métaphysique du monde », estime Emanuele Coccia, pour qui « la plante incarne le lien le plus étroit et le plus élémentaire que la vie puisse établir avec le monde ». Et pour Michael Marder, « l’idée que la plante est un des jalons témoignant de la finitude de la philosophie devrait entraîner notamment sur le plan pratique une attitude radicalement différente face à l’environnement ».

Ces nouvelles réflexions modifieront-elles la perception de la nature par la société, ainsi que notre rapport à l'agriculture, à l'exploitation forestière et à l’industrie du végétal ? Orienteront-elles les prises de décisions relatives à la gestion et à la manipulation des plantes ? Une des réponses esquissées par Sylvie Pouteau serait d'inclure le végétal dans l'éthique, sans pour autant le considérer comme un second animal. Cette philosophie de la nature végétale invite à repenser notre relation aux plantes, au monde, et éclaire d’une lumière nouvelle la manière d’habiter et de gérer les écosystèmes.

Cécile Poulain, Centre d’études et de prospective

Lien : Éditions Vrin

Alain Baraton, Dictionnaire amoureux des arbres, Éditions Plon, mai 2021, 438 pages

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Jardinier en chef du domaine national de Trianon et du parc du château de Versailles, Alain Baraton est bien connu pour ses nombreux ouvrages sur les plantes, arbres et jardins, mais aussi pour ses chroniques hebdomadaires sur France Inter ou France 5. Après un premier Dictionnaire amoureux des jardins (Plon, 2012), il récidive aujourd'hui avec ce Dictionnaire amoureux des arbres.

Il ne s'agit pas là d'un traité savant de botanique ou d'horticulture, ni d'une histoire ou d'une géographie raisonnée des arbres et de leurs origines. L'auteur nous invite plutôt, au gré de 165 courts articles, à un voyage sentimental, à une libre balade au travers de ses expériences et préférences. Il nous décrit ses choix personnels, ses coups de cœur pour ses végétaux, et fait tout pour nous communiquer ses passions.

Tenant ses promesses, le livre nous en apprend d'abord beaucoup sur les arbres eux-mêmes. Depuis l'entrée « abricotier » jusqu'à l'entrée « zamana », défilent de nombreuses espèces dont les origines, histoires, aires de peuplement, spécificités et écosystèmes sont présentés. Il peut s'agir d'essences communes (chêne, marronier, prunier, magnolia, poirier, etc.) ou plus exotiques (upas, parrotia, nono, kolatier, cédratier, azerolier, etc.).

Chemin faisant, le lecteur fera des découvertes plus ou moins inédites. Par exemple, le baobab peut stocker jusqu'à cent mille litres d'eau. Le Ficus elastica (caoutchouc) a besoin d'une guêpe précise pour assurer sa reproduction. Rien ou presque ne pousse sous un noyer car le juglon, sur le sol, bloque la germination des autres plantes. Le mancenillier est considéré comme « l'arbre le plus dangereux du monde ». On découvrira aussi que le vrai mimosa fleurit bleu...

Les arbres expriment des valeurs, imprègnent la vie sociale et sont à l'origine de véritables institutions. L'auteur revient par exemple sur les origines de la tradition du sapin de Noël, il rappelle aussi que l'olivier est si présent dans toutes les religions que sa feuille a été choisie comme emblème de l'ONU. Quant à Louis XIV, il aimait tant la senteur de ses orangers que la « fleur d'oranger » deviendra pendant près d'un siècle le parfum préféré des dames de la cour.

Il serait facile de mettre en lumière d'autres qualités de ce livre, mais un tel ouvrage n'est pas fait pour être raconté : il est fait pour être lu et utilisé. Rédigé d'un style alerte, il est tout sauf ennuyeux et Baraton a pris soin de ponctuer ses notices d'anecdotes, de traits d'humour, de rapprochements inattendus et de considérations personnelles. La rigueur supposée du « dictionnaire », amollie par sa passion des végétaux, rend son livre délectable.

Bruno Hérault, Chef du Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Plon

16:47 Publié dans Forêts Bois, Société | Lien permanent | Tags : botanique, arbres, jardins, forêt-bois |  Imprimer | | | | |  Facebook

14/10/2021

Premier état des lieux mondial de la santé des arbres

Lancée en 2015 par un réseau d'environ 60 institutions et menée par plus de 500 experts, l'évaluation mondiale de la santé des arbres a récemment débouché sur la publication d'un rapport et la création d'un portail permettant d'accéder à la base de données ainsi constituée. Ce recensement sans précédent a été piloté par le Botanic Gardens Conservation International, une organisation non gouvernementale qui représente plus de 100 jardins botaniques dans le monde. Plus de 58 000 espèces ont été répertoriées, ainsi que leur état de conservation. La diversité la plus importante est observée dans les régions tropicales, principalement en Amérique du Sud (figure ci-dessous). Au-delà du constat sur les espèces d'arbres menacées (30 %) ou ayant disparu à l'état sauvage (140), le rapport met en avant diverses mesures ou projets visant à protéger ou restaurer certaines espèces en danger, comme par exemple le magnolia géant du Vietnam.

Richesse des grandes zones biogéographiques, en espèces d'arbres

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Source : Botanic Gardens Conservation International

Source : Botanic Gardens Conservation International

15/04/2021

Marc-Williams Debono, L'intelligence des plantes en question, Éditions Hermann, 2020, 240 pages

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Depuis une vingtaine d'années, une partie de la botanique est en pleine révolution : recherches scientifiques et livres « grand public » ont multiplié les annonces sur la « mémoire des plantes », la « communication des arbres » ou la « neurobiologie végétale ». Certains parlent de découvertes fondamentales, de révolution conceptuelle, de changement de paradigme, pendant que d'autres n'y voient qu'abus de langage, anthropocentrisme, approximations et généralisations abusives, voire imposture intellectuelle. Cet ouvrage entend dépassionner le débat, grâce à une approche pluridisciplinaire, et en distinguant les faits des hypothèses, les savoirs avérés des discours plus superficiels. Tous les articles ne se valent pas mais plusieurs sont d'un réel intérêt.

Par exemple, Jacques Tassin (écologue) montre que les capacités d'échanges entre plantes ne sont que le résultat mécanique des longs processus évolutionnistes de sélection naturelle. Aucune conscience spécifique n'est en jeu, mais seulement des phénomènes adaptatifs, inlassablement répétés, qui ont doté chaque spécimen de réponses à son milieu et à ses congénères. Pas de mémoire donc, ni d'opérations mnésiques, mais des chaînes de réactions biochimiques, mécaniques ou électriques, et un nombre limité de formes d'ajustement sensitif.

De son côté, Luciano Boi (mathématicien et philosophe) rappelle que la pousse et la structure des végétaux suivent des modèles logiques, mathématisables, mais que ces géométries morphologiques ne sont pas la preuve d'une raison ou d'une cognition. Elles résultent essentiellement de codes génétiques qui déterminent croissance et régénération, matrices physiologiques, symétrie et brisures de symétrie.

Marc-Williams Debono (neurobiologiste) réfute lui aussi l'idée d'une « intelligence des plantes ». Elles n'ont ni réflexions ni émotions mais, comme tous les êtres vivants, une activité bioélectrique interne (« électrome »), faite de réponses de leurs récepteurs membranaires aux variations de potentiel des stimuli électrogènes. Point de système nerveux donc, ni de cerveau, mais des capteurs largement répartis et synchronisés.

Au total, les auteurs refusent de prêter au végétal des « dispositions mentales subtiles ». Ils réfutent la « pseudoscience séduisante » en train de s'emparer de telles questions. S'il existe bel et bien une sensibilité des plantes, elles n'ont pas de système cérébrocentré et encore moins de sentiments, de volontés et de souhaits de communiquer. Elles sont le résultat de millions d'années de plasticicité adaptative et aucune nouvelle énigme ne se cache dans ou derrière la nature. La salade et le ficus ne pensent pas : ce sont principalement nos représentations du monde qui évoluent.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Hermann

14:13 Publié dans 5. Fait porteur d'avenir, Environnement, Société | Lien permanent | Tags : botanique, adaptation, arbres, plantes |  Imprimer | | | | |  Facebook