12/07/2022
Le droit à l'alimentation et la lutte contre la précarité alimentaire en France
Dans sa thèse en droit public, M. Ramel analyse l'intérêt et la spécificité d'une approche fondée sur le droit à l'alimentation pour lutter contre la précarité alimentaire en France. Prévenir la faim et garantir un accès de tous aux denrées sont des objectifs fortement énoncés aux niveaux national et international. Toutefois, en France comme dans de nombreux pays, le droit à l'alimentation n'est pas utilisé et, de manière générale, fait l'objet de reconnaissances et de protections juridiques parcellaires et contrastées.
La première partie traite des enjeux juridiques de la lutte contre la précarité alimentaire. À l'échelon international, celle-ci a évolué d'une approche considérant uniquement les disponibilités de denrées à la prise en compte des capacités d'accès des personnes. En France, les aspects quantitatifs et qualitatifs prédominent, et d'autres dimensions de l'acte alimentaire (sociales, culturelles, politiques) sont bien moins considérées. De plus, les approches se focalisent sur les comportements individuels, laissant de côté les aspects collectifs et systémiques.
La deuxième partie s'intéresse aux sources juridiques de la lutte contre la précarité alimentaire. Le droit à l'alimentation a été consacré au niveau international, avec une définition multidimensionnelle de son contenu. Toutefois, il reste à « géométrie variable » et imprécis, variant du droit fondamental d'être à l'abri de la faim à la prise en compte d'une diversité d'enjeux. De son côté, le droit français paraît silencieux en la matière, le thème du secours alimentaire étant principalement traité dans une approche caritative et non juridique. La loi Egalim (2018) introduit cependant une réorientation récente.
Enfin, dans une visée prospective, la troisième partie questionne la plus-value d'une approche fondée sur le droit à l'alimentation en France. La promotion de la santé ou l'aide alimentaire d'urgence paraissent centrées sur les questions nutritionnelles et environnementales, sur les comportements individuels, sur les enjeux de subsistance. Une entrée par le droit à l'alimentation permettrait alors de considérer les dimensions sociale et culturelle, composantes tout aussi essentielles documentées par les sciences sociales. Des travaux complémentaires sont toutefois nécessaires, pour en préciser le sens et la portée, pour identifier des modalités d'application adaptables à divers contextes (socio-économiques, territoriaux, etc.).
Julia Gassie, Centre d'études et de prospective
Source : HAL
09:20 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, Enseignement et recherche, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : droit à l'alimentation, précarité alimentaire, droit, politiques publiques | Imprimer | |
13/05/2022
Guide de la FAO pour la gestion des urgences en santé animale
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l’agriculture (FAO) a publié récemment la seconde édition française de son manuel de bonne gestion des urgences, qui vise à réduire les impacts d'une crise sanitaire animale. Il décrit pas à pas cette gestion, lors des quatre phases de l'amont à l'aval d'une crise : préparation, identification, réponse, reconstruction une fois l'urgence passée (figure ci-dessous).
Gestion d'une urgence zoosanitaire
Source : FAO
La phase la plus importante est celle dite en « temps de paix ». Il s'agit alors de planifier une suite logique d'actions à réaliser dès le début de la crise. Dans ce cadre, une analyse du risque est intéressante et un audit des systèmes vétérinaires de surveillance, et de réponse à l'urgence avérée, permet de mettre en évidence les faiblesses des modes de gestion. Ceux-ci peuvent être testés lors d'un exercice de simulation. La prévention est également fondamentale : par exemple, dans le cadre de l'influenza aviaire hautement pathogène, les mesures de biosécurité ont été renforcées, en particulier dans les zones touchées. Enfin, la détection des signaux faibles annonciateurs ou des premiers cas requiert des plans de surveillance efficaces.
La phase d'alerte est déclenchée lorsqu’une maladie est présente dans un pays voisin ou qu'un premier cas est suspecté sur le territoire. Elle nécessite une appréciation rapide du risque, voire la modélisation de scénarios. Les protections sont renforcées aux frontières ou contre la faune sauvage si celle-ci est impliquée dans la propagation. Les mesures programmées en « temps de paix » sont adaptées pour une mise en application rapide en cas de besoin. Un système d'alerte précoce (détection, signalement, communication d'un premier cas) est activé.
La phase d'urgence, lors de la multiplication des cas, vise à contenir puis éliminer l'agent pathogène rapidement. Suite à une analyse de la situation, les procédures planifiées à l'avance sont activées. Selon la maladie, une approche One Health (Une seule santé) peut être utilisée. Coordonnée nationalement, elle est mise en œuvre localement et l'échange d'informations entre les niveaux national et local, et entre les parties prenantes, est fondamental.
Enfin, en phase de reconstruction, les capacités de production sont rétablies et les plans d'urgence sont mis à jour à partir d’une analyse critique de la gestion de la crise.
Franck Bourdy, Centre d'études et de prospective
Source : FAO
12:12 Publié dans 4. Politiques publiques, Protection des végétaux et des animaux, Santé et risques sanitaires | Lien permanent | Tags : crise sanitaire, politiques publiques, épizootie, zoonose | Imprimer | |
12/05/2022
Didier Fassin (dir.), La société qui vient, Paris, Seuil, 2022, 1318 pages
En janvier 2022 a été publié La société qui vient. L'ouvrage propose « une interrogation sur notre temps qui aiderait à penser l’avenir ». Selon D. Fassin (EHESS), les protestations des « gilets jaunes » et la relative adhésion qu’elles ont suscitée, la pandémie de Covid et la succession d’événements environnementaux en 2021 (canicule, inondations, etc.) marquent l’avènement d’un « moment critique ». L’ouvrage en donne des clés de compréhension à partir d’une analyse des questions politiques soulevées, des inégalités accentuées par la pandémie, des alternatives formulées.
Parmi les 64 chapitres regroupés en six parties, celui de C. Bonneuil (CNRS-EHESS) souligne que le concept d’anthropocène remet en question les grands partages entre nature et sociétés opérés par la modernité industrielle. Il s’agit désormais de « penser les puissances d’agir de la terre et de la matière, de la vie et des écosystèmes dans une même grille de pensée intégratrice » : un défi pour les concepteurs de politiques publiques. L’auteur invite aussi à faire un décryptage critique des récits dominants sur l’anthropocène. En 1800, une théorie largement partagée liait alors, en Europe de l'Ouest, le changement climatique à la déforestation massive. Selon l'auteur, cette déforestation a amené des communautés rurales, au nord comme au sud, à perdre les bienfaits de biens communs agricoles et forestiers. R. Keucheyan (université de Paris) souligne, lui, les mécanismes clés de l’univers de la consommation : publicité valorisant l’expérience liée au produit bien plus que celui-ci, « financiarisation de la vie quotidienne » et « fabrique de l’homme endetté », obsolescence programmée des biens. Il insiste sur les formes nouvelles de politisation de l’alimentation : l’action « collective individualisée » comme le véganisme, qui pourrait converger vers d’autres mouvements ; la construction de collectifs de consommateurs qui établissent, via les nouvelles technologies, le cahier des charges des produits qu’ils souhaitent acheter.
En écho au chapitre de L. Davezies (CNAM) sur les inégalités territoriales, J. Mischi (Inrae) rappelle certaines des caractéristiques majeures des espaces ruraux français : les catégories populaires y sont surreprésentées, les ouvriers formant le premier groupe d’actifs. Ils travaillent notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire et de la logistique, tandis que les calendriers agricoles président à la circulation des travailleurs saisonniers.
Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective
Lien : Éditions du Seuil
12:15 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, Environnement, Société | Lien permanent | Tags : avenir, politiques publiques, sociétés, anthropocène | Imprimer | |
Agir sur les comportements alimentaires : action publique et nutrition
Les questions nutritionnelles et de santé sont au cœur des préoccupations contemporaines liées à l'alimentation. En la matière, plusieurs publications récentes apportent des éclairages sur les perceptions individuelles, les connaissances scientifiques et les modalités d'action. Une récente enquête de l'EIT Food, menée dans 18 pays européens, confirme notamment les décalages entre les aspirations largement partagées à la « durabilité » et leur mise en œuvre dans les choix alimentaires réels.
Aux États-Unis, un rapport des académies des sciences, techniques et médecine compile les enseignements d'un séminaire consacré aux enjeux d'une nutrition personnalisée et de précision. Grâce aux avancées scientifiques, la prise en compte fine des caractéristiques individuelles ouvre la possibilité de proposer des services, des produits et des informations ciblés. Le marché américain dédié est en croissance depuis une dizaine d'années, avec un intérêt renforcé depuis la crise du Covid-19. Toutefois, la variabilité entre personnes oblige à considérer de nombreux facteurs (génétiques, biologiques, sociaux, etc.) dans l'identification du régime alimentaire optimal et des démarches d'accompagnement. Divers défis se posent donc au développement de telles approches : régulation publique, choix entre approches individuelles ou ciblant l'ensemble de la population, etc.
De son côté, le bureau régional européen de l'Organisation mondiale de la santé a étudié les taxes sur les boissons sucrées mises en place dans dix pays. Il identifie des traits communs (ex. ciblage systématique des sodas, oppositions fortes des industriels) et des spécificités nationales (sanitaires, économiques, etc.). Il relève également l'évolution dans le temps de ces taxes et des articulations différentes entre objectifs fiscaux et de santé.
Un article récent (Science Advances) s'intéresse lui aux effets des distorsions de prix des fruits et légumes frais sur les consommations, aux États-Unis. Ces prix apparaissent bien plus élevés que si les marchés correspondants étaient efficients, et, pour les auteurs, ces résultats appellent une intervention publique pour soutenir ces consommations.
Enfin, un autre article (British Journal of Nutrition) propose une revue de la littérature sur les effets de la réduction des tailles des portions sur les apports énergétiques journaliers et sur le poids. D'après les 14 études retenues, ils sont avérés à long terme et pourraient appuyer une stratégie efficace de lutte contre l'obésité.
Julia Gassie, Centre d'études et de prospective
12:11 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, Production et marchés | Lien permanent | Tags : nutrition, politiques publiques, consommation | Imprimer | |
15/03/2022
Livre blanc de l'alimentation durable en Espagne
Publié en mars 2022, ce Livre blanc propose une analyse approfondie des défis associés à l'évolution des systèmes alimentaires espagnols vers plus de durabilité. 53 experts, en treize chapitres, abordent divers sujets : productions primaires, offre et consommation, logistique et distribution, risques sanitaires, etc. Ils analysent la situation actuelle, identifient les principaux défis et proposent des pistes d'action, classées selon leur faisabilité.
Ainsi, les auteurs du chapitre dédié à la pêche et à l'aquaculture invitent à améliorer le système de contrôle dédié, à adapter les financements et aides pour soutenir des pratiques à faibles impacts, ou encore à promouvoir une aquaculture plus extensive (utilisant notamment des espèces de bas niveau trophique). En matière de gestion de l'eau, sont par exemple identifiés le recours à des approches systémiques, des évolutions de la gestion de l'offre (désalinisation, réutilisation, etc.) et de la demande (planification des cultures, amélioration du système de conseil, etc.), le développement de cultures non irriguées. Un autre chapitre envisage l'efficacité future de politiques fiscales, modélisant les effets sur la demande de deux scénarios de taxation des produits alimentaires, la composition du régime, les émissions de gaz à effet de serre et le bien-être des individus.
Dans le chapitre conclusif, les nombreuses pistes identifiées sont reprises pour dessiner une « feuille de route », avec divers objectifs. Ils concernent par exemple les moyens d'information de la population espagnole sur les denrées alimentaires. Ils portent aussi sur l'encadrement politique et institutionnel (ex. amélioration des règles de la commande publique) et sur des systèmes incitatifs cohérents avec les objectifs de durabilité alimentaire. Ils visent également à améliorer la chaîne de valeur pour plus d'équilibre ou de transparence (par exemple avec l'évaluation participative de la Ley de la cadena alimentaria) et des systèmes productifs respectueux de la nature.
Les auteurs pointent plusieurs limites de ce travail collectif, et des tensions possibles entre objectifs, par exemple entre revenus et prix, entre réduction de la consommation de viande et maintien d'un élevage extensif, ou encore entre usages alimentaires et non alimentaires des productions. Ces analyses constituent néanmoins une bonne base pour contribuer aux débats publics sur les défis actuels et à venir, et sur les réponses possibles.
Julia Gassie, Centre d'études et de prospective
Source : Fundación Alternativas
10:44 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, Pêche et aquaculture, Production et marchés | Lien permanent | Tags : durabilité alimentaire, politiques publiques, systèmes alimentaires | Imprimer | |
14/02/2022
Covid-19 et pratiques alimentaires : des enseignements pour la conception des politiques publiques
En janvier 2022, ont été publiés dans la revue Sustainability: Science, Practice and Policy les résultats d'un travail mené sur les effets des restrictions associées au Covid-19 sur les pratiques alimentaires. Pour les auteurs, les perturbations soudaines des routines quotidiennes (ex. télétravail) et des systèmes d'approvisionnement (ex. fermeture des restaurants) constituent une opportunité pour étudier ces pratiques et leurs dynamiques : obtention, stockage, préparation et consommation d'aliments, gestion des déchets, etc. De mai à juillet 2020, ils ont réalisé 119 entretiens semi-directifs auprès de ménages aux profils diversifiés dans sept pays : Allemagne, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Vietnam.
Des résultats communs aux différents terrains d'enquête sont identifiés. Tout d'abord, les mesures de gestion de la crise sanitaire ont perturbé des pratiques alimentaires habituellement déterminées par d'autres activités (travail, école, etc.), modifiant les temporalités, localisations et fréquences des achats. Les mesures d'hygiène et de nouvelles conceptions des risques y ont également contribué, et ont joué sur les modalités de choix et de stockage des produits. La planification des repas et la gestion des denrées ont aussi été impactées. Par ailleurs, les ménages interrogés ont expérimenté de nouvelles pratiques alimentaires, déterminées par divers facteurs : préoccupations accrues pour la santé et prise en considération du rôle de l'alimentation ; recherche de diversité, de sociabilité et de divertissement, habituellement apportés par les repas au restaurant ; nouvelles pratiques culinaires (menus, équipements, services, outils numériques, etc.). Enfin, les expériences individuelles sont diverses, plaisantes ou difficilement vécues, notamment selon la composition du foyer et les activités professionnelles.
Pour les auteurs, des enseignements peuvent en être tirés quant à l'accompagnement du changement des pratiques alimentaires, notamment en ce qui concerne l'adoption d'alternatives face aux défis contemporains de la durabilité. Il s'agit de considérer la diversité des habitudes et routines, de mieux cibler les facteurs les conditionnant, d'en intégrer les dimensions sociales et culturelles, ou encore de tenir compte des capacités variables des individus à mettre en œuvre les changements. Les politiques publiques auraient alors à la fois un périmètre plus large et des ambitions plus modestes.
Julia Gassie, Centre d'études et de prospective
12:06 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, IAA, Société | Lien permanent | Tags : changement social, pratiques alimentaires, covid-19, politiques publiques | Imprimer | |
11/02/2022
FAO, The University of the West Indies, A review of school feeding programmes in the Caribbean Community, 2021, 194 pages
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a publié en décembre 2021 une étude sur la restauration scolaire dans les 14 États membres de la Communauté des Caraïbes (Caricom). Recourant à plusieurs méthodes (entretien, recherche documentaire, analyse des avantages nets), l’étude met en évidence trois types d’organisation de la restauration qui impliquent des coopérations différentes avec les petites exploitations agricoles locales. Celles-ci sont considérées par les auteurs comme les plus aptes à fournir une alimentation saine, diversifiée, ancrée dans les cultures locales.
Dans le premier type, majoritaire, les repas sont préparés et consommés dans l’enceinte scolaire. Si les produits sont principalement issus de la commande publique, ce modèle autorise l’introduction d’aliments par les familles, l’association de celles-ci à la préparation des repas et l’achat auprès d'agriculteurs locaux. Dans le deuxième type d’organisation, des prestataires contractualisés du secteur marchand prennent en charge l’approvisionnement, l’acheminement et la préparation des repas. Ces processus normés sollicitent peu les petites exploitations environnantes. Enfin, dans le dernier modèle, les repas sont préparés, conditionnés et acheminés dans les écoles par des prestataires dépendant, par exemple, du ministère de l’Éducation ou d'une grande entreprise publique.
Pour les auteurs, ce troisième type d’organisation recourt en général peu aux produits agricoles locaux, la grande majorité des denrées consommées à l’école étant importée. Toutefois, le cas d’Antigua-et-Barbuda conduit à nuancer cette affirmation (figure ci-dessous). La mise en œuvre du Programme alimentaire national permet en effet un approvisionnement local pour 80 % des œufs, légumes et autres produits frais, 120 exploitants agricoles sont des fournisseurs du ministère de l’Éducation et six entreprises locales sont chargées de la découpe de la viande.
Organisation de la restauration scolaire à Antigua et Barbade
Source : FAO
Lecture : les flèches bleues relient les fournisseurs à des destinataires (ou clients) ; celles en noir désignent l’action de rendre compte de l’activité auprès d’un tiers ; les flèches rouges se rapportent aux flux monétaires (paiement ou allocation de ressources).
Parmi les freins identifiés à l’approvisionnement local figure la difficulté, pour les organismes chargés de la restauration scolaire, de gérer les flux logistiques occasionnés par le recours à une variété d’exploitations. La FAO préconise une augmentation du volume des produits en provenance de l’agriculture de petite échelle, pour réduire la valeur des importations, augmenter la production nationale et l’emploi dans les zones rurales. Désignant le Brésil voisin comme lieu de bonnes pratiques, l’organisation recommande que 50 % du contenu des repas proviennent des « fournisseurs locaux ou régionaux ».
Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective
Source : FAO
12:05 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, Enseignement et recherche, Mondialisation et international, Production et marchés | Lien permanent | Tags : restauration collective, caraïbes, politiques publiques, fao | Imprimer | |
10/02/2022
Une analyse des dispositifs agro-environnementaux en Amérique latine
En Amérique latine, les années 2000 ont été marquées par une avancée rapide des fronts agricoles et sylvicoles, les surfaces exploitées se développant au détriment des forêts et prairies primaires. Il en a résulté une dégradation importante des écosystèmes, que plusieurs gouvernements ont tenté de limiter au moyen de dispositifs agro-environnementaux. Dans un article publié sur le site Géoconfluences, des chercheurs analysent trois de ces mesures : la loi forestière argentine, le décret sur l'usage des sols agricoles en Uruguay et le zonage environnemental de la sylviculture dans le Rio Grande do Sul au Brésil.
Caractéristiques des mesures étudiées
Source : Géoconfluences
Les auteurs constatent d'abord que ces mesures cherchent à réguler l'exploitation des agro-écosystèmes, afin de combiner activité productive et préservation de l'environnement. Cette orientation constitue, selon eux, un changement de paradigme dans la mesure où les politiques environnementales, en Amérique du Sud, privilégiaient jusqu'alors la protection d'écosystèmes perçus comme « naturels » ou « vierges », en y interdisant toute activité sylvicole ou agricole.
Une deuxième partie de l'article s'intéresse aux facteurs ayant permis l'adoption de ces réglementations. Dans la mesure où les exploitations présentes sur les fronts agricoles ou sylvicoles sont pour l'essentiel de grandes entreprises détenues par des capitaux étrangers, ces régulations sont pour les gouvernements le moyen d'en limiter l'essor. Ils entendent ainsi répondre aux préoccupations d'une partie de leur population. Mais il arrive que ces régulations soient soutenues par ces entreprises elles-mêmes, certaines souhaitant protéger leur réputation et disposer d'un cadre juridique leur permettant de certifier la durabilité de leurs activités.
Pour terminer, les auteurs se sont intéressés aux stratégies des acteurs agraires dominants, face à ces nouvelles normes. Ils montrent que ces derniers concentrent leur action d'influence sur la phase de conception des dispositifs, dont ils cherchent à limiter l'ampleur. En revanche, une fois ceux-ci adoptés, ils ne s'y opposent plus frontalement, sans doute, selon les auteurs, parce qu'ils sont parvenus à les rendre finalement peu contraignants.
Mickaël Hugonnet, Centre d’études et de prospective
Source : Géoconfluences
12:01 Publié dans 4. Politiques publiques, Agriculteurs, Environnement, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : amérique latine, agro-environnement, politiques publiques | Imprimer | |
17/01/2022
Thomas Delahais, Agathe Devaux-Spatarakis, Anne Revillard, Valéry Ridde (dir.), Évaluation. Fondements, controverses, perspectives, Éditions science et bien commun, décembre 2021
De nombreuses organisations lancent aujourd'hui des évaluations pour juger des effets de leurs interventions. C'est notamment le cas dans les domaines agricole, alimentaire et forestier. Pour autant, les bases théoriques de l'évaluation demeurent mal connues, et il existe peu de références francophones en la matière. Pour pallier ce manque, un collectif de praticiens et de chercheurs a réuni les traductions en français de textes fondateurs et contemporains sur le sujet.
L'ouvrage est organisé en cinq parties compilant chacune 5 à 8 textes, souvent des extraits d'articles de recherche ou de communications. La première partie se penche sur l'utilité de l'évaluation. Elle montre que si celle-ci s'appréciait auparavant à l'aune du nombre de recommandations mises en œuvre, la diversité des usages est désormais prise en compte : évolution de la perception d'une politique, apports de connaissances sur un phénomène, etc. La deuxième partie est consacrée aux acteurs de l'évaluation : des équipes scientifiques d'abord, considérées comme les garantes de l'objectivité des travaux, puis, dès les années 1970, un nombre grandissant d'intervenants (consultants, associations, etc.). La section suivante aborde la question des valeurs selon lesquelles sont jugées les dispositifs évalués. Là encore, un glissement progressif est mis en évidence. En effet, il était initialement admis qu'il revenait aux évaluateurs de déterminer les critères de jugement ; aujourd'hui, on considère de plus en plus que la définition de ces critères doit résulter d'une démarche participative incluant les parties prenantes. La quatrième partie se penche sur l'articulation entre science et évaluation : si l'évaluation mobilise des méthodes de sciences sociales, son caractère interdisciplinaire et appliqué a limité son implantation dans le champ universitaire. Enfin, le dernier chapitre dresse un panorama des paradigmes en matière d'évaluation. Il en souligne la diversité, entre d'un côté les tenants d'approches expérimentales, et de l'autre les adeptes de données qualitatives. Si beaucoup considèrent que ces paradigmes sont irréconciliables, d'autres plaident pour leur croisement.
Dans son ensemble, cet ouvrage offre une lecture historique, riche et diversifiée des fondements, des controverses et des perspectives dans le champ de l'évaluation des politiques publiques.
Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective
08:54 Publié dans 2. Evaluation, 4. Politiques publiques | Lien permanent | Tags : évaluation, politiques publiques, usages, sciences sociales | Imprimer | |
16/12/2021
L'Institut Montaigne propose un programme agricole en vue des élections présidentielles de 2022
Dans un récent rapport intitulé En campagne pour l'agriculture de demain, fruit de nombreux entretiens et du travail d'un groupe d'experts présidé par Hervé Gaymard, l'Institut Montaigne fait un point approfondi sur les défis actuels et futurs de l'agriculture française. Ces enjeux sont déjà largement partagés : autonomie protéique, revenu des agriculteurs, renouvellement des générations, émissions de gaz à effet de serre, dégradation de l'environnement, perte de compétitivité des exploitations, rééquilibrage des régimes alimentaires, etc. Toutefois, l'approche présente deux spécificités : les auteurs se placent dans la perspective des élections présidentielles de 2022 et adoptent une entrée par la préservation de la « souveraineté alimentaire » française. Ils notent que celle-ci est une composante incontournable de la puissance de la France au XXIe siècle, et appellent à faire du pays la première puissance agricole durable.
Les auteurs identifient pour cela six chantiers, destinés à nourrir les débats de la campagne électorale, sur les questions agricole et alimentaire. Ces chantiers sont déclinés en de nombreuses propositions et ils suggèrent, entre autres, de mettre en cohérence les politiques agricole, environnementale et commerciale de l'Union européenne, de réduire les importations de protéines végétales et d'accroître la structuration des filières. Ils proposent également de rénover la contractualisation au sein de la chaîne de valeur, de maintenir une offre française large (des matières premières aux produits de haute qualité) et d'accélérer la transition climatique, écologique et énergétique de l'agriculture, entre autres par la production de bioénergies et le recours aux biotechnologies. Ils évoquent aussi le renforcement de l'attractivité du métier d'agriculteur et la protection du foncier. Ils recommandent enfin, très classiquement, d'accroître la transparence sur la qualité nutritionnelle et sur l'origine par l'étiquetage des produits, de promouvoir une alimentation saine et durable et de lutter contre le gaspillage.
Très riches en données et informations, les annexes du rapport traitent notamment des agricultures d'Outre-mer, soulignant leurs spécificités : charge que représentent les dépenses alimentaires dans le revenu, étroitesse des marchés, enjeux des filières banane et canne à sucre, nécessité d'une politique foncière ambitieuse, redynamisation de l'aval. Enfin, mentionnons une intéressante analyse de ce rapport, publiée sur le site d'Agriculture Stratégies par Bertrand Valiorgue, professeur à l'université Clermont Auvergne et ayant participé à l'élaboration de ce document.
Vincent Hébrail-Muet, Centre d'études et de prospective
Source : Institut Montaigne
08:49 Publié dans 4. Politiques publiques, Agriculteurs, Alimentation et consommation, Production et marchés, Société | Lien permanent | Tags : institut montaigne, souveraineté alimentaire, outre-mer, politiques publiques | Imprimer | |
15/12/2021
Lien entre PAC et emploi en Hongrie et Slovénie : difficile de tirer des enseignements généraux
Récemment publié dans Land Use Policy, un article analyse l'impact comparé des différentes aides de la PAC sur le travail salarié et non salarié dans les exploitations agricoles hongroises et slovènes. Ces travaux sont basés sur les données du Farm accountancy data network (en France, Réseau d'information comptable agricole - Rica). Les auteurs ont utilisé les données disponibles sur la période 2007-2015. Outre des informations sur les structures (taille économique, orientation technico-économique), cette source fournit des éléments sur le temps de travail, avec une répartition entre la main-d’œuvre salariée et familiale. Elle donne aussi le détail des aides perçues par l'exploitation, selon leur nature. Les auteurs ont ainsi pu différencier les aides du 1er pilier de celles du 2nd pilier, notamment : les paiements agri-environnementaux, les aides aux zones défavorisées et les subventions aux investissements.
Les informations sur les exploitations ont été croisées avec des données macro-économiques à l'échelle des petites régions agricoles (NUTS 3), pour retracer les liens entre le marché du travail agricole et celui des autres secteurs, comme le différentiel de revenu ou le taux de chômage.
Si la Hongrie et la Slovénie sont récemment entrées dans l'Union européenne, leurs exploitations ont des profils différents. Les exploitations hongroises sont généralement de grande taille et elles emploient une forte proportion de salariés. À l'inverse, les exploitations familiales, de taille plus modeste, sont majoritaires en Slovénie. Sur la période 2007-2015, la baisse de l'emploi agricole y a été importante et elle s'est accompagnée d'une diminution des soutiens de la PAC (figure ci-dessous, gauche). En Hongrie, le recul des aides est plus récent et plus faible, et l'emploi presque stable (figure ci-dessous, droite).
Évolution comparée de l'emploi en agriculture (unité de travail annuel - UTA), selon le type de main-d’œuvre, et du montant des soutiens de la PAC (par exploitation et par an), en Slovénie (gauche) et en Hongrie (droite)
Source : Land Use Policy
Lecture : sur l'échelle de gauche (histogrammes), main-d’œuvre en UTA par exploitation, familiale (bleu) et salariée (orange) ; sur l'échelle de droite (courbes), montants des aides de la PAC perçus par exploitation, en euros.
L'analyse économétrique menée n'a pas permis de dégager une conclusion générale sur l'impact des aides de la PAC sur l'emploi agricole (tableau ci-dessous). Les aides du 1er pilier renforcent l'emploi total en Hongrie, mais seulement l'emploi familial en Slovénie, alors que celles du 2nd pilier n'ont un impact que sur les exploitations familiales slovènes. Les auteurs concluent sur la nécessité de prendre en compte la diversité des structures d'exploitation, le type de main-d’œuvre et les interactions avec le marché du travail, pour mieux élaborer des politiques visant à maintenir l'emploi ou à en créer.
Synthèse des résultats sur les liens entre types d'aides et formes d'emploi agricole en Hongrie et Slovénie
Source : Land Use Policy
Lecture : effet positif significatif à moins de 1 % ; ns : non significatif ; s5 % ou -s5 % : effet significatif à 5 %, positif ou négatif respectivement ; s10 % ou -s10 % : effet significatif à 10 %, positif ou négatif respectivement.
Muriel Mahé, Centre d'études et de prospective
Source : Land Use Policy
08:31 Publié dans 4. Politiques publiques, Mondialisation et international, Travail et emploi | Lien permanent | Tags : pac, emploi, politiques publiques, travail, hongrie, slovenie | Imprimer | |
09/11/2021
Paiement pour services écosystémiques en forêt : des dispositifs encore récents à améliorer selon le WWF
À l'occasion du congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), en septembre 2021, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a publié une analyse critique des paiements pour services écosystémiques existant dans le domaine forestier en France depuis 2018 : la procédure dédiée du Forest Stewardship Council (FSC) et le label bas carbone.
Si le premier dispositif touche des surfaces plus importantes et des thématiques plus variées, pour un faible nombre de certifications (4 dont 3 exclusivement sur la biodiversité, en février 2021), le label bas carbone forestier concerne 76 projets pour 489 ha, mais ne porte que sur des boisements ou reboisements, ou l’amélioration de taillis (figure ci-dessous). Pour les auteurs, ces dispositifs sont encore très récents et perfectibles. En particulier, pour le label bas carbone, le champ des techniques couvert est trop restreint, la rémunération de la réduction des émissions de carbone permise par la substitution de matériaux discutable, et l'absence de vision systémique (co-bénéfices) critiquable.
Localisation et types de projets forestiers du label bas carbone en février 2021
Source : WWF
Source : WWF
07:02 Publié dans 4. Politiques publiques, Environnement, Forêts Bois | Lien permanent | Tags : pse, forêt, politiques publiques | Imprimer | |
11/06/2021
Consensus sur une définition des postbiotiques
Dans un article publié en mai 2021, l'International Scientific Association of Probiotics and Prebiotics (ISAPP) propose une définition du terme « postbiotique », après avoir fait de même pour probiotique, prébiotique et synbiotique. Constatant l'augmentation exponentielle de l’utilisation de ce terme ou de termes recouvrant le même concept dans la littérature scientifique (figure ci-dessous), l'association a souhaité le préciser. Comme précédemment, elle a pour cela réuni un large échantillon de scientifiques du monde entier et de disciplines médicales, afin d'aboutir à un consensus.
Évolution de l'utilisation du terme « postbiotique » dans la littérature scientifique
Source : Nature Review Gastroenterology and Hepatology
Lecture : différents termes ont été utilisés dans la littérature depuis vingt ans pour désigner des micro-organismes inactivés ou tués. Depuis cinq ans, le terme postbiotique les a tous largement supplantés.
Les experts définissent un postbiotique comme une « préparation de micro-organismes inanimés et/ou de leurs composants, conférant un bénéfice en termes de santé pour le receveur ». Ils précisent qu'il s'agit de micro-organismes délibérément inactivés, accompagnés ou non de métabolites ou de composants cellulaires. Les métabolites seuls, les vaccins et les probiotiques tués ne sont pas des postbiotiques. Le bénéfice pour le receveur, homme ou animal, doit être vérifié. Le site d'action n'est pas limité au tractus digestif. Implicitement, le postbiotique ne doit pas être dangereux pour l'usage considéré.
Cinq modes d'action des postbiotiques ont aussi été étudiés, par exemple concernant le microbiote intestinal (figure ci-dessous). Ils peuvent agir directement sur la composition du microbiote local en modulant la part relative des différentes espèces présentes (1). Sur le site cible, ils peuvent renforcer la barrière épithéliale (2) et/ou moduler la réponse immunitaire locale (3). Ils peuvent également provoquer une réponse systémique, immunitaire (3) ou métabolique (4). Enfin, ils peuvent utiliser l'axe microbiote-cerveau pour stimuler la sécrétion de neurotransmetteurs ou d'hormones (5).
Modes d'action présumés des postbiotiques
Source : Nature Review Gastroenterology and Hepatology
Les scientifiques envisagent quelques usages cliniques possibles qui devront être évalués : nouveaux antimicrobiens, anti-inflammatoires et immunorégulateurs, antalgiques en particulier pour lutter contre des douleurs digestives, adjuvants pour des vaccins.
Des études scientifiques ultérieures ainsi que des avis des autorités seront nécessaires pour réglementer l'usage de ce terme, y compris par les sociétés commerciales.
Franck Bourdy, Centre d'études et de prospective
16:07 Publié dans 4. Politiques publiques, Enseignement et recherche, Santé et risques sanitaires | Lien permanent | Tags : postbiotique, santé, politiques publiques, usages cliniques | Imprimer | |
20/04/2021
Premier rapport mondial sur le gaspillage alimentaire par le programme des Nations unies pour l'environnement
En tant qu'agence des Nations unies, visant la réduction par deux du gaspillage alimentaire aux niveaux de la distribution, des services alimentaires et des ménages (Objectif de développement durable 12, cible 3), le programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) publie son premier rapport mondial sur le sujet.
Ce document s'appuie sur de nombreuses données provenant d'une variété de sources, en majorité des études scientifiques ad hoc, 7 pays seulement collectant des statistiques nationales compatibles avec l'indice du gaspillage alimentaire. Ces données sont intégrées dans une modélisation qui permet d'estimer le gaspillage au niveau mondial, par pays, par région et par secteur. Les estimations portant sur les ménages sont les plus robustes, avec des données issues de près de 100 études, réparties dans une variété de pays représentant 75 % de la population mondiale. Les données sur le gaspillage dans les services et la distribution sont au contraire relativement difficiles à trouver hors des pays à hauts revenus.
Selon les auteurs, 17,5 % de la production alimentaire mondiale sont gaspillés – 931 millions de tonnes, soit deux fois plus que les estimations précédentes de la FAO (2011). 10,7 % le sont par les ménages, 4,6 % au niveau des services alimentaires et 2,2 % à celui de la distribution. Le gaspillage des ménages français (85 kg par personne et par an) se situerait à un niveau intermédiaire pour l'Europe (34 kg en Slovénie, 142 en Grèce), mais plus élevé que la moyenne mondiale (74 kg).
Estimations du gaspillage alimentaire des ménages en Europe, sources utilisées et niveaux de confiance
Source : PNUE
L'autre résultat clé du rapport est que le gaspillage alimentaire, contrairement à une idée reçue, est similaire d'un groupe de revenus à un autre. Est donc remise en cause l'idée selon laquelle il serait l'apanage des « pays développés », tandis que les « pays en développement » souffriraient essentiellement de pertes aux stades de la production, du stockage et du transport.
Enfin, le rapport propose une méthodologie pour les pays désireux d'effectuer un suivi du gaspillage. En avril, le PNUE devrait lancer des groupes de travail sur le sujet, en Afrique, en Asie-Pacifique, en Amérique latine et en Asie de l'Ouest, afin de faciliter l'établissement de données et la mise en œuvre de stratégies de réduction.
Marie-Hélène Schwoob, Centre d'études et de prospective
14:28 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, Environnement, IAA, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : gaspillage, consommation, politiques publiques | Imprimer | |
19/01/2021
Alertes et lanceurs d'alerte, Francis Chateauraynaud
Au milieu des années 1990, F. Chateauraynaud (EHESS) a renouvelé la sociologie des risques et de l’expertise en créant le terme et mettant en évidence le rôle des « lanceurs d’alerte », à savoir ces personnes ou ces groupes qui, « rompant le silence, passent à l’action pour signaler l’imminence, ou la simple possibilité d’un enchaînement catastrophique ». La notion connut rapidement un certain succès. L’ouvrage retrace ses appropriations par les acteurs du risque environnemental, puis par ceux de la lutte contre la corruption et la délinquance économique. Mise à l'agenda politique dès le Grenelle de l'environnement (2007), elle est introduite dans l’ordre juridique en 2013 et 2016, avec le vote de deux lois sur la protection des lanceurs d'alerte contre les pressions et sur la procédure de signalement.
L'auteur critique cette institutionnalisation en se référant à l'idéal-type d'une « alerte authentique », basée sur l’attention aux changements à peine sensibles des milieux de vie. Dans ce modèle, une fois lancée, la mobilisation connaît des trajectoires variées, en partie imprévisibles. Elle est reprise dans de multiples arènes, connaît des rebondissements comparables à une enquête collective, jusqu’à provoquer les ajustements nécessaires pour prévenir le risque, ou limiter les dégâts, et retrouver prise sur le futur. Selon Chateauraynaud, le dispositif français, conçu en partie au moment de l'affaire Cahuzac, entretient la confusion avec une autre catégorie, moins pertinente pour l'analyse des risques : la « dénonciation de scandales » et le whistleblower.
Ce « jeu de lois » repose aussi sur le respect d'étapes, de formes et de hiérarchies. Or, toute alerte « véritable », mise en branle par des signaux faibles, « hors du code », ne tend-elle pas « à contourner les procédures normales » ? De nombreux dossiers, dans le domaine agricole et agroalimentaire (maladies liées aux pesticides, « vache folle », OGM, etc.), mais aussi des technologies de surveillance (affaire Snowden), le suggèrent. « La prolifération des objets d’alerte et de controverse », loin de démontrer l’ingouvernabilité de sociétés tétanisées par le principe de précaution, est avant tout « le signe d’un travail collectif permanent assurant les conditions de la vie sociale ». La question des institutions appropriées reste cependant ouverte, l'auteur évoquant des pistes plus ou moins convaincantes (plateformes citoyennes, autorités administratives indépendantes, etc.).
Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective
Lien : PUF
12:34 Publié dans 4. Politiques publiques, IAA, OGM, Santé et risques sanitaires, Société | Lien permanent | Tags : risques, institutions, politiques publiques, sociétés | Imprimer | |