Rick Fantasia, Gastronomie française à la sauce américaine. Enquête sur l’industrialisation de pratiques artisanales, Seuil, septembre 2021, 336 pages (15/12/2021)

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Rick Fantasia, professeur de sociologie au Smith College, propose dans cet ouvrage une analyse décapante des évolutions de la gastronomie française. Dans un premier temps, il récapitule les processus par lesquels celle-ci s’est structurée à la fin du XIXe siècle, comme un champ à part entière, doté de ses propres enjeux, règles et normes d’évaluation. Se distinguant des pratiques domestiques, comme de l’alimentation industrielle qui apparaît au même moment, la haute cuisine des « chefs » et des grands restaurants est alors consacrée par un nouveau type d’experts, les critiques gastronomiques. Tel Curnonsky, ceux-ci « inventent » la cuisine française traditionnelle et codifient les plats régionaux. Des établissements prestigieux deviennent des institutions, comme le Ritz. Les revues ennoblissent des cuisiniers, à l'image d'Escoffier. « Capital symbolique » fabriqué par la presse, les guides et le concours du Meilleur ouvrier de France, la célébrité des chefs se transmet à leurs apprentis dans le cadre de véritables lignées.

En contrepoint, l’ouvrage met ensuite en lumière le développement des filières agroalimentaires et de la restauration collective. Repoussoir pour les acteurs de la « grande cuisine », ce secteur industriel est à l’origine « symboliquement dominé », à tel point que ses acteurs ne considèrent pas faire le même métier, mais il se développe rapidement dans la deuxième moitié du XXe siècle (voir à ce sujet un précédent billet). Les innovations mises au point sur le marché américain sont diffusées via les voyages d’études (« missions de productivité »), centrés sur la distribution organisés à partir de la fin des années 1940, et grâce à l’internationalisation des entreprises. L’auteur revient notamment sur l’implantation en France de McDonald’s dès 1972, et sur le succès « improbable » des fast-foods auprès d’une jeunesse fascinée par « la magie de l’américanisme ». De façon symétrique à l'analyse de la haute gastronomie, il examine les publications, experts et valeurs qui soutiennent ce déploiement.

Le dernier chapitre montre comment les frontières entre ces deux pôles (haute cuisine et alimentation industrielle) s’affaissent à partir des années 1970, quand de grands chefs comme Guérard, Ducasse ou Robuchon entreprennent de « convertir » leur capital symbolique accumulé en capital économique, en associant leur image à des produits de consommation de masse. Si l'aura des chefs en a pâti, la magie sociale est loin d’être complètement dissipée. L’auteur soutient ainsi, à propos des spécialités régionales, que « le mythe construit autour du '‘local’' et du terroir a fini par camoufler l’infrastructure industrielle » qui les soutient.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions du Seuil

08:34 | Lien permanent | Tags : gastronomie, capital symbolique, histoire contemporaine, agroalimentaire |  Imprimer | | | | |  Facebook