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15/09/2020

Une analyse de la financiarisation des firmes agricoles latino-américaines

La financiarisation de l'agriculture soulève de nombreuses questions quant à ses implications (voir à ce sujet un précédent billet). Dans un article publié dans la revue Globalizations, des chercheurs analysent les transformations de deux firmes agricoles sud-américaines, Nuevo Amanecer et La Lozada, afin de montrer comment l'afflux de capitaux financiers, dans les années 2000, a impacté leur fonctionnement. Ces investissements ont notamment permis à ces entreprises d'étendre leurs opérations, mais également de se diversifier, en développant des activités commerciales et financières à côté des activités productives traditionnelles (figure ci-dessous). Cet apport de capitaux s'est aussi accompagné d'une évolution de la stratégie de ces firmes : alors qu'elles se contentaient jusqu'alors de louer le foncier, elles cherchent désormais à en faire l'acquisition afin de profiter d'une éventuelle hausse de sa valeur. Pour les auteurs, ces stratégies sont manifestement plus financières et spéculatives que par le passé.

Organisation des firmes agricoles étudiées dans les années 2000

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Source : Globalizations

Source : Globalizations

 

12/06/2020

Fields of Gold. Financing the Global Land Rush, Madeleine Fairbairn

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Les réflexions sur les rapports entre capital et agriculture sont anciennes mais elles connaissent un renouveau depuis une quinzaine d'années, en raison de l'intérêt croissant de certains investisseurs financiers en faveur du foncier agricole. Ce phénomène, composante de ce que l'on qualifie parfois de « financiarisation » de l'agriculture, est source de vives controverses. Dans cet ouvrage clair et synthétique, Madeleine Fairbairn, figure incontournable du courant anglo-saxon des études agraires critiques (Agrarian Studies), analyse cette « ruée vers la terre » de manière originale : elle se place du point de vue des investisseurs, alors que les recherches sont habituellement focalisées sur les conséquences de leurs décisions pour les agricultures familiales des pays ciblés.

Le premier chapitre montre qu'aux États-Unis, la finance a commencé à acquérir des terres dès 1990. Les débuts sont toutefois balbutiants, l'agriculture peinant à atteindre les rentabilités à deux chiffres auxquelles Wall Street est habituée. La crise de 2008 et la hausse des prix agricoles changent néanmoins la donne. Rapidement, le marché foncier étasunien ne suffit plus à absorber la masse de capitaux disponibles, conduisant ainsi à l'internationalisation du phénomène.

Le deuxième chapitre se penche sur la rationalité économique des investisseurs. L'auteure montre que ces derniers considèrent d'abord le foncier comme un actif financier rare, tel l'or, dont la valeur tend à s’accroître au cours du temps, et non comme un facteur permettant de produire des denrées agricoles. En d'autres termes, ils misent davantage sur l'augmentation de la valeur des terres, pour rentabiliser leur investissement, que sur les revenus tirés de la production.

Cette approche se heurte toutefois aux spécificités du foncier agricole, qui en font un actif financier à part. Ces particularités (hétérogénéité, illiquidité, etc.) et les outils mis en place par la finance pour les contourner, sont passés en revue dans le troisième chapitre. Enfin, la dernière partie montre la difficulté que rencontrent les États pour limiter l'ampleur de ces investissements. Portant un regard critique sur ce phénomène de financiarisation, l'auteur suggère en conclusion de s'inspirer des théories de l'économiste du XIXe siècle Henry Georges, qui proposait de taxer lourdement les gains liés à l'accroissement de la valeur des terres.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Lien : Cornell University Press

11:54 Publié dans Agriculteurs, Mondialisation et international, Territoires | Lien permanent | Tags : foncier, fairbairn, financiarisation |  Imprimer | | | | |  Facebook

10/10/2018

Les méga-entreprises agricoles, une porte d'entrée pour le capital financier en agriculture : le cas de El Tejar

Un article de la revue Mundo Agrario d'août 2018 aborde la financiarisation de l'agriculture et les investissements en terres, dans la zone du Mercosur, via le cas de l'entreprise El Tejar. Les objectifs de ses fondateurs étaient d'en faire la plus grande entreprise agroindustrielle au monde et de la coter en bourse.

À partir d'une approche multi-échelle, nationale (Argentine), régionale (Mercosur) et internationale (logique des fonds de private equity, crises financières, marchés de commodités), l'étude de cas de El Tejar repose sur une trentaine d’entretiens et une observation participante menée parmi son personnel en Argentine et au Brésil. L'évolution de cette entreprise familiale, fondée en 1987 en Argentine, permet d'aborder le rôle des capitaux financiers spéculatifs internationaux, auxquels elle a fait appel en 2006 pour soutenir son expansion transfrontalière vers la Bolivie, l'Uruguay et surtout le Brésil. En s'appuyant sur le modèle argentin d'agriculture né dans les années 1990 (semis direct / soja OGM / glyphosate / externalisation des tâches), et en combinant propriété foncière et fermage, El Tejar a progressivement mis en production dans le Mercosur 72 000 ha en 2003, 105 000 ha en 2004, 900 000 ha en 2008.

Selon les auteurs, le secteur agricole est considéré comme un refuge face aux crises successives (bulles technologique et immobilière), et un placement intéressant dans le contexte du boom des prix des commodités et de la terre (en particulier pour des investissements dans des entreprises privées non cotées en bourse). Cependant, la sortie des capitaux, en cas de difficultés économiques, est source d'instabilité pour le secteur agricole. El Tejar en est l'illustration, son expansion au Brésil s'étant accompagnée d'une gestion hasardeuse, qui reproduisait le modèle argentin sans prendre en compte les spécificités locales. Les pertes enregistrées dès le début de la production, dans ce pays, ont entraîné des changements de management, lesquels ont conduit finalement à une restructuration de l'entreprise, puis à la vente des principaux actifs en Argentine et en Uruguay en 2014, afin de concentrer la production au Brésil. La surface contrôlée, en terres propres et en fermage, n'était ainsi plus que d'environ 200 000 ha en 2014/2015.

Évolution de la surface contrôlée par El Tejar dans le Mercosur, de 2003/2004 à 2014/2015 (milliers d'ha) et faits marquants dans l'histoire de l'entreprise

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Source : Mundo Agrario

Hugo Berman, Centre d'études et de prospective

Source : Mundo Agrario

09:59 Publié dans Agriculteurs, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : mercosur, financiarisation, argentine, brésil |  Imprimer | | | | |  Facebook