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19/01/2021

Alertes et lanceurs d'alerte, Francis Chateauraynaud

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Au milieu des années 1990, F. Chateauraynaud (EHESS) a renouvelé la sociologie des risques et de l’expertise en créant le terme et mettant en évidence le rôle des « lanceurs d’alerte », à savoir ces personnes ou ces groupes qui, « rompant le silence, passent à l’action pour signaler l’imminence, ou la simple possibilité d’un enchaînement catastrophique ». La notion connut rapidement un certain succès. L’ouvrage retrace ses appropriations par les acteurs du risque environnemental, puis par ceux de la lutte contre la corruption et la délinquance économique. Mise à l'agenda politique dès le Grenelle de l'environnement (2007), elle est introduite dans l’ordre juridique en 2013 et 2016, avec le vote de deux lois sur la protection des lanceurs d'alerte contre les pressions et sur la procédure de signalement.

L'auteur critique cette institutionnalisation en se référant à l'idéal-type d'une « alerte authentique », basée sur l’attention aux changements à peine sensibles des milieux de vie. Dans ce modèle, une fois lancée, la mobilisation connaît des trajectoires variées, en partie imprévisibles. Elle est reprise dans de multiples arènes, connaît des rebondissements comparables à une enquête collective, jusqu’à provoquer les ajustements nécessaires pour prévenir le risque, ou limiter les dégâts, et retrouver prise sur le futur. Selon Chateauraynaud, le dispositif français, conçu en partie au moment de l'affaire Cahuzac, entretient la confusion avec une autre catégorie, moins pertinente pour l'analyse des risques : la « dénonciation de scandales » et le whistleblower.

Ce « jeu de lois » repose aussi sur le respect d'étapes, de formes et de hiérarchies. Or, toute alerte « véritable », mise en branle par des signaux faibles, « hors du code », ne tend-elle pas « à contourner les procédures normales » ? De nombreux dossiers, dans le domaine agricole et agroalimentaire (maladies liées aux pesticides, « vache folle », OGM, etc.), mais aussi des technologies de surveillance (affaire Snowden), le suggèrent. « La prolifération des objets d’alerte et de controverse », loin de démontrer l’ingouvernabilité de sociétés tétanisées par le principe de précaution, est avant tout « le signe d’un travail collectif permanent assurant les conditions de la vie sociale ». La question des institutions appropriées reste cependant ouverte, l'auteur évoquant des pistes plus ou moins convaincantes (plateformes citoyennes, autorités administratives indépendantes, etc.).

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : PUF

18/01/2021

Bouleversement. Les nations face aux crises et au changement, Jared Diamond

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Voici une quinzaine d'années, le biologiste américain Jared Diamond publia un livre sur l'effondrement des sociétés (Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed, 2006), qui rencontra un large public à défaut de séduire les historiens professionnels, peu convaincus par sa lecture monofactorielle de l'évolution humaine. Il en ira certainement de même pour sa dernière publication (Upheaval: Turning Points for Nations in Crisis), à l'ambition totalisante affirmée, mais qui repose essentiellement sur les expériences vécues par l'auteur et sur l'idée que les crises sociétales sont similaires aux crises psychiques individuelles. Malgré ces défauts, l'ouvrage intéressera tous ceux qui se préoccupent du devenir des institutions, des changements culturels, de la survenue des crises et des capacités de résistance des systèmes sociaux.

L'analyse embrasse les deux derniers siècles et sept pays sont plus spécifiquement étudiés : Allemagne, Australie, Chili, États-Unis, Finlande, Indonésie et Japon. De ce large panorama historique et géographique, Diamond conclut à l'existence de douze facteurs qui, selon lui, influent directement sur le contenu et la forme des crises nationales. Il peut s'agir du « degré de consensus sur l'existence de la crise », du « niveau de reconnaissance de la nécessité d'agir » ou de l'acceptation plus ou moins franche « d'une aide venant d'un autre pays ». Il peut aussi s'agir de la nature de « l'identité nationale », de « l'expérience acquise lors de crises antérieures », des valeurs culturelles fondamentales ou de la prégnance des « contraintes géostratégiques ». Selon l'auteur, cette grille de lecture peut s'appliquer à toutes les crises (politiques, économiques, environnementales, énergétiques, sanitaires, etc.) et à tous les secteurs (production agricole, eau, alimentation, pêche, exploitation forestière, qualité des sols, etc.).

Les quatre derniers chapitres sont particulièrement intéressants, car prospectifs et synthétiques, Diamond utilisant sa grille de lecture pour décrypter l'avenir du Japon et des États-Unis, et plus généralement celui du monde. Ses conclusions sont peu optimistes car il considère que la majorité des « douze facteurs de crise » se retrouvent à l'échelle planétaire : l'humanité manque d'une identité partagée, elle est confrontée à des défis globaux inédits et ne peut s'appuyer sur l'expérience passée. Il n'y a pas non plus d'acceptation mondiale de notre responsabilité, et nos choix sont limités par de sévères contraintes (épuisement des énergies fossiles, changement climatique, baisse de la biodiversité). Bref, toutes les conditions sont réunies pour qu'advienne non pas un effondrement du monde, mais un bouleversement des nations qui le composent.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Gallimard

15/09/2020

Étudier finement la structure des marchés d'alimentation pour répondre aux objectifs de développement durable

Dans un rapport publié en juin 2020, l'Agence française de développement (AFD) se penche sur les caractéristiques des infrastructures physiques et institutionnelles d'approvisionnement et de distribution alimentaires (voir figure ci-dessous). En effet, les auteurs notent qu'elles ont été peu prises en considération par la recherche et les politiques publiques de développement, notamment en Afrique, en dépit de leur importance pour la durabilité des systèmes alimentaires et, donc, pour l'atteinte des Objectifs de développement durable (ODD).

Schéma simplifié d'un système de distribution alimentaire

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Source : Agence française de développement

Prenant l'exemple de trois capitales africaines (Rabat, Niamey et Abidjan), les auteurs rappellent que les réseaux d'approvisionnement alimentaire traditionnels sont dépourvus d'infrastructures institutionnelles de marché. Celles-ci permettent pourtant une connaissance généralisée des prix, une garantie de qualité des produits et l'accès au crédit. En réponse à ces carences, des arrangements privés se mettent en place entre les maillons des chaînes de distribution : positionnement d'intermédiaires qui recherchent les prix de marché et les relaient auprès d'autres acteurs ; importance des relations de confiance et du capital réputationnel pour garantir un certain niveau de qualité des produits ; création d'un marché du crédit informel.

Niveau de confiance entre opérateurs économiques dans différents pays

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Source : Agence française de développement

Cependant, malgré ces arrangements privés, une incertitude subsiste sur les prix et la qualité des produits. Combinée à la vétusté ou au développement insuffisant des infrastructures physiques, elle pénalise les consommateurs en conférant à certains acteurs des pouvoirs de marché trop importants.

En réponse à ces difficultés, des actions publiques d'investissement et de modernisation ont été tentées, parfois en vain. Les auteurs appellent donc les décideurs à analyser finement les infrastructures de marché existantes, avant de décider de mesures politiques, pour éviter des effets négatifs non anticipés. Par exemple, la régulation de marchés monopolistiques pourrait déstabiliser des réseaux entiers de commerce, tandis que l'introduction de normes officielles de qualité et de systèmes de contrôle pourrait s'avérer très coûteuse et ne pas répondre aux attentes des consommateurs.

Vincent Hébrail-Muet, Centre d'études et de prospective

Source : Agence française de développement

18:21 Publié dans Développement, Production et marchés, Société | Lien permanent | Tags : système alimentaire, confiance, institutions |  Imprimer | | | | |  Facebook