14/02/2022
Covid-19 et pratiques alimentaires : des enseignements pour la conception des politiques publiques
En janvier 2022, ont été publiés dans la revue Sustainability: Science, Practice and Policy les résultats d'un travail mené sur les effets des restrictions associées au Covid-19 sur les pratiques alimentaires. Pour les auteurs, les perturbations soudaines des routines quotidiennes (ex. télétravail) et des systèmes d'approvisionnement (ex. fermeture des restaurants) constituent une opportunité pour étudier ces pratiques et leurs dynamiques : obtention, stockage, préparation et consommation d'aliments, gestion des déchets, etc. De mai à juillet 2020, ils ont réalisé 119 entretiens semi-directifs auprès de ménages aux profils diversifiés dans sept pays : Allemagne, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Vietnam.
Des résultats communs aux différents terrains d'enquête sont identifiés. Tout d'abord, les mesures de gestion de la crise sanitaire ont perturbé des pratiques alimentaires habituellement déterminées par d'autres activités (travail, école, etc.), modifiant les temporalités, localisations et fréquences des achats. Les mesures d'hygiène et de nouvelles conceptions des risques y ont également contribué, et ont joué sur les modalités de choix et de stockage des produits. La planification des repas et la gestion des denrées ont aussi été impactées. Par ailleurs, les ménages interrogés ont expérimenté de nouvelles pratiques alimentaires, déterminées par divers facteurs : préoccupations accrues pour la santé et prise en considération du rôle de l'alimentation ; recherche de diversité, de sociabilité et de divertissement, habituellement apportés par les repas au restaurant ; nouvelles pratiques culinaires (menus, équipements, services, outils numériques, etc.). Enfin, les expériences individuelles sont diverses, plaisantes ou difficilement vécues, notamment selon la composition du foyer et les activités professionnelles.
Pour les auteurs, des enseignements peuvent en être tirés quant à l'accompagnement du changement des pratiques alimentaires, notamment en ce qui concerne l'adoption d'alternatives face aux défis contemporains de la durabilité. Il s'agit de considérer la diversité des habitudes et routines, de mieux cibler les facteurs les conditionnant, d'en intégrer les dimensions sociales et culturelles, ou encore de tenir compte des capacités variables des individus à mettre en œuvre les changements. Les politiques publiques auraient alors à la fois un périmètre plus large et des ambitions plus modestes.
Julia Gassie, Centre d'études et de prospective
12:06 Publié dans 4. Politiques publiques, Alimentation et consommation, IAA, Société | Lien permanent | Tags : changement social, pratiques alimentaires, covid-19, politiques publiques | Imprimer | |
14/01/2021
Steven L. Kaplan, Pour le pain, Fayard, 2020, 366 pages
Ancien professeur à Cornell University (État de New York), ainsi que dans plusieurs universités françaises, Steven Kaplan est tombé amoureux de notre pays en mâchant sa première bouchée de pain, un jour de 1962 au jardin du Luxembourg. Depuis, il n'a cessé de consacrer ses recherches au bricheton, au lingot ou à la baguette, adoptant toujours une large perspective économique et sociale héritée de l'école des Annales : Bread, Politics and Political Economy, 1976 ; Le pain, le peuple et le roi, 1986 ; Le meilleur pain du monde, 1996 ; Le pain maudit, 2008 ; Raisonner sur les blés, 2017 (voir à ce sujet une brève). Dans ce nouvel ouvrage, il étudie la baisse continue de la consommation de pain, les actions entreprises pour l'enrayer, les stratégies des principaux acteurs concernés et les évolutions plus profondes de la culture panaire nationale. De façon plus personnelle, voire militante, Kaplan s'inquiète de la situation actuelle, appelle à la résistance et entreprend de défendre la cause du pain et des céréales, des meuniers et des boulangers.
L'auteur ne détaille pas une thèse centrale, mais il nous convie à une enquête vivante, diversifiée, nuancée, au fil de dix-neuf chapitres thématiques mobilisant les résultats d'études qualitatives et quantitatives. Certains chapitres traitent de la culture du pain, de la dégustation, des aspects sanitaires, des acteurs de la filière, de la boutique ou des questions de formation professionnelle. D'autres sont consacrés au désamour des consommateurs, à l'image malmenée des produits, aux attentes de naturalité, aux anciennes variétés de blé, mais aussi au levain et aux débats publics sur le gluten, aux nouvelles façons de commémorer ou de muséifier. Des pages très intéressantes sont centrées sur la « contre-filière » des « paysans-boulangers ».
De ces nombreux coups de projecteur, il ressort que nous n’avons pas seulement affaire à une moindre appétence des nouvelles générations, à une baisse des achats ou à une crise passagère, mais plutôt à une mutation structurelle du modèle alimentaire français, à une transformation profonde des saveurs et des repas, et à une place toujours plus réduite accordée au pain, concurrencé par des ingrédients et des plats jugés plus modernes et pratiques, plus sains et goûteux. Après avoir été au cœur de la ration des populations, le pain est devenu un produit d’accompagnement, une possibilité mais plus une obligation, et malgré le combat mené par Kaplan, « ni décliniste, ni réactionnaire nostalgique d’un quelconque âge d’or », sa consommation continuera à baisser dans les prochaines années.
Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective
Lien : Éditions Fayard
12:30 Publié dans Alimentation et consommation, Société | Lien permanent | Tags : pain, consommation, alimentation, changement social | Imprimer | |