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12/07/2022

Le nexus climat-biodiversité-sécurité alimentaire en débat à Bonn

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Lors de la 56e réunion des organes subsidiaires de la Convention climat, qui a eu lieu à Bonn en juin 2022, une session a été consacrée aux contributions de l’agriculture à la neutralité carbone, au maintien de la biodiversité et à la sécurité alimentaire. L’intervention inaugurale a porté sur la mise en œuvre d’une agriculture climato-intelligente en Inde, reposant sur une gestion intégrée de l’eau, du conseil agricole pour l’implantation de cultures adaptées aux types de sols et l’aide à la gestion des risques météorologiques. Dans ce cadre, une expérimentation-formation conduite par une ONG auprès de 300 paysans de l’État du Gujarat a été présentée. Elle leur a d'abord proposé des semences génétiquement modifiées pour rendre les cultures de ricin, de coton et d’oignon plus résistantes aux stress (températures élevées, manque d’eau). Cela a conduit à une augmentation du revenu brut des agriculteurs de 9,4 %. De plus, les services rendus par des micro-organismes leur ont été montrés, notamment comme biofongicides (trichoderma). Enfin, les agriculteurs ont testé un fertilisant naturel (fumier) qui a permis de diminuer de 15 à 20 % les coûts de production.

Lors de la même session, trois policy briefs ont été présentés. Le premier, écrit par J.-L. Chotte (INRAE) et ses collègues, rappelle que le stockage du carbone offre de multiples avantages : atténuation du changement climatique mais aussi contribution à une meilleure santé des sols et, par voie de conséquence, à la sécurité alimentaire. Mais il a des limites puisqu’il ne peut dépasser un certain plafond et reste contingent (figure ci-dessous).

Variabilité dans le temps du stockage du carbone dans les sols

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Source : United Nations - Climat Change

Le deuxième policy brief de C. Aubertin (IRD) et C. Weill (INRAE) invite à dépasser l’opposition entre land sparing et land sharing. Si les rendements ont atteint leur niveau maximal dans les pays très développés, favorisant plutôt le land sharing, dans d’autres zones une productivité des terres renforcée peut être souhaitée. Pour éclairer ces choix, les auteures en appellent à des évaluations renforcées de leurs impacts sur la biodiversité non agricole, les régimes alimentaires, la santé ou le nombre d’emplois créés. Enfin, le troisième texte, co-écrit par M. Hrabanski (Cirad), rend compte des conditions qui facilitent la mise en place de politiques publiques favorables à une transition climatique au Nord comme au Sud.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : United Nations - Climate Change

15/06/2022

Quels impacts socio-économiques de l'irrigation en Inde ?

S'il est généralement admis que l'irrigation permet de réduire la pauvreté rurale, la question de ses impacts sur les inégalités est plus discutée. Pour éclaircir ces débats, des chercheurs ont analysé les conséquences socio-économiques du développement de l'irrigation dans la région du Karnataka, au sud de l'Inde. Ces travaux ont fait l'objet d'une publication dans la revue Nature.

Les auteurs ont d'abord reconstitué les dynamiques agraires historiques de la région, au moyen d'une cinquantaine d'entretiens. Cette analyse a montré que l'agriculture s'y caractérisait, dans les années 1950-1960, par une forte différenciation sociale et une hétérogénéité des tailles d'exploitation, allant de quelques hectares à plusieurs dizaines. Les producteurs disposant des plus grandes surfaces ont été les premiers, dès les années 1970, à avoir les moyens de creuser des puits pour l'irrigation. Ils ont ainsi pu cultiver de la canne à sucre, très rémunératrice, et accumuler des capitaux conséquents. Progressivement, une part importante des autres agriculteurs est aussi parvenue à s'équiper, souvent au prix d'un lourd endettement. De plus, la raréfaction de la ressource en eau les a rapidement contraints à délaisser la canne pour des productions moins exigeantes mais moins rémunératrices (légumes, curcuma, etc.).

Le second temps du travail a été consacré à la modélisation des systèmes de production actuels du Karnataka et à l'évaluation de leurs performances économiques. Il montre que l'irrigation accroît les performances des exploitations qui en bénéficient, quelle que soit leur taille. Cependant, le gain est beaucoup plus important pour les agriculteurs disposant de grandes surfaces, qui ont pu s'équiper en matériel de micro-irrigation, et ainsi sécuriser en partie leur production malgré la moindre disponibilité en eau. De leur côté, ceux qui ne produisent encore que des cultures pluviales (sorgho, éleusine, dolique, etc.) ont malgré tout pu bénéficier des retombées économiques de l'irrigation, en travaillant pour le compte des agriculteurs irrigants. L'analyse économique montre toutefois que leur salaire est jusqu'à vingt fois inférieur à la productivité économique de leur travail, relativisant le caractère redistributif de l'emploi créé par l'irrigation. Ces travaux confirment donc l'efficacité économique de l'irrigation mais ils montrent qu'elle peut s'accompagner d'un accroissement des inégalités.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : Nature

09:57 Publié dans Agronomie, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : eau, irrigation, agronomie, inde |  Imprimer | | | | |  Facebook

12/04/2022

La combinaison de l’écologie et de l’agriculture reste timide en Inde

Un article de la revue Mouvements, paru en mars 2022, rend compte de la faible convergence des luttes à caractères socio-économique et écologique dans l’agriculture contemporaine indienne. En 2021, le Front uni des agriculteurs, qui s’opposait aux lois de libéralisation des marchés agricoles (voir à ce sujet un précédent billet), revendiquait le maintien des modèles productifs conventionnels. Au-delà de cet exemple, le fait que l’agriculture biologique reste essentiellement urbaine, et sa prise en charge timide par les organisations non gouvernementales, attestent de la discrétion des enjeux écologiques. Néanmoins, pour les auteurs, la transition vers un régime agro-écologique, engagée dans l’État de l’Andhra Pradesh, augure peut-être d’évolutions. S’inspirant des thèses de Subhash Palekar, agriculteur devenu conseiller du gouvernement, les programmes publics mis en œuvre avec un certain succès depuis 2020 reposent sur le non-labour et la lutte contre les ravageurs via des associations culturales.

Source : Mouvements

16/12/2021

Inde : retour sur un an de colères paysannes contre la libéralisation des marchés agricoles

Près d’un an après des manifestations massives, 600 décès d'agriculteurs et des occupations continues aux portes de la capitale rassemblant jusqu'à plus de 300 000 paysans, le gouvernement indien a retiré le 19 novembre 2021 ses réformes agraires qui libéralisaient les marchés agricoles. Dans le Journal of Peasant Studies, deux articles analysent le contexte de ce mouvement, ses implications pour la politique agricole nationale et les mouvements agraires.

Dans le premier texte, M. Krishnamurthy traite des caractéristiques de cette mobilisation qui visait à protéger les « mandis », marchés agricoles réglementant (de manière différente selon les États fédérés) la première transaction entre les agriculteurs et les acheteurs, et assurant un prix minimal garanti. Selon la sociologue, le transfert de la politique agricole de l’échelon des États à celui de l’Union a créé des tensions et contradictions dans la conception et la mise en œuvre des réglementations. Il a également modifié les lieux de résistance et protestation, générant de puissants discours du monde agricole et de la société, tissant un nouveau lien entre les producteurs et les consommateurs ruraux et urbains de l'Inde.

Dans le deuxième article, S. S. Jodhka s'interroge sur les raisons de ce mouvement. Le Pendjab est le foyer de cette contestation et la grande majorité de ses 30 syndicats agricoles étaient présents sur les sites de protestation à Delhi. Pionnier de la « révolution verte » indienne dans les années 1950, cet État est également le premier à en avoir subi les conséquences : épuisement des ressources naturelles, dépendance des agriculteurs envers leurs créanciers, hausse des coûts de production, concurrence de leurs produits avec les céréales importées à bas prix, etc. Pourtant, en dépit de son déclin relatif, l'agriculture y est restée une activité économique et une référence identitaire importante. Malgré une implication toujours majoritaire des classes agricoles dominantes dans les mobilisations, la contestation a, selon l’auteur, une assise sociale et politique plus large que celle des mouvements paysans des années 1980 : elle rassemble désormais l’ensemble des communautés agricoles contre l’alliance entre le « capital » et l’« État autoritaire ».

Signalons enfin que, suite à la levée des barrages mi-décembre, le mouvement semble entrer dans une nouvelle phase (discussions, négociations).

Cécile Poulain, Centre d'études et de prospective

Source : The Journal of Peasant Studies, The Journal of Peasant Studies

13/09/2021

État des lieux et défis pour la recherche sur la canne à sucre

En juin 2021 s'est tenue en Inde (Coimbatore) une conférence internationale consacrée à la recherche sur la canne à sucre, organisée par le Sugarcane Breeding Institute. Réunissant de nombreuses contributions, les actes qui viennent de sortir brossent un panorama des connaissances actuelles et des défis : amélioration des plantes, techniques de production, gestion des maladies et des ravageurs, mécanisation des systèmes de production, etc. Cultivée dans 103 pays, avec le Brésil, l'Inde et la Chine en tête, la canne à sucre occupe environ 25,3 millions d'hectares, pour une production annuelle d'environ 1,9 milliard de tonnes. Parmi les défis partagés au niveau mondial, figure l'amélioration des rendements : selon l'une des contributions, en 80 ans, la forte progression de la production a été liée à l'accroissement des surfaces, alors que les rendements ont dorénavant atteint un plateau. Dans ce cas, comme dans d'autres, les technologies génétiques présentent, pour les intervenants, des opportunités intéressantes. La diversification des valorisations (bioénergie, biocarburants) est un autre défi important, en particulier pour les entreprises de transformation.

Source : Sugarcane Breeding Institute

04/09/2020

Urbanisation et « villes-actionnaires » en Inde

Paru en août 2020 sur La vie des idées, un article rend compte de l'ouvrage de l'urbaniste S. Balakrishnan consacré aux « villes-actionnaires » indiennes. « Avatar » des projets de corridors économiques destinés à accélérer l'industrialisation du pays et nécessitant de très nombreuses terres agricoles, la « ville-actionnaire » a été pensée comme un moyen de résoudre les conflits entre investisseurs et propriétaires ruraux. Ceux-ci deviennent actionnaires de l'entreprise immobilière (dividendes à percevoir sur les transactions), contre l'abandon de leurs activités agricoles (ex. : canne à sucre). Ce travail de terrain met en évidence les spécificités locales : positions dominantes de certaines castes, difficultés pour les communautés de travailleurs agricoles sans terre de faire valoir leurs intérêts, rôle variable des institutions rurales traditionnelles. Il soulève aussi diverses questions sur ce modèle de développement urbain.

Source : La vie des idées

 

 

14:08 Publié dans Mondialisation et international, Territoires | Lien permanent | Tags : inde, ville, urbanité, urbanisation |  Imprimer | | | | |  Facebook

08/04/2020

Le coton OGM Bt a-t-il vraiment permis d'augmenter les rendements en Inde ?

De nombreux chercheurs ayant travaillé sur l'impact du coton Bt sur la production, en Inde, ont conclu que son introduction avait permis d'augmenter les rendements. Cependant, leurs analyses ignorent les effets de long terme et les autres facteurs pouvant influencer ces tendances. Les auteurs d'un article publié en février dans la revue Nature Plants se sont penchés sur cette question. Pour y répondre, ils ont utilisé des séries de données sur les rendements, l'adoption du coton Bt et d'autres facteurs ayant pu jouer sur ces rendements, sur vingt ans (1999-2018), au niveau de l'Inde et de chacun de ses États fédérés. Leurs résultats suggèrent que l'augmentation des rendements observée dans les années 2000 n'est pas liée à l'adoption du coton Bt mais plutôt à un usage croissant d'engrais de synthèse. De plus, les semences Bt étant moins résistantes aux insectes suceurs de sève, leur utilisation a entraîné une augmentation du recours aux insecticides, et des dépenses associées, par les producteurs de coton indiens.

Dépenses nationales en insecticides pour la production de coton

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Source : Nature Plants

Lecture : la courbe bleue représente les dépenses en insecticides visant les Lepidoptères, c'est-à-dire les insectes vulnérables au coton Bt (en dollars par hectare). La courbe orange représente les dépenses en produits phytosanitaires visant les insectes suceurs de sève.

Source : Nature Plants

17:55 Publié dans Agriculteurs, Agronomie, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : inde, coton bt, rendements |  Imprimer | | | | |  Facebook

17/01/2020

Évolution de la diversité des espèces cultivées en Inde

Un article de décembre 2019, publié dans PLOS ONE, revient sur les impacts de l'intensification de l'agriculture en Inde sur la diversité des espèces cultivées, entre 1947 et 2014. Deux sources de données (India Agriculture and Climate et International Crops Research Institute for the Semi-Arid Tropics) ont été compilées pour suivre entre 20 et 24 espèces (selon les années et les informations disponibles), sur 305 districts. Le calcul d'indices a permis de préciser la diversité des cultures et son lien avec l'intensification des pratiques.

De 1947 à 2014, les surfaces cultivées en Inde ont augmenté de 37 %. Le riz reste la culture principale, malgré le triplement des surfaces de blé, deuxième culture la plus répandue. L'expansion du blé s'est faite au détriment de nombreuses espèces, telles que le pois chiche, l'orge et, dans une moindre mesure, le millet, le sorgho et le coton. De plus, deux tiers des surfaces cultivées en millet et en sorgho ont été remplacées par d'autres espèces, notamment le colza, la moutarde, le coton, les fruits et légumes.

En 1956, les cultures se répartissaient de manière relativement homogène en Inde. Par la suite, les États du Nord se sont spécialisés dans la production du blé et du riz, là où ces plantes étaient déjà implantées en 1947. L'intensification de l'agriculture, la mise en place de subventions, d'un contrôle des prix et d'investissements publics, pour améliorer les réseaux de distribution, ont favorisé la compétitivité de ces deux cultures au détriment du sorgho et du millet, entraînant une diminution de la diversité culturale dans ces États. Indirectement, ces politiques ont aussi incité les États dont les conditions étaient moins propices au riz et au blé à s'orienter vers d'autres productions. Des actions de diversification des cultures ont également encouragé ces évolutions, ainsi qu'une demande en produits diversifiés plus forte suite à l'augmentation des revenus des habitants. Pour cette raison, les districts obtenant les scores de diversification les plus élevés se situent aujourd'hui dans le sud du pays, notamment ceux s'étant détournés du sorgho et du millet au profit du colza, de la moutarde, du coton, des fruits et des légumes.

Les auteurs établissent ainsi les impacts indirects et opposés que peuvent avoir des politiques d'intensification sur des régions moins favorisées en matière de potentiel de production. Ils rappellent cependant que l'augmentation de la diversité culturale ne traduit pas la diversité biologique totale des régions, qui peut être impactée négativement par l'expansion des cultures.

Nombre d'espèces cultivées en 1956, 1974, 1992 et 2008 au niveau des États (A) et des districts (B)

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Source : PLOS ONE

Aurore Payen, Centre d'études et de prospective

Source : PLOS ONE

16:07 Publié dans Mondialisation et international, Production et marchés | Lien permanent | Tags : inde, cultures, intensification |  Imprimer | | | | |  Facebook

11/12/2019

Commerce intra-national et gestion des chocs climatiques

En novembre, la revue Agricultural Economics a publié un numéro spécial valorisant les travaux présentés lors de la 30e Conférence internationale des économistes agricoles, ayant pour thème « les nouveaux mandats et les nouveaux paysages de l’agriculture ». Il traite des évolutions en matière de technologies, de demande et d'environnement. L’article présenté ici étudie notamment le rôle du commerce intérieur, au sein de l’empire britannique indien, dans la gestion de l’insécurité alimentaire causée par les sécheresses entre 1870 et 1930, période historique rare d’accroissement concomitant des chocs climatiques et du fret ferroviaire. L’auteur utilise les résultats de ses précédentes analyses et des données de diverses sources (Agricultural Statistics of India, Digital Chart of the World, Global Historical Climatology Network, travaux de Srivastava publiés en 1968).

Il rappelle en premier lieu les gains théoriques attendus du commerce international et propose une validation de ces résultats à une échelle nationale. La théorie des avantages comparatifs de Ricardo montre que si chaque pays se spécialise dans la production des biens pour lesquels il est le plus productif, la production et la consommation nationales et mondiale augmentent. Pour tester cette théorie, l’auteur compare la production agricole, en valeur déflatée, des 235 districts de l’empire britannique des Indes, avant et après le développement du chemin de fer (figure ci-dessous). À partir d’une analyse économétrique en double différence, l’auteur montre que la production a augmenté d’environ 25 % sur la période 1870-1930 et que la moitié de cet effet est attribuable au commerce permis par le développement ferroviaire.

L’article analyse également la façon dont le commerce entre districts a permis de limiter les famines du XIXe siècle, provenant d’épisodes de sécheresse répétés. Utilisant également une analyse en double différence, l’auteur montre qu’un district relié au chemin de fer avait une probabilité inférieure de connaître une famine face à un événement de sécheresse. Toutefois, cet effet n’est possible que dans la mesure où le choc climatique ne touche pas simultanément tous les districts.

Ainsi, grâce à cette perspective historique, l'article apporte des éclairages sur les effets attendus du commerce international à une échelle intra-nationale et sur le rôle des échanges face aux défis climatiques.

Le développement du chemin de fer sous l’empire britannique des Indes, en 1853 et en 1930 (voies d'échanges commerciaux : en bleu, littoral et cours d'eau navigables ; en rouge, voies ferrées)

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Source : Agricultural Economics

Raphaël Beaujeu, Centre d'études et de prospective

Source : Agricultural Economics

14:55 Publié dans Climat, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : inde, ferroviaire, commerce, transport, histoire |  Imprimer | | | | |  Facebook

07/05/2018

La chair, les hommes et les dieux. La viande en Inde, Mickaël Bruckert

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Dans cet ouvrage, M. Bruckert propose d'interroger les pratiques et les représentations associées à la production et à la consommation de produits carnés en Inde : bovins, petits ruminants, porcs, etc. Ce faisant, il confronte les nombreuses questions liées à la viande aux réalités du terrain, apportant un panorama bien plus complexe que l'image simplifiée que nous pouvons souvent en avoir. Des régulations anciennes, renvoyant à des dimensions cosmique, sociale et biologique, sont à l’œuvre et font face à des tendances contemporaines fortes (urbanisation, mondialisation, développement d'une vaste classe moyenne, etc.). Le devenir de la viande et les choix faits par la société indienne, « entre le végétarisme rituel hindou et la carnivorie à l'occidentale », sont au cœur de cet ouvrage.

Appréhendant l'alimentation comme un « fait spatial », s'attachant aux réalités tant « matérielles » qu'« idéelles », l'auteur croise des approches géographiques et ethnologiques et s'appuie sur des enquêtes dans l’État du Tamil Nadu (extrême Sud-Est de l'Inde). Il envisage comment sont définis et négociés la place et les statuts de la viande i) par les mangeurs, ii) par les acteurs de la production et des réseaux d'approvisionnement (bouchers, industriels, abatteurs, éleveurs et marchands de bestiaux, agriculteurs), et iii) dans trois espaces, public, politique, social, cette dernière approche intégrant à la fois des dynamiques transversales et des dynamiques propres à certains groupes d'acteurs. De cette enquête riche et argumentée, on peut notamment retenir que les mangeurs définissent et négocient de façons complexes et variables (caste, génération, genre, lieu) la place et les statuts de la viande. Sa consommation, loin d'être débridée, est marquée par une massification, une démocratisation et de nouveaux usages et significations. Le rapport à la viande s'individualise, avec une carnivorie vectrice de liberté, de distinction sociale et de plaisir, alors que de nouveaux végétarismes plus individuels se développent.

Fortement inscrit dans le territoire, à des échelles variables, le rapport des Indiens à la viande mobilise un imaginaire géographique portant sur les places respectives attribuées aux humains et aux animaux. M. Bruckert met en évidence un double mouvement, d'invisibilisation de l'élevage et de l'abattage d'une part, de plus grande visibilité de la viande dans l'espace public, support de valeurs nouvelles, d'autre part. Ainsi, « c'est alors même qu'elle est plus acceptée que la viande devient plus conflictuelle », ses significations complexes ne disparaissant pas avec la modernité. En fin d'ouvrage, l'auteur élargit son propos aux sociétés occidentales.

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Lien : CNRS Éditions

13:17 Publié dans Alimentation et consommation, Mondialisation et international, Société | Lien permanent | Tags : inde, viande, bruckert |  Imprimer | | | | |  Facebook

07/09/2017

Afrique subsaharienne et Inde : retro-prospective agricole (1961-2050) et trajectoires de développement possibles

Publié récemment, un article de la Review of Rural Affairs pose la question de la reproductibilité, pour d'autres régions, des transformations structurelles connues par les pays développés. L'outil méthodologique original Agribiom a permis d'aborder, à partir des données du scénario PAB50 (2006-2050 – voir à ce sujet un précédent billet sur ce blog) et de la FAO (1961-2007), la dynamique agricole et alimentaire de l'Afrique subsaharienne, en la comparant à huit autres régions du monde. Cet outil « exprime en calories des volumes de demande, de production et d'échanges au sein d'un modèle physique simple d'emplois/ressources de biomasses alimentaires qui relie les consommations aux surfaces de terre ».

Selon l'auteur, les projections optimistes de la FAO (2006-2050), publiées en 2012 et concernant la production et la consommation alimentaires en Afrique subsaharienne, devraient être tempérées : cette région part en effet de niveaux extrêmement bas, comparables à ceux de l'Inde en 1960, et connaîtra la plus forte croissance démographique à l'échelle mondiale (124 %).

Disponibilités alimentaires par personne et par jour en calories végétales et animales (1961-2007, 2050)

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ASIA : Asie ; EU30 : Union européenne à 27, Suisse, Norvège, Islande ; LAM : Amérique latine ; MENA : Afrique du Nord et Moyen-Orient ; NAM : Amérique du Nord ; SSA : Afrique subsaharienne

Source : Review of Rural Affairs

Si l'exercice présente des limites méthodologiques (niveau d'agrégation géographique, unité de mesure), n'autorisant que des comparaisons géographiques et temporelles à grande échelle, les résultats permettent d'envisager une proximité des trajectoires agricoles de l'Afrique subsaharienne et de l'Inde. Pour l'auteur, les transformations structurelles des pays développés correspondent à un contexte historique et géographique donné, et ne seraient donc pas transposables à l'Afrique subsaharienne. En Inde, après 50 ans de « révolution verte », le rendement supplémentaire par unité d'intrants diminue, les coûts des intrants augmentent, les conflits pour l'eau sont de plus en plus prégnants, le niveau des nappes phréatiques chute, et la croissance démographique rurale entraîne une réduction de la taille des exploitations. Selon l'auteur, l'Inde et l'Afrique subsaharienne devraient donc envisager d'autres trajectoires socio-techniques, spécifiques à leurs contextes historiques et écologiques, comme par exemple des agro-écosystèmes à forte intensité en main-d’œuvre.

Hugo Berman, Centre d'études et de prospective

Source : Review of Rural Affairs

10:55 Publié dans 1. Prospective, Développement, Sécurité alimentaire | Lien permanent | Tags : dorin, afrique subsaharienne, inde |  Imprimer | | | | |  Facebook

12/09/2014

INDE : de l'assurance-récolte à la stabilisation des revenus ?

Dans un pays où l’agriculture est fortement dépendante de la régularité de la mousson (près de 80% des apports pluviométriques annuels), les dégâts aux cultures provoqués par les aléas climatiques, la sécheresse au premier chef, affectent directement la viabilité de l’activité agricole. Cette vulnérabilité est d’autant plus forte que la couverture de l’irrigation est encore partielle (environ 43%) et que les ressources de la plupart des agriculteurs indiens sont limitées (85% des exploitations ont moins de 2 ha). Dans ce contexte marqué notamment par des vagues de suicides en milieu rural (plus 250 000 de 1995 à 2012, soit plus de 20 000 par an – National Crime Records Bureau), la réforme des dispositifs assuranciels dans le secteur agricole est l’une des priorités du nouveau gouvernement. Annoncée au mois de mai, dès le premier discours du ministère de l’agriculture, elle a été officiellement lancée par un séminaire intitulé « Farm Income Insurance », organisé le 4 septembre dans l'État du Gujarat.

Jusqu’à présent, l’Inde a mis en place plusieurs dispositifs relevant d’une logique d’assurance-récolte. Le plus ancien, le National Agricultural Insurance Scheme (NAIS) a été introduit en 1999 et souscrit, fin septembre 2012, par 203 millions d’agriculteurs (soit une moyenne de 15,6 millions par an), permettant de couvrir un total de 307 millions d’hectares. Basé sur des indices de rendement établis par zone géographique, l’indemnisation prévue par le NAIS est calculée sur la base de l’écart entre le rendement constaté et la moyenne des cinq dernières années. Ce système de compensation est toutefois fortement critiqué : des délais de versement des indemnisations trop longs (6 à 8 mois, parfois plus d’un an), dans un pays où sont conduites deux cultures par an (Kharif et Rabi), les agriculteurs frappés par une calamité devant souvent préparer la nouvelle culture avec une trésorerie vide ; un niveau des montants jugé souvent inférieur aux pertes réelles du fait de l’application d’indices de rendement forfaitaires. Pour pallier ces défauts, deux autres systèmes ont été mis en place :

  • le Wheater Base Crop Insurance Scheme (WBCIS) : basé sur des indicateurs climatiques (températures, pluviométrie, humidité), il vise à évaluer plus rapidement et objectivement les aléas naturels et les dommages associés ; mis en place en 2007, il a été adopté majoritairement par le Rajasthan, État qui concentre les 2/3 des quelques 46 millions de paysans couverts par ce système depuis sa création ;

  • le Modified National Agricultural Insurance Scheme (mNAIS) : expérimenté à partir de 2010, ila vocation à remplacer progressivement le NAIS en apportant des améliorations significatives (possibilité d’avances sur l’indemnisation, révision des modalités de calcul du rendement moyen, extension de la couverture à de nouveaux risques - pertes au semis par exemple). À ce stade, ouvert pour la première fois aux compagnies d’assurance privées, le mNAIS a été souscrit par 4,5 millions d’agriculteurs pour 4,6 millions ha couverts (soit 1,5 millions d'agriculteurs par an).

Malgré ces récentes évolutions et en dépit des chiffres impressionnants de souscription, le dispositif rénové demeure imparfait : le NAIS est largement déficitaire (de 1999 à 2012, 3,5 milliards d'euros d'indemnisations pour 1,07 milliard d'euros de primes d'assurance) et paraît difficilement soutenable dans un contexte de fort déficit budgétaire ; l’adhésion à ces instruments est faible (seuls 17% des agriculteurs indiens sont couverts, en raison essentiellement de l’obligation pour les bénéficiaires de prêts agricoles de souscrire une police d’assurance-récolte).

Compte-tenu de cet historique et pour élargir le bénéfice de l’assurance à la majorité des agriculteurs, le ministère de l’agriculture indienne souhaite passer à un dispositif d’assurance-revenu en s'inspirant d’une expérimentation intitulée Farm Income Insurance conduite en 2003/2004 auprès de 180 000 fermiers. Cette dernière intervenait en cas de chute des revenus en-dessous d’un revenu garanti, calculé au regard du rendement moyen des 5 à 7 dernières années, auquel est appliqué le prix minimum de soutien (minimum support price). L’indemnisation correspondait à la différence du revenu réel et du revenu garanti. A priori, le gouvernement indien s’oriente aujourd’hui vers la reprise de ce schéma en le généralisant. Cet objectif est toutefois très ambitieux, dans la mesure où il requiert de fortes capacités administratives pour en gérer la mise en œuvre et les contrôles, ainsi que des moyens financiers conséquents, sans compter qu’il conviendrait de vérifier la compatibilité de cette subvention au regard des engagements indiens à l’Organisation mondiale du commerce.

Cédric Prévost, Conseiller pour les affaires agricoles, Service Économique Régional de New Delhi, Ambassade de France en Inde

Source : Ministry of agriculture, Government of India

10:23 Publié dans 4. Politiques publiques | Lien permanent | Tags : inde |  Imprimer | | | | |  Facebook

14/10/2013

Inde : mise en culture d’un millet perle riche en fer

Plus de 30 000 agriculteurs indiens ont planté cette année une variété de millet particulièrement riche en fer. Développée par l’Institut international de recherche sur les cultures des zones semi-arides (ICRISAT), cette variété, dont le nom commercial est Dhanashatki, permet par ailleurs d’obtenir de meilleurs rendements et possède des caractéristiques de résistance au stress hydrique.

Selon l’IFPRI (International Food Policy Research Institute), 100 grammes de farine issue de cette variété suffisent à couvrir le besoin quotidien en fer pour un enfant. L’anémie en fer est très répandue en Inde : elle concerne 70% des enfants de moins de 5 ans. Cette semence pourrait gagner en popularité du fait d’une meilleure valorisation, ce qui contribuerait à relancer la production déclinante de cette céréale secondaire (8,74 Mt en 2012-2013 contre 12,11 Mt en 2003-2004).

Cédric Prévost, conseiller pour les affaires agricoles à l’ambassade de France en Inde

Source : The Hindu Business Line

16:43 Publié dans Agronomie, Alimentation et consommation, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : inde |  Imprimer | | | | |  Facebook

07/05/2013

Biofortification des céréales en Inde et lutte contre la malnutrition

Le gouvernement indien s'engage dans la lutte contre la malnutrition, et notamment les carences en nutriments, en investissant plusieurs dizaines de millions d'euros dans la biofortification. Dans ce pays où les deux tiers des enfants souffrent d'anémie et de déficience en vitamine A, il s'agit de promouvoir la culture de céréales enrichies en vitamines et minéraux, afin de mieux satisfaire les besoins nutritionnels des populations qui n'ont accès qu'aux céréales.

Pour cela, il est nécessaire de sélectionner des variétés naturellement riches en micronutriments (variétés anciennes mais aujourd'hui délaissées) ou d'en mettre au point de nouvelles (variétés hybrides). Plusieurs dizaines de milliers d'agriculteurs ont déjà adopté une variété de mil à forte teneur en zinc et en fer en 2012 et la tendance devrait se renforcer en 2013.

L'Inde réfléchit à l'intégration de céréales biofortifiées dans le système existant de distribution alimentaire publique, à la subvention des semences pour encourager leur mise en culture, et à l'accompagnement pédagogique à mettre en place au sein des villages.

Noémie Schaller, Centre d'études et de prospective

Source : Le Monde, « Révolution verte en Inde contre la malnutrition », 16 avril 2013

Communiqué de presse du Ministère des finances indien :

http://pib.nic.in/newsite/erelease.aspx?relid=92714

 

 

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24/10/2012

Le Bhoutan se donne 10 ans pour transformer son agriculture en agriculture 100% biologique

Le Premier ministre du Bhoutan, Jigmi Thinley, a annoncé lors du congrès de la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique (International Federation of Organic Agriculture Movements – IFOAM) l'objectif de passer à une agriculture 100% biologique dans les dix prochaines années.

Ce pays, dans lequel l'agriculture fait vivre 80% de la population, souhaite offrir de meilleurs débouchés à ses agriculteurs et promouvoir les techniques de culture traditionnelles : l'agriculture biologique leur semble adaptée aux petites exploitations et aux exploitations enclavées dans les montagnes et qui n'ont pas accès aux intrants chimiques.

Il espère également se démarquer de son puissant voisin et concurrent, l'Inde, en occupant ce créneau. Cette transition nécessitera toutefois d'accompagner les agriculteurs dans cette voie et d'accroître fortement les formations aux agriculteurs.

Source : IFOAM 

 

14:57 Publié dans 4. Politiques publiques, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : inde, bio |  Imprimer | | | | |  Facebook