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17/03/2022

Les agri-youtubeurs et la communication sur les pratiques agricoles

Un article publié en février 2022 dans Réseaux livre les premiers résultats d’une enquête sur les agri-youtubeurs. L. Rénier (Inrae) et ses co-auteurs y reprennent les éléments réunis dans le cadre d’une thèse de sociologie : étude d’un corpus de 17 chaînes vidéo (1 000 abonnés minimum, 33 800 en moyenne), analyse des films, entretiens avec les agri-youtubeurs et observation de rencontres avec leurs abonnés dans le cadre de salons professionnels.

Ces agriculteurs-vidéastes privilégient une « communication positive » pour répondre à ce qu'ils perçoivent comme de l'agri-bashing. Pour « reprendre en main » l'image de leur groupe professionnel auprès du grand public, ils publient régulièrement, sur leurs chaînes YouTube, des séquences présentant l’activité quotidienne de leur exploitation. Parlant face caméra, ils se montrent « en train de travailler » et commentent l’action en direct.

Entre 2013 et 2017, une communauté a émergé autour de leurs comptes. Depuis, elle croît régulièrement. Les agri-youtubeurs du « noyau historique », notamment Thierry Baillet, David Forge, Gilles VK, Gaël Blard ou Alex agriculture Vienne, parrainent les nouveaux venus dans le cadre de featurings, c'est-à-dire des participations à des vidéos valorisant des liens d’amitié et d’estime mutuelle. Un public partagé se construit alors : abonnements, interventions dans le fil de discussion sous les vidéos, dédicaces, etc. Une analyse de réseau, menée sur le modèle des études sur le rap, met en évidence la densification des interactions entre chaînes (figure ci-dessous). Les échanges, conseils, partages d’expérience, etc., contribuent aussi à produire des normes relatives aux « bonnes façons de construire les vidéos », et à une identité collective.

Réseau des featurings par année au sein de la communauté des agri-youtubeurs

agri youtubeurs.jpg

Source : Réseaux

Lecture : les points correspondent à des chaînes YouTube, leur taille est fonction du nombre d'abonnés, leur couleur dépend du type de production qu'elles présentent (grandes cultures en noir, polyculture-élevage en gris clair, viticulture en gris foncé). Les flèches identifient les participations croisées entre chaînes.

La publication régulière de vidéos décrivant le quotidien des pratiques agricoles maintient un lien fort entre les agri-youtubeurs et leur public. L’article analyse avec finesse le contenu des séquences diffusées et les mécanismes qui produisent leur valeur d’authenticité, appréciée par les abonnés. Trois dimensions de cette authenticité sont mentionnées. La première est spatiale : tours de plaine et travaux dans les différentes parties de l'exploitation (bâtiments, parcelles), focus sur la préparation des machines et leur réparation, etc. La deuxième est temporelle, avec une mise en récit des activités sous forme de « chronique », au fil des saisons ou ponctuellement, par exemple avec l'organisation de lives permettant d’interagir avec le public. La troisième est affective, avec l’apparition dans les vidéos d'êtres proches (enfants, parents, voisins) ou d'animaux domestiques.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : Réseaux

10/03/2022

L'alimentation sous influence : micro-célébrités d'Instagram et « témoignage publicitaire »

Un article publié dans Communication et organisation s'intéresse aux « nouvelles cultures de l'influence » sur les réseaux sociaux, avec six études de cas consacrées à des micro-célébrités d'Instagram (2 000 à plus de 100 000 followers) traitant de sujets alimentaires. De façon plus ou moins affichée, ces « instagrameuses mères de famille » sont sponsorisées par des annonceurs du secteur agroalimentaire, et elles présentent tel ou tel de leurs produits dans certains de leurs posts. L'échantillon a été constitué en utilisant Favikon, un outil de scoring permettant de recommander aux professionnels du marketing le financement d'influenceurs. L'analyse des contenus publiés sur ces comptes confirme le développement d'une nouvelle rhétorique publicitaire, mobilisant le témoignage sur les pratiques ordinaires de consommation, et recherchant un effet d'authenticité (une « facture amateur ») par l'immersion dans le cadre familial. Sans que les auteurs puissent toutefois en mesurer l'efficacité, ces pratiques semblent tournées vers un public « de mères de famille et de jeunes femmes », de « prescripteurs et acheteurs de produits alimentaires pour les enfants et les adolescents ».

Source : Communication et organisation

10:27 Publié dans Alimentation et consommation, Société | Lien permanent | Tags : publicité, réseaux sociaux, influenceurs, alimentation |  Imprimer | | | | |  Facebook

15/12/2020

#esaconnect 2020 : réseaux sociaux, outils d’intermédiation et apprentissages

Cette année, les Rendez-vous de l'agriculture connectée, organisés par la chaire Mutations agricoles de l’École supérieure d’agricultures (ESA) d'Angers, étaient consacrés à la façon dont internet et les réseaux sociaux transforment les modalités de débat sur et dans l’agriculture. Qui intervient dans ces espaces en ligne et assiste-t-on à une diversification des profils ? Comment le numérique renouvelle-t-il les formes d'expression, tant personnelles que politiques ? Leur dynamique permet-elle un décloisonnement des savoirs, ou ces espaces contribuent-ils, au contraire, à l'éclatement des référentiels techniques, à la formation de « bulles » et de nouveaux entre-soi professionnels ? Que sait-on de la réception et de la portée de ces débats sur l'image des agriculteurs ? Ces questions ont été discutées dans quatre conférences et deux tables rondes.

Dans la conférence introductive, B. Thareau (ESA d'Angers) rappelle que l'agriculture française, principalement organisée dans le cadre de la famille, s'est dotée de nombreux collectifs pour « produire des connaissances » (groupes de développement), « coopérer » (organisations de producteurs) et « représenter » (syndicats). Les réseaux sociaux ont contribué à réorganiser, mais aussi à conforter, ces trois « fonctions sociales », en créant de nouvelles intermédiations : espaces de dialogue en groupes sur Whatsapp ou Facebook, pour la production de connaissances et l'échange d'informations entre pairs ; blogs et micro-blogging (comme sur Twitter) s'agissant de la (re)présentation du métier ; plates-formes et sites spécifiques de mise en relation, pour la « coopération physique hors média ».

En complément de trois présentations s'intéressant aux évolutions générales (communication politique en ligne, mesures d'opinion, transformations du travail), deux riches discussions abordent ces nouvelles pratiques. L'une porte sur les chaînes vidéo d'« agriyoutubeurs » comme celle d'Étienne Fourmont. L'autre s'intéresse à la circulation des connaissances au sein du monde agricole, et souligne le rôle des vidéos pédagogiques et des « tutos » en ligne, pour la formation initiale et pendant la phase d'installation, comme celles de Ver de Terre productions.

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Source : Chaire Mutations agricoles - ESA d'Angers

13/03/2019

Utiliser l'analyse des réseaux sociaux pour comprendre les relations entre différentes catégories d'agriculteurs : le cas de deux communes en Amazonie brésilienne

Un article du numéro d'octobre-décembre 2018 d’Économie rurale, en accès libre sur Cairn depuis février 2019, s'intéresse à la coexistence, au niveau d'un même territoire et d'une même filière, de modèles agricoles différents. L'étude comparative concerne deux villages (Mandacaru et Nova Jerusalem) de la commune de Paragominas, dans l’État du Pará en Amazonie brésilienne, faisant partie du programme fédéral « commune verte », lancé en 2013, qui soutient des pratiques éco-efficientes dans des zones anciennement déforestées, notamment la production laitière comme alternative à l'élevage extensif. Ces communes ont été sélectionnées en raison de leurs situations contrastées en termes d'éloignement du centre urbain et d'état des infrastructures routières.

La méthode repose sur la collecte de données de terrain et leur traitement par une analyse de réseaux. Les auteurs ont conduit 52 entretiens avec des agriculteurs, portant sur les trajectoires, les systèmes de production et les interactions entre acteurs (communications, échanges marchands – location de pâturages par exemple – et non marchands – troc ou dons par exemple). Ces données ont été traitées statistiquement afin de mesurer les nœuds et la densité, la réciprocité et la transitivité des liens. La méthode QAP (Quadratic Assignment Procedure) a été utilisée pour l'analyse des corrélations entre les différents types d'interactions.

Les auteurs ont identifié trois types de producteurs : « pluriactifs », « spécialisés » et « agro-entrepreneurs ». L'analyse des interactions entre ces types révèle des relations de domination, de réciprocité, d'alliance, etc. Dans les deux cas étudiés, le réseau « communication » est le plus dense et les échanges non marchands plus importants que les échanges marchands. Par ailleurs, l'analyse met au jour les mécanismes de diffusion des connaissances, importants en matière de transition écologique, ainsi que la position centrale occupée par certains des producteurs considérés comme « intermédiaires ». Ceux-ci, selon les auteurs, pourraient jouer un rôle de médiation, de vulgarisation et d'accompagnement des autres agriculteurs, dans le cadre du programme « commune verte » et, plus généralement, du développement territorial. Enfin, l'avenir de la production laitière paraît incertain, du fait des asymétries entre catégories d'agriculteurs, et renforcer la position socio-économique des pluriactifs pourrait être une réponse.

Réseaux socio-économiques dans le village de Mandacaru

Amazonie.jpg

Source : Économie rurale

Hugo Berman, Centre d'études et de prospective

Source : Économie rurale

13:22 Publié dans Agriculteurs, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : brésil, amazonie, réseaux sociaux |  Imprimer | | | | |  Facebook

12/12/2016

Le phénomène « pro ana ». Troubles alimentaires et réseaux sociaux, Antonio Casilli, Paola Tubaro

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De 2010 à 2012, le projet ANAMIA s'est intéressé aux troubles des conduites alimentaires, éclairant les dynamiques sociales et les usages technologiques propres à la communauté utilisant les sites web « pro-ana », « lieux de rencontre pour des personnes atteintes d'anorexie ou d'autres troubles alimentaires ». « Aboutissement d'un parcours scientifique et politique », l'ouvrage d'A. Casilli et P. Tubaro valorise les résultats de ce projet qui s'est appuyé sur des méthodes traditionnelles (questionnaires, entretiens en France et en Grande-Bretagne) et nouvelles (analyse des réseaux sociaux, statistique textuelle, modélisation informatique) : l'objectif était d'analyser tant les contenus des sites que les histoires de vie, au quotidien, des utilisateurs.

Après un rappel d'éléments généraux sur le « pro-ana » (partie 1) et les troubles alimentaires (partie 2), sont détaillés tour à tour l'étude des communautés web francophones (partie 3), les réseaux sociaux et les trajectoires des personnes (partie 4), les thématiques du corps, de la santé et de la « maigreur extrême » (partie 5), et enfin les questions relatives au système de santé (partie 6). Alors que le phénomène « pro-ana » est difficile à quantifier et suscite de nombreux amalgames (presse, sphère politique notamment), ces travaux battent en brèche plusieurs idées reçues. Les usagers de ces sites se caractérisent par une diversité de postures et d'attitudes. Leur fréquentation signe plus un « malaise profond, qu'une croyance perverse », et répond à la mise en place de « stratégies rationnelles » pour gérer au mieux le quotidien et les difficultés inhérentes aux troubles alimentaires : rompre la solitude, obtenir des renseignements, des encouragements dans les moments de détresse, comparer ses opinions et perceptions pour améliorer ses choix, limiter son exposition au jugement, à la pression sociale, au conformisme. Les individus jouent sur la taille et la densité de leurs réseaux personnels, séparant les contacts des espaces de discussion en ligne de leurs autres relations. Les manques dans l'offre médicale et la nécessité de développer des services en ligne sont également soulignés.

Plus largement, pour les auteurs, l'étude est révélatrice d'enjeux sociaux, scientifiques, politiques et culturels « qui résonnent » avec ceux de tous les mangeurs, usagers de technologies numériques, patients, citoyens. Cet ouvrage aborde ainsi tant la question des troubles alimentaires que celle du rôle que peuvent avoir les outils numériques notamment en matière d'alimentation et de sociabilité.

Julia Gassie, Centre d'études et de prospective

Lien : Presses des Mines

11:58 Publié dans Alimentation et consommation | Lien permanent | Tags : casilli, tubaro, troubles alimentaires, réseaux sociaux |  Imprimer | | | | |  Facebook