09/11/2020
Contributions des analyses économiques et sociologiques à la compréhension des défis sanitaires, environnementaux et agricoles
La Review of Agricultural, Food and Environmental Studies (INRAE) a mis en ligne un numéro spécial consacré aux apports de l'économie et de la sociologie aux défis du « nexus santé-environnement-agriculture ». Les sept articles étudient différents aspects relatifs aux stratégies de production, aux comportements de consommation et aux régulations possibles. Par exemple, à partir d'une revue de la littérature, E. Doro et V. Requillart soulignent les impacts positifs potentiels d'une taxe carbone visant des produits à fort contenu en émissions de gaz à effet de serre, dont les revenus subventionneraient la consommation de fruits et légumes. Ce numéro spécial illustre bien la diversité des problèmes et des solutions : si les possibilités de régulation sont nombreuses, les compromis à trouver le sont tout autant, et les sciences sociales peuvent apporter des contributions déterminantes pour le débat public et la conception de politiques efficaces.
Source : Review of Agriculture, Food and Environmental Sudies
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16/01/2020
Sociologie de l'alimentation, Philippe Cardon, Thomas Depecker, Marie Plessz
Les éditions Armand Colin sont réputées pour la qualité de leurs manuels universitaires. Celui-ci, consacré à l'analyse sociologique du fait alimentaire, ne ternira pas cette image. Clairement rédigé, très documenté, associant constamment l'évolution des réalités et celle des concepts théoriques, il brosse un panorama complet des grands enjeux actuels.
L'alimentation vue par le sociologue, ce sont d'abord des processus de socialisation, des types de consommation conditionnés par des styles de vie ou des budgets, des normes qui régulent les besoins, l'expression inégalitaire et genrée de goûts et de dégoûts. Ce sont aussi des tâches ménagères et du travail domestique, des rapports à la tradition et à la nouveauté, des cuisines régionales ou familiales, l'expression d'habitus et de frontières qui distinguent les générations, les groupes sociaux ou les nations. Ce sont enfin des motivations et attitudes de consommateurs de plus en plus informés, critiques et méfiants, libres mais moutonniers.
L'alimentation du sociologue, c'est aussi l'insertion du mangeur dans un vaste système culturel fait de valeurs, de croyances religieuses, de manières de tables, de rites et de signes identitaires à décoder. L'héritage historique, ou les traditions inventées, sont une richesse patrimoniale en même temps qu'un espace symbolique assurant des revenus économiques et des fréquentations touristiques. Loin de gommer les différences et de conduire à l'occidentalisation des assiettes, la mondialisation a multiplié les transferts interculturels et les échanges de recettes.
La sociologie s'intéresse aussi aux politiques nutritionnelles des États, aux stratégies des entreprises agroalimentaires, aux actions des associations et ONG, aux prises de position des chercheurs et médecins. Ces différentes catégories d'acteurs sont en constante interaction, qu'il s'agisse de normer des produits, d'encadrer les marchés, de réguler les innovations techniques, de garantir la santé des populations ou de prévenir des risques.
L'ouvrage n'oublie pas de retracer l'histoire des nombreux mouvements de réforme et de responsabilisation de la consommation alimentaire, depuis l'ancienne éducation à l'économie ménagère des familles pauvres, jusqu'aux plus récentes injonctions nutritionnelles et sanitaires, en passant par les constantes critiques de l'industrialisation et la promotion de modèles alternatifs : végétarisme, végétalisme, véganisme, flexitarisme, instinctothérapie, lutte contre le gaspillage, recyclage, circuits courts, durabilité et retour à la nature, etc.
Cette lecture s'impose à tous ceux qui veulent comprendre les mutations des systèmes et conduites alimentaires, tant en France que sous d'autres latitudes ou dans d'autres ères culturelles. Ils constateront que la sociologie de l'alimentation, riche de ses méthodes et de ses résultats, est aussi une excellente introduction à la sociologie générale des sociétés contemporaines.
Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective
Lien : Éditions Armand Colin
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18/01/2018
Comment les bûcherons vivent-ils leur position de travailleur indépendant mais subalterne ?
Le sociologue J. Gros (IRISSO, université de Paris-Dauphine) a mené de 2007 à 2012, dans le cadre d'une thèse, une enquête de terrain sur les bûcherons, en combinant observations du travail et entretiens répétés avec différents acteurs du monde forestier : bûcherons salariés et chefs d'entreprises, agents de l'ONF, etc. Plusieurs articles tirés de ce doctorat viennent de paraître, qui permettent de mieux connaître la composition et le fonctionnement du groupe professionnel des bûcherons non salariés, les « entrepreneurs de travaux forestiers » (ETF).
Un article dans la revue Sociologie du travail rappelle que, de longue date, « l'activité de bûcheron brouille les frontières entre travail indépendant et travail salarié ». Les ETF possèdent leurs outils de production (véhicules, tronçonneuses), et ne sont pas, juridiquement, dans une position de « subordination » à un patron. Ils occupent dans la division du travail une position que l'auteur qualifie de « subalterne », proche de celle des ouvriers, et qui contraste avec d'autres groupes dits « indépendants » : faibles marges de manœuvre à l'égard de leurs donneurs d'ordre (« un rôle d'exécutants même en situation autonome »), faibles revenus et travail solitaire (les trois quarts n'employant pas de salariés).
L'article dresse plusieurs portraits de bûcherons pour cerner les différents sens que peut prendre « le passage à l'indépendance », suivant que l'installation se fait en début de carrière ou, au contraire, en cours de vie professionnelle, après l'expérience d'un métier ouvrier ou comme bûcheron salarié. Une fois à son compte, un certain désenchantement et des déceptions peuvent apparaître : tous les profils n'ont pas la même capacité à « mettre à distance » le caractère subalterne du travail, en fonction notamment des ressources initialement mises en jeu (capital social et scolaire).
Dans la Revue française de sociologie, un autre article examine en détail les modalités administratives d'entrée dans le groupe, celui-ci faisant jusque récemment l'objet d'une autorisation d'exercice octroyée par une commission dont l'auteur a pu examiner certaines délibérations.
Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective
Sources : Sociologie du travail, Revue française de sociologie
11:15 Publié dans Forêts Bois, Travail et emploi | Lien permanent | Tags : bûcherons, etf, sociologie, travailleurs indépendants | Imprimer | |
04/07/2017
L’émergence des pâtissiers de restaurant : sociologie d’une segmentation professionnelle
Dans la revue Sociologie du travail, T. Collas (Sciences-Po) consacre un riche article à l’émergence d’un nouveau segment professionnel, les « pâtissiers de restaurant », basé sur l’analyse croisée d’archives professionnelles et de récits de carrières recueillis auprès de 44 pâtissiers travaillant ou ayant travaillé au sein de restaurants et d’hôtels (27), ou uniquement en boutique et/ou dans l’enseignement et le conseil (17). À partir des années 1970, sous l’influence de la Nouvelle Cuisine, le « dessert à l’assiette » supplante le service « à la russe » sur chariot présentant des apprêts préparés plusieurs heures à l’avance. Jusqu’alors, les desserts étaient achetés en boutique ou réalisés dans le restaurant en recourant aux mêmes procédés, notamment la surgélation. Dorénavant, ils sont de plus en plus réalisés en cuisine, dans l’urgence, sur commande du client, à partir de produits frais de saison.
L’article analyse le contraste entre deux types d’organisation du temps de travail : concentré sur la matinée dans le cas de la boutique (de 5h à 14h), en « horaire dilaté » pour le pâtissier de restaurant, entre la préparation des viennoiseries le matin et l’assiette de dessert du soir. Entre cuisine et boutique, les conventions esthétiques divergent : dans la première, la simplicité, le goût et l’improvisation sont promus contre le strict respect des recettes et du décor caractéristique de la seconde. Le pâtissier de restaurant se rapproche ainsi du chef de cuisine, notamment dans sa prétention à être « l’auteur » du dessert.
Mais, pour exister socialement, il cherche aussi à s’en distinguer, ce qui semble favoriser une convergence avec les pâtissiers de boutique. T. Collas mentionne plusieurs initiatives au début des années 1990 visant à accroître la visibilité du groupe, et qui rencontrent un accueil favorable chez les pâtissiers de boutique. Un décompte des produits, recettes et lieux d’exercice des signataires de recettes, dans les articles du Journal du pâtissier, montre ainsi que cette revue s'ouvre largement aux pâtissiers de restaurant, alors que ceux-ci ne représentent qu'une part marginale de la production.
Source : Sociologie du travail
14:50 Publié dans Alimentation et consommation, Travail et emploi | Lien permanent | Tags : pâtissiers, segmentation professionnelle, sociologie | Imprimer | |
12/05/2017
Les évolutions de l'alimentation et de sa sociologie au regard des inégalités sociales
Le dernier numéro de l'Année sociologique consacre un dossier à la sociologie de l'alimentation, avec pour objectif d'« éclairer à la fois notre alimentation et sa sociologie ». Les articles réunis s'intéressent aux évolutions récentes des pratiques alimentaires, aux rapports à la nourriture ou au corps : ils permettent ainsi de « faire le point des connaissances actuelles en sciences sociales » et de « rappeler que si l'alimentation a une fonction biologique, son organisation est un fait social essentiel pour comprendre nos sociétés ».
Dans l'introduction, Th. de Saint Pol rappelle que la sociologie de l'alimentation est entrée depuis vingt-cinq ans dans une troisième phase, marquée par un développement important et un renouvellement des thématiques d'études. Trois facteurs en sont notamment à l'origine : de nouveaux enjeux de santé publique, des crises alimentaires et la « construction d'un nouvel imaginaire de la gastronomie française ». Alors que l'activité médiatique sur l'alimentation est croissante, il met en avant la nécessité d'un regard sociologique, pour « rappeler que nos manières de manger sont le reflet de notre société et de ses évolutions et qu'elles sont loin d'être neutres ». Les pratiques alimentaires évoluent (par exemple, maintien de la grille quotidienne des repas mais diminution de la prise du petit-déjeuner chez les jeunes), et l'alimentation est à placer au cœur des inégalités sociales de santé.
On trouve ensuite des contributions de J.-P. Poulain sur les voies disciplinaires empruntées par le développement et l'institutionnalisation des études sociologiques aux États-Unis (food studies) et en France (socio-anthropologie du « fait alimentaire »), et d'A. Lhuissier sur la contribution de Maurice Halbwachs à la statistique des consommations dans la première moitié du XXe siècle. M.-C. Le Pape et M. Plessz s'intéressent au petit-déjeuner, à la place et au rôle qu'il joue dans l'éducation des enfants appartenant aux « couches supérieures des classes populaires ». S. Carof se penche quant à elle sur l'acquisition et la négociation des normes nutritionnelles, par des femmes en surpoids et obèses, en France, Allemagne et Angleterre. F. Régnier conduit également une comparaison, entre la France et les États-Unis, sur l'alimentation et les « techniques de la corpulence », par l'analyse de conseils d'économie domestique publiés dans la presse féminine, entre 1934 et 2010.
Julia Gassie, Centre d'études et de prospective
Source : L'Année sociologique
10:52 Publié dans Alimentation et consommation | Lien permanent | Tags : alimentation, food studies, sociologie, petit déjeuner, nutrition, normes | Imprimer | |
14/03/2017
Sciences, savoirs et savoir-faire des agriculteurs : quels regards porter sur le passé ?
Dans le dernier numéro de Zilsel, Jérôme Lamy (CNRS) livre une rétrospective de la sociologie rurale française depuis les années 1950. Sa revue de littérature est menée au prisme des « savoirs ruraux ». Pour l’auteur, cette notion recèle une « part d’ambiguïté » puisqu’elle « renvoie aussi bien aux travaux scientifiques » qu’aux « savoirs dit "traditionnels" ». Il s’agit pour lui d’examiner comment se recomposent les liens entre modernisation et légitimité de ces savoirs.
Dans la phase d’institutionnalisation de la sociologie rurale, autour des travaux de H. Mendras, les savoirs ruraux sont peu analysés, sinon « en passant », pour suggérer comment ils sont supplantés par le développement d’une agriculture rationnelle, hautement mécanisée et technicisée. À partir des travaux inspirés par l’ethnographie des pratiques de P. Bourdieu, dans les années 1970, ils sont étudiés de façon plus approfondie, jusqu’à contribuer, dans la dernière période (années 1990), à la mise en valeur d’une « modernisation alternative » plus respectueuse de l’environnement, notamment dans les travaux du département SAD de l’Inra.
Il est intéressant de lire, en parallèle, un article récent d’OIessia Kirtchik sur l’institutionnalisation et le déclin de l’économie rurale entre 1950 et 1985, moment où cette spécialité « nationale », portée par les agronomes d’État, cède le pas à des approches « généralistes » menées dans un cadre d'analyse néo-classique.
Par ailleurs, signalons une contribution de Jacques Caplat (EHESS) dans la revue Histoire et sociétés rurales. À partir d’enquêtes sur la sélection végétale paysanne, l’auteur soutient que les savoirs paysans « témoignent d’une créativité scientifique réelle », mais sans doute, faute de formalisation écrite, négligée quant à sa contribution passée à l’innovation agricole.
Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective
Sources : Zilsel, Histoire et sociétés rurales, Revue d'anthropologie des connaissances
10:03 Publié dans Enseignement et recherche, Société | Lien permanent | Tags : savoirs, savoirs ruraux, sociologie, économie rurale, savoirs paysans | Imprimer | |
08/12/2016
Les sociologues et le périurbain
La Revue française de sociologie publie un numéro consacré aux territoires périurbains. Une revue de littérature pointe les limites de l’apport des sociologues, tardif par rapport à celui des démographes et des géographes. Les travaux menés depuis les années 2000, non dénués d’aspects polémiques, mettent toutefois « en exergue qu’il s’agit d’un espace diversifié et non homogène », d’un « territoire pluriel et ouvert socialement et non intrinsèquement fermé », « en relation étroite tant avec la centralité qu’avec le monde rural » et animé par des « pratiques innovantes », par exemple en matières de gouvernance, d'aménagement ou encore d'agriculture biologique et solidaire.
Signalons deux autres articles : l’un, consacré à la quantification et aux approches statistiques, aboutit à relativiser « l’idée répandue d’une '‘explosion'’ du périurbain » ; l’autre, qui s’intéresse aux règles locales et aux décisions d’urbanisme, rappelle certains facteurs – notamment la « forte proximité entre producteurs et usagers de la règle » – qui font de l’étalement urbain une tendance lourde.
Source : Revue française de sociologie
11:40 Publié dans Enseignement et recherche, Société, Territoires | Lien permanent | Tags : périurbain, sociologie | Imprimer | |
10/12/2015
Qu’est-ce qu’un bon vin ? ou comment intéresser la sociologie à la valeur des choses
Antoine Hennion, connu pour ses travaux sur la sociologie du goût musical, a mis en ligne un article qui constitue une brillante introduction aux travaux récents sur l’expertise (ordinaire aussi bien que savante) et l’évaluation des produits. « Boit-on un vin, ou une étiquette – voire un prix ? » : la sociologie économique a tendance à rapporter les jugements de goût à des positions dans la structure sociale et à des effets de distinction, ou à des choix guidés par le signal-prix du marché.
La dégustation du vin n’est pas extra-sociale. Le vin apparaît alors comme « un bon cas pour se demander comment des sensations sont reliées à des marchés » et « faire entrer dans l’analyse sociologique la valeur des choses ». Le texte « examine en détail les relations qu’il faut mettre en place, entre des corps, des groupes de personnes et des agencements spécifiques » (relations qui forment « les dispositifs de dégustation du vin »). L’accord ne porte pas « sur les vins eux-mêmes », « mais sur des manières acceptables de procéder pour pouvoir discuter et rendre publiques des évaluations divergentes ».
On rejoint là des questions classiques en philosophie politique et en théorie des sciences. Cette publication s’inscrit d’ailleurs dans le cadre de l’Institut interdisciplinaire de l’innovation, l’auteur appartenant au Centre de sociologie de l’innovation de l’école Mines-ParisTech.
Source : Centre de sociologie de l’innovation
10:26 Publié dans Alimentation et consommation, Enseignement et recherche | Lien permanent | Tags : vin, sociologie | Imprimer | |