12/05/2017
Les évolutions de l'alimentation et de sa sociologie au regard des inégalités sociales
Le dernier numéro de l'Année sociologique consacre un dossier à la sociologie de l'alimentation, avec pour objectif d'« éclairer à la fois notre alimentation et sa sociologie ». Les articles réunis s'intéressent aux évolutions récentes des pratiques alimentaires, aux rapports à la nourriture ou au corps : ils permettent ainsi de « faire le point des connaissances actuelles en sciences sociales » et de « rappeler que si l'alimentation a une fonction biologique, son organisation est un fait social essentiel pour comprendre nos sociétés ».
Dans l'introduction, Th. de Saint Pol rappelle que la sociologie de l'alimentation est entrée depuis vingt-cinq ans dans une troisième phase, marquée par un développement important et un renouvellement des thématiques d'études. Trois facteurs en sont notamment à l'origine : de nouveaux enjeux de santé publique, des crises alimentaires et la « construction d'un nouvel imaginaire de la gastronomie française ». Alors que l'activité médiatique sur l'alimentation est croissante, il met en avant la nécessité d'un regard sociologique, pour « rappeler que nos manières de manger sont le reflet de notre société et de ses évolutions et qu'elles sont loin d'être neutres ». Les pratiques alimentaires évoluent (par exemple, maintien de la grille quotidienne des repas mais diminution de la prise du petit-déjeuner chez les jeunes), et l'alimentation est à placer au cœur des inégalités sociales de santé.
On trouve ensuite des contributions de J.-P. Poulain sur les voies disciplinaires empruntées par le développement et l'institutionnalisation des études sociologiques aux États-Unis (food studies) et en France (socio-anthropologie du « fait alimentaire »), et d'A. Lhuissier sur la contribution de Maurice Halbwachs à la statistique des consommations dans la première moitié du XXe siècle. M.-C. Le Pape et M. Plessz s'intéressent au petit-déjeuner, à la place et au rôle qu'il joue dans l'éducation des enfants appartenant aux « couches supérieures des classes populaires ». S. Carof se penche quant à elle sur l'acquisition et la négociation des normes nutritionnelles, par des femmes en surpoids et obèses, en France, Allemagne et Angleterre. F. Régnier conduit également une comparaison, entre la France et les États-Unis, sur l'alimentation et les « techniques de la corpulence », par l'analyse de conseils d'économie domestique publiés dans la presse féminine, entre 1934 et 2010.
Julia Gassie, Centre d'études et de prospective
Source : L'Année sociologique
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09/04/2015
« À table ! Alimentation et sciences sociales » (3)
Le site La vie des idées poursuit la publication, entamée en janvier dernier, d’une série de textes consacrés aux food studies (voir les précédents billets de février et mars sur ce blog). A ainsi été mis en ligne le 2 mars un entretien avec Julie Guthman, géographe à l’université de Californie (Santa Cruz), qui travaille sur les pratiques agricoles, la nutrition et les mouvements alimentaires, et est tout particulièrement connue pour ses publications sur l’obésité et les produits biologiques. Dans cet entretien, elle revient sur les grandes étapes de sa carrière, ses objets de recherche et la réception de ces travaux par les acteurs des milieux concernés.
Ses premières études portaient sur les contradictions de l’industrie du bio, obligée d’imposer des normes et des certificateurs pour se protéger, ces normes devenant ensuite des critères d’exclusion d’autres producteurs. Elle a également travaillé sur les attentes exagérées, selon elle, suscitées par les agricultures alternatives, le « local », le « saisonnier », l'« équitable » et le « non-industriel » étant conçus par certains médias et consommateurs comme des antidotes évidentes aux dérives supposées du système alimentaire mondial : « si l’industrie alimentaire est le problème, alors l’alimentation biologique locale doit être la solution ». Or, pour J. Guthman, ces innovations consuméristes comportent leurs propres lacunes et paradoxes, et surtout elles cachent, aux décideurs et aux chercheurs, les vraies tendances porteuses vers le monde de demain : « il est évidemment beaucoup plus facile d’étudier les gens dans un jardin communautaire ou sur un marché paysan que de comprendre le fonctionnement d’une chaîne d’approvisionnement complexe ».
Elle travaille aujourd’hui, plus généralement, sur les mouvements socio-politiques entourant les alimentations alternatives. L’alimentation est devenue, aux États-Unis tout spécialement, une composante importante de la réflexion sur les problèmes sociaux, sur le rapport à la Nature, sur les voies de modernisation et de transformation de la société, avec les oppositions partisanes qui en découlent : « le Tea Party se moque du fait qu’Obama aime la roquette, et parfois même défend la malbouffe comme une sorte de patrimoine culturel américain ».
Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective
Source : La vie des idées
09:51 Publié dans Alimentation et consommation | Lien permanent | Tags : etats-unis, food studies | Imprimer | |
13/03/2015
« À table ! Alimentation et sciences sociales » (2)
Le site La vie des idées poursuit la publication, entamée en janvier dernier, d’une série de textes consacrés aux food studies (voir un précédent billet sur ce blog). A ainsi été mis en ligne le 4 février un article ("Le marché préfère les minces") de José Luis Moreno Pestaña, montrant comment certains statuts et occupations professionnelles peuvent imposer des pratiques alimentaires contraignantes aux individus. Prenant l’exemple des vendeuses dans les boutiques de mode, il souligne que les entreprises tentent de plus en plus de faire correspondre les apparences de leurs clientes avec celles de leurs employées, ces dernières se sentant obligées de remodeler leur corps par des régimes alimentaires. Au-delà de ce cas particulier, la généralisation de nouvelles normes esthétiques, dans beaucoup d’emplois en contact avec des clientèles, impose une transformation des pratiques corporelles des femmes, en particulier de celles issues des couches populaires. Plus généralement encore, l’article montre comment la société diffuse des modèles physiques dominants et désirables, qui commandent des rapports de plus en plus stricts, diététiques et moraux à l’alimentation. Loin des formes plurielles de beauté, le mangeur moderne – et surtout la mangeuse –, est sommé de correspondre au type idéal de la minceur, de médicaliser son alimentation et de se sentir coupable si son corps ne lui obéit pas.
Mis en ligne le 13 février, un deuxième article ("Les ouvriers, pionniers de la malbouffe ?"), de Stéphane Gacon, analyse l’ouvrage de Katherine Leonard Turner (How the Other Half Ate: A History of Working Class Meals at the Turn of the Century, 2014). Turner y pose la question suivante : comment les couches populaires ont-elles vécu le passage de l’alimentation rurale à l’alimentation industrielle dans les États-Unis des années 1880-1930 ? Considérant que cette période est celle du passage vers le "prêt-à-manger", elle propose une histoire sociale des classes laborieuses, les premières selon elle à avoir été touchées par ce processus d’industrialisation, les couches moyennes étant restées plus longtemps attachées au modèle de l’alimentation au foyer. Sa démonstration replace les comportements alimentaires au cœur d’une étude générale de l’évolution de l’ensemble des modes de vie américains : affirmation du rôle des femmes, consommation de masse, persistance de fortes fractures ethniques, urbanisation, nouvel agencement des habitations, etc. Ce faisant, elle montre bien comment les structures collectives profondes façonnent nos choix alimentaires individuels, mais aussi comment la modification des habitudes alimentaires est un bon révélateur des mutations économiques et sociales.
Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective
Source : La vie des idées, La vie des idées
10:05 Publié dans Alimentation et consommation | Lien permanent | Tags : food studies | Imprimer | |
09/02/2015
« À table ! Alimentation et sciences sociales »
Le site La vie des idées a entamé le 27 janvier la publication d'une série de textes voués aux food studies, selon le terme consacré à l'échelle internationale. Partant du constat que les questions alimentaires sont au cœur de nombreux phénomènes de société (émissions de télévision, sites Internet, exigences diététiques, mouvements associatifs, etc.), mais beaucoup moins présentes et visibles dans les travaux des sciences sociales, les deux maîtres d’œuvre du dossier, Thomas Grillot et Nicolas Larchet, entendent réunir des textes présentant diverses « manières de voir et de faire des sciences sociales de l'alimentation ». Les manuscrits publiés porteront sur des problèmes et des terrains de recherche variés, et le parti pris est non pas une fois de plus de se focaliser sur les pratiques « nobles » et « dominantes », mais au contraire de s'intéresser à l'expérience des « gens ordinaires », dans ses dimensions à la fois diététiques, esthétiques et politiques.
Le premier texte publié, de Claude Grignon, traite des conditions d'élaboration et d'application des normes diététiques, en particulier celles concernant l'obésité. Il commence par décrire les biais intervenant dans les controverses scientifiques et les débats publics autour de ces normes : sociologisme, psychologisme, préjugés sur la standardisation et l'uniformisation de l'alimentation, biais idéologiques et politiques, etc. Il montre ensuite comment les normes de surpoids et d'obésité se construisent, dans l'espace et dans le temps, en fonction des caractéristiques et des intérêts des groupes qui les conçoivent et les imposent. Il insiste sur le fait qu'au-delà des considérations sanitaires, l'obésité est aussi réprouvée « pour des raisons esthétiques » (elle paraît laide selon les critères de beauté dominants) et pour des raisons morales (les obèses sont directement responsables car ils mangent trop et trop mal). En fin d'article, Grignon critique les présupposés de la corporation des sociologues, pour qui normes et conventions sont de pures constructions sociales, alors qu'elles dépendent aussi des réalités matérielles, de déterminismes sociaux et de décomptes statistiques. Ce faisant, contre le relativisme absolu qui domine trop souvent, il plaide pour un relativisme quantifié et objectivé.
Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective
Source : La vie des idées, La vie des idées
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