17/03/2020
L’impact persistant des droits de douane sur les importations européennes de produits agricoles et agroalimentaires
Dans son numéro de février 2020, l’European Review of Agricultural Economics (ERAE) a publié un article analysant les effets de la politique commerciale de l’Union européenne (UE) sur ses importations de produits agricoles et agroalimentaires avec le reste du monde, entre 2005 et 2017. Les données proviennent des bases COMEXT pour les échanges et TRAINS pour les droits de douane. Depuis le démantèlement tarifaire engagé à l’OMC, à la fin des années 1990, les droits de douane ont fortement diminué. Il est généralement admis qu'ils constituent aujourd'hui une entrave mineure aux échanges, à l'inverse des barrières non tarifaires qui en sont les principaux obstacles. Cet article apporte un éclairage intéressant en se penchant à nouveau sur les droits de douane.
Afin d’estimer l’impact de la politique tarifaire de l’UE sur ses importations, les auteurs utilisent un modèle gravitaire, qui permet de comparer deux situations, avec et sans politique commerciale. L’originalité de l’analyse porte sur la variable tarifaire utilisée. Au lieu de considérer les tarifs douaniers européens appliqués à chaque pays partenaire, l’étude estime un « écart tarifaire » qui mesure l’avantage ou le désavantage tarifaire d’un pays exportateur, compte tenu des droits de douane appliqués aux autres pays. L’idée sous-jacente est que, du point de vue d'un exportateur, l'accès au marché de l’UE dépend davantage du niveau relatif des tarifs que des niveaux absolus.
L'étude montre que les droits de douane influencent encore les importations de l’Union de manière significative, sauf pour les produits animaux et les boissons (tableau ci-dessous). Ces deux groupes sont plus impactés par des barrières non tarifaires : règles sanitaires et phytosanitaires (SPS) pour les premiers, réglementations (monopoles d’État, licences d'importation, etc.) et taxes internes pour les seconds. L’analyse des effets sur le commerce montre, par ailleurs, que les tarifs appliqués par l'UE ont réduit ses importations de 14 % (par rapport à une situation sans tarifs), tandis que les accords préférentiels signés avec certains pays en développement les ont augmentées d'environ 10 % (par rapport à une situation sans préférence tarifaire). Enfin, l’impact est très hétérogène selon les produits considérés.
Estimations des impacts de la politique commerciale de l’UE sur ses importations de produits agricoles et agroalimentaires
Source : ERAE
Lecture : pour chaque groupe de produits, les étoiles indiquent un impact significatif de la variable « écart tarifaire » sur les importations. Trois étoiles : impact très significatif. Pas d'étoile : impact non significatif. Prepared foodstuffs : préparations alimentaires.
Raphaël Beaujeu, Centre d'études et de prospective
17:22 Publié dans 4. Politiques publiques, Mondialisation et international, Production et marchés | Lien permanent | Tags : droits de douane, importations, europe, barrières non tarifaires | Imprimer | |
13/12/2019
Les protections à l'importation de produits agricoles en Afrique subsaharienne
Dans le cadre de son Observatoire mondial du soutien à l’agriculture et suite à un colloque organisé en octobre 2019, la fondation Farm a publié récemment un document sur les enjeux d'un éventuel renforcement des protections à l'importation des produits agricoles en Afrique subsaharienne (ASS). S'appuyant sur les données les plus récentes du Cepii (2013), il montre que l'agriculture de cette région est moins protégée que celle des autres pays en développement : les droits de douane appliqués sont de 15 % en moyenne (indicateur « Weight MacMap Mean » dans la figure ci-dessous), contre par exemple 34 % en Asie du Sud, 26 % en Afrique du Nord et 14 % en Europe. Ce constat vaut pour les produits alimentaires ou non alimentaires, bruts ou transformés.
Droits de douane moyens sur les importations agricoles selon trois méthodes de calcul (2013)
Source : Farm
Des différences significatives des droits de douane sur les importations agricoles sont également constatées entre sous-régions : par exemple, les pays de l'Afrique de l'Est appliquent des droits de douane de 26 % aux autres pays de l'ASS et de 22 % à ceux hors ASS (figure ci-dessous). L'investissement public dans l'agriculture est également moins important, le soutien au secteur reposant essentiellement sur cette politique de protection à l'importation.
Droits de douane sur les importations agricoles des sous-régions d'Afrique subsaharienne (2013), avec les autres sous-régions en marron et avec le reste du monde en orange
Source : Farm
Selon les auteurs, deux courants de pensée s'opposent sur les bénéfices potentiels d'un renforcement des droits de douane sur les produits agricoles et agroalimentaires. Pour les partisans de la libéralisation des échanges, une telle politique risque de réduire le pouvoir d'achat des consommateurs africains et de fragiliser la sécurité alimentaire des pays. Pour les autres, au contraire, le renforcement de la protection aux frontières est indispensable pour consolider les filières, réduire le déficit commercial, créer des emplois, etc. Pour les pays de l'ASS, les compromis internationaux, notamment ceux de l'OMC, les Accords de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), conditionneront la mise en place de mesures de renforcement de la protection aux frontières. Pour les auteurs, l'augmentation des droits de douane sur les produits agricoles ne suffira pas, à elle seule, à consolider un secteur agro-industriel générateur de valeur ajoutée, d'emploi et de meilleures conditions de vie en milieu rural. Cette mesure devrait être considérée comme l'une des composantes d'une politique globale de développement dans les domaines économique, social et environnemental.
Hugo Berman, Centre d'études et de prospective
Source : Fondation Farm
15:40 Publié dans 4. Politiques publiques, Mondialisation et international | Lien permanent | Tags : afrique subsaharienne, importations, droits de douane | Imprimer | |
11/07/2017
Bilan et déterminants de la libéralisation du commerce agricole depuis 2001
Le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) a publié en juin un document de travail explorant l'évolution des droits de douane agricoles depuis le lancement du « cycle de Doha » de l'Organisation mondiale du commerce. Les auteurs ont mené une analyse statistique à partir d'une base de données qu'ils ont développée sur les protections tarifaires des produits agricoles et agroalimentaires, à un niveau de désagrégation très fin, sur la période 2001-2013. Ils ont également mobilisé le modèle MIRAGE du CEPII pour explorer, à 2030, deux scénarios extrêmes : un scénario de réalisation ambitieuse et effective de l'ensemble des accords régionaux en cours de négociation, et un scénario de protectionnisme généralisé où les pays remonteraient leurs droits de douane au niveau des plafonds autorisés par l'OMC.
Les auteurs montrent que l'agriculture demeure plus protégée, sur le volet tarifaire, que les autres secteurs, avec 36,5 % de droits de douane en moyenne, contre 12,9 % pour le reste de l'économie, mais qu'elle s'est largement ouverte depuis 2001 (- 40 %). Les travaux confirment que le système multilatéral n'a joué qu'un rôle limité dans cette libéralisation. De façon surprenante, ils trouvent que celui des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux est également marginal, en dépit de leur triplement en 25 ans. Contrairement à une idée reçue, ce faible effet n'est pas dû à l'exclusion de l'agriculture de ces accords : les auteurs démontrent que la majorité des produits agricoles est soumise à une libéralisation équivalente à celle des produits industriels, les exceptions agricoles ne concernant que des listes réduites de produits sensibles. La plupart des réductions de droits de douane se sont en fait produites de façon unilatérale, en dehors de tout accord, à l'instar de ce qu'ont réalisé le Nigeria, l'Inde ou encore le Mexique.
Par ailleurs, le scénario « régionalisme approfondi » illustre un potentiel commercial étonnamment faible des accords régionaux en cours de négociation : les exportations et importations européennes augmenteraient respectivement de 0,2 % et de 0,7 %, avec une croissance de la production agricole de la plupart des pays inférieure à 2 %. En revanche, un scénario de « guerre commerciale » conduirait à plus que doubler les droits de douane mondiaux, réduisant le commerce de plus d'un quart, avec des impacts variables selon les pays.
Changement dans les droits de douane moyens entre 2001 et 2013 sur une sélection de pays
Source : CEPII
Lecture : « bound MFN », « applied MFN » et « preferential applied » représentent les pourcentages, respectivement, des droits de douane plafond autorisés par l'OMC, de ceux appliqués en moyenne et de ceux appliqués dans le cadre d'accords bilatéraux ou régionaux.
Vanina Forget, Centre d'études et de prospective
Source : CEPII
16:02 Publié dans 1. Prospective, 4. Politiques publiques, Mondialisation et international, Production et marchés | Lien permanent | Tags : cepii, commerce agricole, libéralisation, droits de douane | Imprimer | |