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10/05/2019

Une analyse des dynamiques d'évolution des systèmes fourragers et de la place accordée à l'herbe

Si la prairie présente des intérêts agronomiques, économiques et environnementaux, les surfaces herbagères ont considérablement diminué depuis les années 1960, au profit du maïs. Dans certaines régions, tel le pays rennais (Ille-et-Vilaine), la tendance semble toutefois s'inverser depuis 2000. Pour analyser ces dynamiques, une équipe de chercheurs s'est penchée sur les évolutions des systèmes fourragers des exploitations laitières de cette région au cours des quinze dernières années. Pour cela, les auteurs ont reconstitué, par enquêtes, les trajectoires d'évolution, sur cette période, de 15 exploitations laitières représentatives, en se focalisant sur la place de l'herbe dans le système fourrager. Leurs travaux sont publiés dans la revue Agricultural Systems.

Trajectoires d'évolution des systèmes fourragers pour les 15 exploitations étudiées

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Source : Agricultural Systems

Lecture : les colonnes présentent une typologie des systèmes fourragers principalement basée sur la place de l'herbe, de G- (peu d'herbe) à G+++ (beaucoup d'herbe). Pour chaque exploitation, la flèche indique la trajectoire suivie au cours des 15 dernières années. L’exploitation « farm11 » est ainsi passée de G à G+++. La colonne de droite regroupe les trajectoires individuelles selon 6 tendances : augmentation importante de la part d'herbe (↑G+++, ↑G-dehy), stabilisation à des niveaux divers (StabG--, StabG=, Stab+/++), diminution (↓G=).

L'analyse des données collectées met en évidence six trajectoires d'évolution. Celles associées à une forte progression des surfaces en prairies vont de pair avec une complexification de la gestion de la ressource herbagère : implantation de prairies multi-espèces, pâturage tournant rationné, extension des durées d'implantation des prairies, etc. Les éleveurs s'orientant dans ces directions privilégient l'autonomie du système de production et sont bien intégrés aux groupes de développement agricole alternatifs, tels les Civam.

À rebours, les éleveurs qui réduisent l'herbe la gèrent de façon très simplifiée. Celle-ci est souvent cantonnée à quelques prairies permanentes pâturées en continu par les animaux non productifs. Focalisés sur les niveaux de production par animal, ces éleveurs privilégient le maïs pour l'alimentation des vaches laitières. Ils sont intégrés aux réseaux de développement agricole classiques ou ont recours à un conseil individualisé.

Pour terminer, les auteurs mettent également en évidence des trajectoires qualifiées « d'hybrides », où des éleveurs conservent des systèmes fourragers reposant largement sur le maïs, mais augmentent légèrement les surfaces en herbe au cours de la période étudiée, dans le but de réduire les coûts alimentaires et de sécuriser leurs marges. Ces agriculteurs se situent souvent à l'interface de plusieurs groupes de développement agricole, classiques et alternatifs. Ce dernier point montre que les logiques herbagères et reposant sur le maïs ne sont pas exclusives et que des combinaisons sont possibles.

Mickaël Hugonnet, Centre d'études et de prospective

Source : Agricultural Systems

12:47 Publié dans Agriculteurs, Agronomie | Lien permanent | Tags : fourrages, systèmes fourragers, herbe |  Imprimer | | | | |  Facebook

09/11/2018

La fraîcheur de l'herbe. Histoire d'une gamme d'émotions de l'Antiquité à nos jours, Alain Corbin

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Vaches qui broutent et paysans qui fauchent ne se doutent pas que leurs herbes favorites ont suscité, tout au long de l'histoire, de nombreuses impressions et émotions, dont témoignent les créations culturelles des hommes. Ce sont ces traces sensorielles que Corbin entreprend de récolter, classer et commenter, dans ce livre érudit et capricant, nourri de philosophie, de littérature et de peinture. Fidèle à l'approche anthropologique qui a fait la célébrité de son œuvre anticonformiste (par ex. Le miasme et la jonquille, 1982 ; La douceur de l'ombre, 2013), il offre en douze chapitres thématiques un portait complet de ce si modeste objet, l'herbe.

Les vieux textes religieux, comme la poésie contemporaine, associent souvent l'herbe à la création originelle, à la résurrection universelle (Rousseau, Whitman). Elle est aussi l'herbe-mémoire de l'enfance, qui chatouillait les mollets, la douce réminiscence de l'odeur du foin, des roulades et des pâquerettes. Elle est encore ce beau tissu végétal constituant le pré, parcelle bien délimitée de paysage, souvent marié à la rivière ou jouxtant la forêt. La prairie est une autre façon d'être de l'herbe, étendue vibrante et animée, espace des marches longues et des chevauchées. Sur l'herbe, lit tout prêt, on prend du repos, on couche sa bien-aimée ou le chevalier blessé, et plus tard on déjeune en famille, entre baignade et canotage. Le petit monde de l'herbe est peuplé de grillons et de sauterelles, de mouches et de bourdons se livrant, chez Giono et Hugo, de ridicules combats ou de terribles guerres. Le grand monde de l'herbe est fait d'agriculteurs, de bergers avec leurs troupeaux, de chèvres rassasiées, de bœufs qui « bavent leur songe intérieur » (Leconte de Lisle). Le spectacle du travail de l'herbe a inspiré d'innombrables littérateurs, décrivant surtout la fenaison, moment idéalisé de solidarité agrarienne. Loin du labeur, n'ont cessé de se multiplier les herbes de la distinction : pelouse tirée au cordeau, verdures décoratives mettant en valeur les demeures et prouvant la soumission du végétal. Quant à l'herbe douce, elle est fréquemment associée à la séduction féminine, avec ce thème quasi-obsessionnel du pied nu qui foule le gazon (Pétraque, Ronsard). Plus tard, avec Zola ou Lawrence, l'herbe deviendra lieu de fornication, de grands emportements, de corps en fusion avec la nature. Pour finir, n'oublions pas l'herbe des morts, métaphorique lorsqu'il s'agit de comparer la brièveté de la vie à un brin qui se fane (Chateaubriand), ou réaliste quand elle recouvre les tombes abandonnées (Maupassant).

Cette histoire des sensibilités, appliquée aux graminées, rend compte de l'expérience humaine. Mais aujourd'hui, « où en est l'herbe ? », se demande Corbin en conclusion. Après des siècles et des siècles de présence, sa place se réduit partout. Les nouvelles générations d'enfants sont déconnectées du monde de l'herbe et cela se traduira, pour elles, par toute une gamme de sensations qu'elles ne sauront vivre, remplacées par d'autres émotions plus modernes.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Fayard

09:13 Publié dans Société | Lien permanent | Tags : corbin, herbe, émotions |  Imprimer | | | | |  Facebook