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16/10/2020

Biomasse. Une histoire de richesse et de puissance, Benoit Daviron

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La question du changement dans le secteur agricole est ancienne. Les réponses qui y ont été apportées ont souvent pris la forme de fresques linéaires, centrées sur l'Europe, où les systèmes agraires se succèdent au gré des découvertes agronomiques et des innovations matérielles, selon des « phases de développement » logiquement enchaînées.

Refusant cette vision téléologique fondée sur le seul progrès technique, Benoit Daviron élargit l'analyse en prêtant beaucoup d'attention aux approvisionnements énergétiques, en particulier ceux tirés de la biomasse (organismes vivants, végétaux comme animaux). La thèse défendue est que l'histoire de l'agriculture doit être lue à travers les rapports entre biomasse, richesse (biens, marchés) et pouvoir (institutions, États). Ce faisant, sa réflexion sur les dynamiques du capitalisme accorde une grande place aux processus de domination, aux rapports de pouvoir et aux conflits. L'agriculture n'est pas seulement là pour nourrir mais, en tant que forme la plus répandue de « colonisation de la nature vivante », pour fournir des ressources d'énergie et de matière vitales au métabolisme des sociétés.

Sa démonstration associe intimement histoire, économie et géographie. Elle suit la destinée des grands pays dominants (« hégémons ») qui ont mobilisé, échangé et consommé cette biomasse, depuis la fin du XVIe siècle jusqu'au début du XXIe siècle. Le récit commence vers 1580, avec l'hégémonie des Provinces-Unies, dont les pratiques commerciales à grande échelle permettent de contrôler la biomasse lointaine. Il se prolonge, au XVIIIe siècle, avec la rivalité entre la France et l'Angleterre pour accaparer la biomasse issue de leurs colonies et plantations. La troisième étape, au XIXe siècle, voit le Royaume-Uni importer cette biomasse de la terre entière pour alimenter ses usines. Vient ensuite, avec les deux guerres mondiales, le temps de l'opposition entre les États-Unis et l'Allemagne : intensification de l'agriculture, recherche de produits de synthèse, etc. Une cinquième configuration se dessine entre l'après-Seconde Guerre mondiale et le début des années 1970 : triomphe du pétrole, généralisation des produits issus de la chimie remplaçant la biomasse non alimentaire, industrialisation de l'agriculture. Enfin, ces quatre dernières décennies, l'hégémonie des États-Unis se maintient du fait de la globalisation accrue des économies, et les échanges de biomasse connaissent une accélération marquée sous l'emprise de la demande asiatique.

Cet ouvrage ambitieux et très documenté atteste d'une pensée forte et originale. Il montre que la captation du vivant a toujours accompagné l'émergence et la prééminence du « pays leader de son temps ». Plusieurs régimes d'utilisation de la biomasse se sont succédés au fil des siècles, accompagnant la puissance hégémonique de sociétés maîtresses de leur économie-monde. À travers cette description des fronts pionniers de la biomasse, Benoit Daviron nous livre une solide histoire politique et économique de l'agriculture, mais aussi une très convaincante histoire de la mondialisation.

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Quæ

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