Abattoirs de Chicago, Jacques Damade (10/05/2016)

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Ce petit livre raconte l'histoire de la plus grande entreprise humaine de mise à mort d'animaux. Au début du XIXe siècle, il y avait la plaine immense et sauvage du Middle West, qui se remplit progressivement de troupeaux de bovins et de porcs en semi-liberté. Puis fut créée en 1833 la municipalité de Chicago, dont on comptait seulement 4 500 habitants en 1835. C'est en 1848 qu'y fut construite la première gare, élément d'un vaste réseau ferré qui favorisera la circulation des bêtes et des hommes. Si les trains permettent d'acheminer les troupeaux, ils favorisent aussi l'expédition de la viande vers les consommateurs des grandes villes, et ce sont neuf compagnies de chemin de fer qui achètent 1,3 km2 de marécage, au sud de Chicago, pour y créer en 1865 l'Union Stock Yard and Transit Co ("The Yard"). On aménage le long des voies d'immenses parcs à bestiaux et on y centralise les abattoirs.

Pour alimenter les commerces de façon continue, on commence à pratiquer l'abattage d'été, d'où l'obligation de faire venir d'immenses quantités de glace du Wisconsin, puis le premier essai de wagon frigorifique, en 1867, à destination de Boston. C'est le début du bœuf bon marché et de la recherche incessante de nouveaux débouchés, toujours plus éloignés. Simultanément, l'abattage se rationalise, se technicise, devient un travail à la chaîne, fait de tâches distinctes, simplifiées, répétitives, réalisées en cadence : assommer, égorger, échauder, racler, éviscérer, nettoyer les carcasses, découper, scier, expédier, etc. Le temps est compté, il faut tuer en masse, les techniques sont de plus en plus ingénieuses, les dépôts de brevets se multiplient, le parcours de la viande se complexifie, l'organisation du travail est méthodique, efficace, rentable. L'année 1883, la ville ne compte que 400 000 habitants, mais elle devient le plus grand centre d'abattage du monde : 1,9 million de bovins, 5,65 millions de porcs, 750 000 moutons.

Sur ce flux animal se greffe un flux de travailleurs pauvres, chômeurs, vagabonds, prêts à tout pour obtenir un job, venus d'Irlande, de Pologne, d'Italie, de Lituanie, d'Allemagne, de Russie, mal payés, souvent blessés, vite remplacés, soumis à de terribles conditions de travail et aux violences entre communautés. Cette « Babel-Chicago » a ses quartiers, ses boutiques, ses traditions, ses nourritures. Plus tard, ces abattoirs de la toute puissance et de la démesure serviront de modèle aux autres industriels, en particulier ceux de l'industrie automobile.

Sur le même sujet, on pourra lire deux grands classiques : La jungle, d'Upton Sinclair (1906), et La mécanisation au pouvoir (chapitre 4, « La mécanisation et la mort : la viande »), de Siegfried Giedion, (1948). À noter également le témoignage récent de Stéphane Geffroy (À l'abattoir, Seuil, avril 2016).

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions La Bibliothèque

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