Des forêts en libre évolution, au croisement d'enjeux scientifiques et sociaux (16/05/2022)
La Revue forestière française consacre un numéro double à une thématique originale, les forêts en libre évolution. Croisant des regards de forestiers, d'historiens, d'écologues, de statisticiens, de géographes, de sociologues, de juristes, etc., le dossier fait un état des lieux des connaissances actuelles et identifie de nombreux champs de recherche pour l'avenir.
Les forêts primaires et les vieilles forêts (qui ne font plus l'objet d'intervention depuis plus de 100 ans environ) représenteraient 3 % de la surface forestière européenne, et 90 % d’entre elles seraient localisées dans les pays scandinaves ou d'Europe centrale et orientale. Si ces forêts sont donc marginales en Europe, elles attirent l'attention depuis les années 1990. On cherche à mieux comprendre le fonctionnement de leurs écosystèmes et elles sont désormais explicitement mentionnées dans la stratégie européenne pour la biodiversité. En France également, l'identification et la préservation des forêts « à forte naturalité » deviennent des objectifs à part entière de la stratégie nationale en faveur de la biodiversité. Dans cet esprit, pour 2020-2030, au titre des aires protégées, est fixé un objectif de 70 000 ha de forêt bénéficiant d'un régime de protection forte (sans sylviculture ni exploitation), renforçant le besoin de recensement des forêts à fort niveau de naturalité. Celles-ci regroupent les forêts anciennes et matures (qualifiées de « vieilles forêts ») et les forêts férales récentes (en voie d'ensauvagement), principalement issues des reboisements spontanés d'anciens terrains agricoles (figure ci-dessous).
Comparaison des trajectoires écosystémiques et des niveaux théoriques de complexité écologique de forêts spontanées et de forêts d’origines artificielles ou contraintes
Source : Revue forestière française
L'intérêt récent pour la libre évolution (« laisser faire la nature ») est porté par des enjeux scientifiques relatifs au stockage de carbone, à l'adaptation au changement climatique par sélection naturelle, à la résilience des écosystèmes, etc. L'évolution des représentations et des attentes de la société en faveur d'une nature « authentique » y contribue également. L'expression de cette envie croissante de nature pourrait se traduire par une surfréquentation préjudiciable des zones sous protection. Il s'agit donc d'accroître la naturalité de l'ensemble des forêts, en systématisant des pratiques déjà existantes comme, par exemple, le maintien des gros bois et des bois morts sur les parcelles. Des débats persistent toutefois sur le degré souhaitable de non-intervention humaine, notamment dans le contexte du changement climatique. Enfin, les forêts même ouvertes au public restent des propriétés privées, qu'elles relèvent de propriétaires privés ou de la propriété de l’État ou des collectivités territoriales. Les responsabilités et les devoirs des propriétaires vis-à-vis des promeneurs et de la lutte contre les incendies doivent donc être clarifiés pour faciliter ce mouvement vers plus de naturalité.
Muriel Mahé, Centre d'études et de prospective
Source : Revue forestière française
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