Contre temps et marées. Pêcheurs hauturiers de Lorient en mer d'Écosse, Boris Charcossey (13/03/2020)

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N'en déplaise au chanteur Renaud, aujourd'hui c'est l'homme qui prend la mer mais pas la mer qui prend l'homme. On ne trouvera donc pas, dans cet ouvrage, de sombres récits de tempêtes et de naufrages, mais la description simple et sobre de la vie des marins hauturiers. Outre ses enquêtes en Bretagne, dans les ports ou les familles, l'auteur réalisa de fréquents embarquements, à des périodes choisies pour observer les « quatre saisons de la pêche ». Au total, son travail de terrain s'est échelonné sur six ans. En bon ethnologue, il nous livre ses carnets de notes, remplis sur le vif et retravaillés pour la présente édition. Son témoignage, rare, est agrémenté de photos qui parlent d'elles-mêmes et racontent, à la place des pêcheurs taiseux, la dureté de la tâche et le huis clos du navire.

Ce qui frappe d'abord, c'est la désorganisation de tous les rythmes temporels : alternance de semaines d'activité ou de congés à terre, succession d'efforts intenses et de moments de récupération, travail de nuit, fragmentation du sommeil, imprévus imposés par l'armateur ou la météo, et parfois périodes de trente ou quarante heures sans repos. L'état de la mer, les objectifs de capture et les impondérables techniques deviennent les seuls maîtres des horloges.

On retiendra aussi la dure et banale sociabilité masculine de l'équipage, faite de rites de passage, de confrontations et de mises à l'épreuve. Les relations alternent entre rudesse et complicité, avec de vraies amitiés et de solides inimitiés. Aux repas, on parle beaucoup de travail et de salaire, de quantités de poissons et de familles à retrouver, d'anecdotes légendaires ou de lendemains qui chantent. On se raconte des histoires plutôt grossières, tournant autour de la sexualité, et l'alcool normalement interdit échauffe les esprits.

Malgré les engueulades du commandant, l'usure physique et les fréquents accidents, ces hommes sont fiers « d'être du métier », de fabriquer un « monde à part », avec ses codes, ses risques et ses routines. Ils insistent sur leur spécificité et se démarquent volontiers des « terriens ». Ils intériorisent les contraintes, font preuve d'obéissance et d'abnégation, et finalement s'exploitent eux-mêmes. Quand l'ethnologue les questionne et s'étonne de telle ou telle situation, il récolte invariablement la même sentence : « c'est l'habitude ». Cette habitude amène à marner jour et nuit mais à aimer son sort et à faire de nécessité vertu. Elle pousse aussi à cacher ses maladies et blessures par crainte d'être réformé par la médecine du travail. Ainsi va la vie sur un grand chalutier de pêche au large...

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : Société d'ethnologie

16:42 | Lien permanent | Tags : charcossey, pêcheurs, pêche hauturière, marins |  Imprimer | | | | |  Facebook