Gouverner un monde toxique, Soraya Boudia, Nathalie Jas (12/06/2019)

S. Boudia (CNRS) et N. Jas (Inra) livrent un essai sombre sur l'essor, au XXe siècle, d'un modèle de développement économique reposant sur l'industrie chimique. Comme le rappelle le premier chapitre, on assiste à partir de 1945 au déferlement de nouvelles molécules, notamment en provenance de la pétrochimie. Ceci permet de renouveler les productions dans tous les secteurs, par exemple en agriculture et agroalimentaire avec les pesticides, les engrais ou les emballages.

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Chiffres à l'appui, les auteures esquissent une géographie mondiale de l'extraction des matières premières, de la production et des utilisations des produits chimiques. Elles mettent en évidence une « chaîne de pollutions » dont les effets cumulatifs sur l'environnement et les populations ne sont souvent reconnus que bien après. D'après elles, les instances de régulation sont, dès le début, dépassées par la masse d'innovations à évaluer, et en retard sur les impacts écologiques et sociaux. Trois régimes de régulation se succèdent et se superposent, auxquels sont consacrés les trois autres chapitres de l'ouvrage.

Après 1945, le « gouvernement par la maîtrise » vise à qualifier les substances selon leurs usages et leur toxicité, à confiner les dangers, à réparer des accidents. Des collaborations internationales sont rendues nécessaires, notamment sur les additifs alimentaires, autour de la « valeur limite », des doses journalières admissibles (DJA) ou des « listes positives » de substances autorisées, etc. À la fin des années 1960, face à une vive contestation, les systèmes de régulation se reconfigurent autour des notions de « risque » et d'« acceptabilité ». Le nucléaire sert alors de « laboratoire » pour un nouveau mode de régulation basé sur « une mise en balance des bénéfices et des risques d'une activité ». Enfin, à partir des années 1990, les dégradations environnementales s'accentuant, émergent de nouvelles politiques autour de l'adaptation et de la recherche de résilience, marquées par une certaine résignation, voire un cynisme politique. Pour les auteures, assez pessimistes, « les transformations qu'on observe dans le monde de la régulation », avec une « volonté renouvelée de ne pas entraver certains types d'activité économique », donnent peu de « raisons de penser qu'une prise de conscience salutaire serait à l’œuvre ».

Florent Bidaud, Centre d'études et de prospective

Lien : Éditions Quæ

09:28 | Lien permanent | Tags : boudia, jas, industrie chimique, produits chimiques |  Imprimer | | | | |  Facebook