Sans adieu, film de Christophe Agou, sortie DVD en novembre 2018 (11/01/2019)
Le photographe Christophe Agou, originaire de Montbrison (Forez), a publié en 2010 un livre (Face au silence, Actes Sud), sur la vie des petits paysans de sa région. Il travailla ensuite jusqu'à sa mort en 2015 à la réalisation d'un long métrage. Celui-ci fut sélectionné au festival de Cannes 2017, puis sortit en salle la même année. Il vient d'être édité et distribué en DVD par Blaq Out.
Son film n'est pas du tout représentatif de l'agriculture d'aujourd'hui, ni de la petite paysannerie qui continue à subsister. Il témoigne seulement de la fraction la plus miséreuse des paysans qui, après avoir existé en masse, ont aujourd'hui quasiment disparu. Son objectif est de nous les donner à voir et d'enregistrer leurs paroles. Les images sobres, sans dialogues, sont seulement ponctuées de soliloques et d'extraits de journaux radiophoniques en voix off.
Claudette, 75 ans, est le personnage principal. Tour à tour douce ou violente, hargneuse ou réfléchie, agaçante ou amusante, souvent criailleuse, solitaire et endettée, elle n'arrive pas à louer ses terres pour prendre sa retraite, et peste contre l'administration, le notaire, la banque, les assistantes sociales. Elle trime sans fin, les pieds dans la boue, mais conduit fièrement sa voiture, cherche son coq et engueule toujours son chien. Elle dit qu'elle préférerait être morte plutôt que de vivre sa vie, mais elle conjure tout de même le sort en disant « sans adieu ! » au réalisateur, après chaque prise de vues, pour être sûre de le revoir.
D'autres personnages plus secondaires se partagent l'écran. Raymond qui cohabite avec ses poules et court après ses vaches. Jean qui travaille à sa vigne pour supporter la mort de son frère. Mathilde, Jean-Baptiste et Jeanne, dans leur capharnaüm de misère noire et de chats. Jean-Clément et Bernadette, durement séparés de leur troupeau de vaches malades. Et enfin Christiane, la seule à parler d'amour, entre deux lessives à l'eau froide des montagnes. Tous vivent dans la saleté, le dénuement, entourés d'animaux salvateurs, burinés par les saisons, physiquement diminués, faisant d'amers constats (« on n'est plus maîtres de nos vies ») mais continuant à se battre : « Il faut lutter encore un peu, après je sais pas, bon, on verra bien... ».
Les images, belles et troublantes, sont rudes et crues, mais sans voyeurisme, sans misérabilisme, sans nostalgie. Agou n'a pas cherché à idéaliser ou victimiser le vieux monde paysan, mais à révéler ces gens de peu, ces gens de rien, ces vies de survie qui vivotent et que l'on ne voit pas. Son film n'est pas tragique, mais pathétique et tristement tendre, et parfois humoristique. Après être rentré dans l'intimité de ces résistants involontaires de la terre, derniers représentants d'un monde disparu, qui pourrait encore soutenir que « c'était mieux avant » ?
Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective
Lien : Blaq Out
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