La forêt salvatrice, Guillaume Decocq, Bernard Kalaora, Chloé Vlassopoulos, (09/09/2016)

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Au XIXe siècle, suite à de graves inondations, en particulier dans les Alpes, le reboisement des montagnes est devenu un objet important de débats publics, d'avancées législatives (1860, 1864, 1882) et de plans d'actions. Autour de la forêt se sont constituées, précocement, une culture du risque et une pensée pré-écologique, inspiratrices des discours actuels sur les services environnementaux, la régulation des écosystèmes et la restauration des milieux. Aujourd'hui, à l'ère du réchauffement climatique et de la mondialisation, les massifs forestiers sont surtout vus comme des puits de carbone et des réservoirs de biodiversité. C'est cette histoire de la "forêt salvatrice" que retrace ce bon livre, très documenté, écrit par trois enseignants de l'université de Picardie.

Loin d'une simple description chronologique des événements, les auteurs s'intéressent à l'évolution des représentations mentales, aux conditions d'émergence des discours et aux stratégies d'acteurs. Les pages les plus intéressantes présentent les arguments (souvent catastrophistes), développés dès 1820-1830 par les forestiers, les scientifiques et les fonctionnaires, contre le déboisement agricole et en faveur d'un reboisement d'ensemble. Tous cherchent à convaincre l'opinion publique du rôle bénéfique de la forêt, tant d'un point de vue environnemental que social, sanitaire, économique, et même politique. Plusieurs mutations accompagnent et rendent possibles ces prises de parole : développement d'une science sylvicole systémique, renforcement de l'administration forestière, sensibilisation à la protection du patrimoine naturel, essor d'une conception intégrée de l'aménagement du territoire (eaux-routes-montagnes-forêts-chemins de fer), remplacement des droits coutumiers paysans par une politique d’État qui restreint les coupes et interdit le pacage au nom de l'intérêt général.

Très stimulantes aussi sont les pages où la validité de ces discours anciens est testée au regard des sciences d'aujourd'hui. Cette lecture rétrospective montre qu'au-delà de certains phénomènes tout à fait bien compris à l'époque, les "croisés du reboisement" ont aussi fondé leurs conclusions, et leurs espérances, sur des erreurs (penser qu'une forêt n'est qu'une somme d'arbres) ou des méconnaissances : non prise en compte du temps long et ignorance du fait que le minimum forestier français de 1850 est plus lié à la fin du petit âge glaciaire qu'aux paysans défricheurs...

Bruno Hérault, Centre d'études et de prospective

Lien : éditions Champ Vallon

 

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