La Cour des comptes critique le manque de cohérence et les écueils des politiques climatiques européenne et française (29/01/2014)
Dans son rapport du 16 janvier dernier, la Cour des comptes française propose une évaluation critique de la politique climatique française et de son cadre européen. Autrement appelée « Paquet Climat Énergie » (PEC), elle est constituée d'un ensemble de directives et de règlements assortis d'objectifs globaux à l'horizon 2020 : -20% d'émissions de gaz à effet de serre (GES) (par rapport à 1990), 20% de la consommation d'électricité d'origine renouvelable, 20% d'économies d'énergies (par rapport à 2005). La mise en œuvre de ces ambitions passe par une série d'instruments, comme le marché communautaire d'échanges de quotas de GES, le soutien aux filières de production d'énergie renouvelable, etc.
La Cour des comptes critique l'hétérogénéité de cet ensemble, qui en plus de rendre son évaluation complexe, constitue une difficulté pour une mise en œuvre cohérente et un suivi efficace de la politique de lutte contre le changement climatique. Les auteurs prennent pour exemple la multiplicité des horizons, auxquels se réfèrent les différents engagements climatiques européens et nationaux (2012, 2020, 2050, etc.) et pointent surtout l'absence de mise en cohérence des différentes composantes du PEC, qui propose d'atteindre chacune de ses cibles de façon autonome, sans véritable articulation.
Avant d'examiner sa mise en œuvre en France, la Cour des comptes rappelle les particularités nationales en matière climatique. Avec une production électrique issue à 90% de sources non émettrices de CO2, l'économie française est l'une des moins carbonées d'Europe (1,8 fois moins que l'Allemagne par exemple). De ce fait, les secteurs des transports, de l'industrie et de l'agriculture occupent un poids relatif beaucoup plus élevé dans les émissions nationales que pour la plupart de nos voisins européens. L'agriculture représente par exemple 21% de nos émissions quand cette valeur est en moyenne de 9% en Europe.
Concernant les moyens mis en œuvre, la Cour fait d'abord le constat d'échec des instruments communautaires, à commencer par le marché carbone. Celui-ci a souffert d'un manque de flexibilité ayant empêché tout ajustement du nombre des quotas, alors que cela aurait été nécessaire dans une période de conjoncture économique défavorable. L'absence d'un prix significatif du carbone, qui en découle, a constitué un frein majeur à la décarbonisation de l'industrie.
Les auteurs critiquent en outre des dispositifs mal évalués en amont, comme celui du tarif de rachat de l'électricité photovoltaïque, alors que les montants en jeu sont importants : plus de 20 milliards d'euros de crédits publics sont engagés chaque année dans les investissements énergétiques. La Cour des comptes pointe également les mauvaises organisation et pilotage de la politique climatique, dont le caractère interministériel est insuffisamment affirmé.
Sur le plan des résultats, la Cour note des avancées positives : la France a réduit ses émissions de 13% depuis 2005 et dépassera donc largement son objectif de Kyoto. Mais cette baisse est essentiellement due à la diminution de l'activité industrielle en raison des conséquences de la crise économique. Ensuite, même si la trajectoire actuelle de réduction paraît compatible avec l'objectif de 2020, elle repose sur des hypothèses particulièrement volontaristes (en matière de rénovation de logements par exemple) et pourrait aussi être fragilisée par une reprise économique significative. Sur le plan des énergies renouvelables, l'objectif semble en revanche difficile à atteindre : il supposerait que l'accroissement de production annuelle soit six fois supérieur à celui que nous avons connu entre 2005 et 2011. Enfin, du côté des investissements, les efforts à consentir sont encore considérables : ils devront être accrus de plus de 30% chaque année dans les décennies à venir.
Finalement, la Cour des comptes trace quelques perspectives et souligne les défis à relever pour accomplir la transition énergétique. Dans le contexte actuel, deux bouleversements majeurs l'affectent d'ores et déjà : d'un côté la crise économique, de l'autre le fort développement des hydrocarbures non conventionnels qui a entrainé une « recarbonisation » presque partout en Europe. Cela est particulièrement vrai en Allemagne, où l'intermittence de la production d'énergie renouvelable a nécessité le développement de centrales back up, fonctionnant le plus souvent au charbon. La transition énergétique nécessitera donc d'abord des ruptures technologiques importantes, dont la première consistera en solutions de stockage des énergies renouvelables intermittentes. D'un point de vue économique, le choix entre les différentes sources d'énergies devra être appuyé par un calcul en coûts complets, « systémiques », prenant en compte l'ensemble des conséquences économiques induites par le fort développement d'une source d'énergie dans le mix final (pour assurer un approvisionnement électrique stable avec une forte part d'énergie renouvelable, il faut par exemple « surdimensionner » les installations pour compenser l'intermittence). Enfin, dans une économie peu carbonée comme celle de la France, la principale source de réduction d'émissions repose sur les économies d'énergies. Dans cette perspective, la Cour des comptes recommande de se fixer un objectif en termes d'empreinte carbone (plutôt que sur les seules émissions nationales) afin d'influer sur les comportements de consommation. Parmi les neufs recommandations que l'on peut trouver à la fin de son rapport, elle propose notamment de ne conserver que cet objectif unique et de lui subordonner l'ensemble des autres « cibles » (production d'énergie renouvelable, économies d'énergies).
Clément Villien, Centre d'études et de prospective
Source : Cour des comptes
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